Le patriote (Féron)/Les martyrs de la liberté

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Éditions Édouard Garand (p. 47-52).

III

LES MARTYRS DE LA LIBERTÉ.


La rébellion de 1837, qui eut pour pendant celle de 1838, s’est achevée dans une tragédie préparée par les ennemis implacables du Canada français : douze martyrs à l’échafaud et cinquante-huit citoyens honorables à l’exil. Et c’était le couronnement d’une œuvre barbare de ces mêmes ennemis : un monceau de ruines encore fumantes, de débris sanglants, de deuils profonds, de souffrances et de douleurs indicibles. Et, ironie du sort, voilà que nous sommes redevables à ces ennemis d’une certaine reconnaissance, puisque une quarantaine furent acquittés et libérés ! Peut-être furent-ils impuissants à les condamner ?… Passons, nous n’avons pas à refaire ici l’histoire de cette épopée sanglante et bientôt centenaire ; l’un de nos plus brillants historiens a accompli cette juste tâche avec toute l’éloquence d’une âme vraiment canadienne et française : LES PATRIOTES de M. le sénateur David demeure notre plus beau livre canadien.

Mais pour suivre notre petit héros de France jusqu’à son calvaire, il nous faut entrer dans quelques détails de circonstances et de personnages qui formèrent le milieu touchant où l’image de Charles Hindelang se détache lumineuse, riante, mélancolique ou gouailleuse jusque sur la plateforme fatale de l’instrument de mort.

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Et déjà le monstrueux instrument — comme nous l’avons rapporté précédemment — avait vomi sur notre sol tout rouge encore du sang de notre race, chaud encore sous les cendres de l’incendie, les cadavres de sept victimes. Au nombre des Patriotes dont la sentence de mort avait été commuée en une sentence d’exil, quatre condamnés à la potence attendaient de jour en jour, d’heure en heure, le moment de leur exécution. Ces condamnés étaient à la Prison Neuve. Charles Hindelang était le cinquième, et c’est à cette prison qu’il allait être conduit.

En effet, le lendemain de son procès — si tant est qu’une procédure aussi sommaire que fut la sienne peut s’appeler un procès — on emmena Hindelang à la Prison Neuve.

En cette prison les prisonniers politiques et condamnés avaient été divisés en deux groupes. L’un, le plus nombreux, avait été logé dans l’aile gauche, et dans ce groupe il y avait trois Patriotes voués à la corde. Quant à l’autre groupe, plus petit, et dont faisait partie un quatrième condamné, le célèbre chevalier de Lorimier, il avait été confiné dans une suite de cellules de l’aile droite, au second étage.

On montait à cet étage par un escalier partant de la salle des gardes sise au rez-de-chaussée. Cette salle des gardes se trouvait à former l’entrée principale de la prison. À gauche était le greffe, à droite le parloir, au fond un grillage faisant mur, et derrière ce grillage les couloirs et les escaliers de service. À l’extérieur la porte d’entrée donnait sur un perron qui descendait dans la cour solidement et hautement murée de pierre grise, et cette cour formait un quadrilatère au centre duquel s’élevait la prison. Pour sortir de cette cour, ou pour y entrer, selon le cas, on franchissait une porte bâtarde pratiquée dans une énorme porte cochère. De chaque côté de cette porte, à l’intérieur de la cour, se dressaient deux guérites où prenaient abri, les jours de mauvais temps ou par les journées froides d’hiver, les deux sentinelles — cerbères vigilants — chargées de veiller sur qui entrait ou sortait ; c’étaient les deux portiers de l’hôtel ! Et en franchissant cette porte, d’aspect lugubre, on avait l’impression de passer la porte d’un enfer. C’est devant cette porte bardée de fer et gardée par deux individus armés jusqu’aux dents — porte qui pour lui était celle de l’éternité — qu’Hindelang arriva, vers les dix heures de matinée, escortés de deux militaires et de deux gardes de la vieille prison.

Lorsqu’il eut franchi la porte bâtarde, menottes aux mains et traînant du pied gauche une chaîne énorme reliée aux menottes, l’un des gardiens qui surveillaient l’entrée se mit à rire.

Hindelang jeta à cet homme un regard hautain et demanda :

— Pourquoi ris-tu, toi ?

Sans répondre, l’autre cligna un œil narquois à ceux qui accompagnaient le jeune homme et dit :

— Ah ! ah ! c’est le p’tit français, celui-là ?… Il va trouver que notre p’tit échafaud vaut bien sa p’tite guillotine !

Un gros rire résonna.

Hindelang, sans perdre son calme hautain, répliqua à cet humoriste :

— Je compte bien, mon ami, que tu seras là, hein ! pour apprendre comment un petit français monte sur votre petit échafaud !

— Et mieux comment il en descend ! éclata de rire le garde.

— C’est très juste, monsieur, se mit à rire également Hindelang avec une politesse moqueuse, vous aurez l’avantage de mon exemple !

Il fut entraîné, poussé par ses gardes vers le perron de pierre.

Mais Hindelang venait, sans le savoir, d’être prophète. En effet, ce même garde allait, paraît-il, monter sur le même échafaud, vers 1844 ou 1845 pour avoir assassiné un camarade de service qui l’avait dénoncé pour cause d’intempérance aux autorités de la prison, et celles-ci avaient aussitôt congédié ce digne buveur.

Donc, Charles Hindelang avait été entraîné par ses gardes.

À l’intérieur de la prison un greffier prit possession des papiers du jeune homme qu’un gardien avait apportés de la vieille prison ; puis, après les formalités d’écrou, dix minutes au plus, le jeune français fut conduit au deuxième étage de l’aile droite, là où était le petit groupe de prisonniers politiques.

Daigne le lecteur ne pas nous en vouloir pour cette trop longue esquisse topographique. Nous la croyons utile, vu que les scènes qui vont suivre se dérouleront en cette partie de la prison.

En laissant la salle des gardes et en prenant l’escalier qui menait aux étages supérieurs, on arrivait d’abord sur le palier du premier étage, d’où par un passage longitudinal traversant le bâtiment central on atteignait un second escalier communiquant avec l’aile droite. Mais devant cet escalier se trouvait une grille solide et bien cadenassée. Cette grille franchie, l’on montait au deuxième étage pour se trouver dans un couloir transversal sur lequel s’ouvraient deux séries de cellules : l’une sur la cour d’avant de la prison, l’autre sur la cour d’arrière. C’est dans cette série qu’on avait enfermé les prisonniers politiques. Une grille fermait l’entrée de chaque série, et à travers cette grille on découvrait le large et long corridor sur lequel ouvraient les portes des cellules. De sorte qu’on y pouvait voir les prisonniers durant les heures qui leur étaient accordées pour prendre leurs ébats dans le corridor. Près de la grille se trouvait ce qu’on pourrait appeler une salle commune, petite, aux murs blanchis de chaux, meublés d’une table, de bancs et d’escabeaux. Au centre un gros poêle qu’on tenait dûment bourré dans la saison d’hiver. De la grille et du couloir on pouvait facilement voir ce qui

se passait dans cette salle commune, de sorte que les prisonniers, une fois hors de leurs cellules, demeuraient presque toujours sous la surveillance d’un garde. Ce garde, d’après les règlements du service, devait surveiller sans cesse l’une ou l’autre série de cellules en faisant les cent pas dans le couloir. Mais lorsque les prisonniers étaient paisibles, le garde, qui s’ennuyait naturellement, se donnait la permission de descendre fumer sa pipe à la salle des gardes.

Voilà donc à peu près ce qu’étaient les lieux où Charles Hindelang allait vivre ses derniers jours, et quand il franchirait de nouveau cette grille, ce serait pour aller tendre son cou à la corde du bourreau.

Lorsque le jeune homme fut introduit dans cette demeure nouvelle et dernière, les prisonniers venaient de quitter leurs cellules. À dix heures du matin, les portes de fer étaient ouvertes et les prisonniers réunis deux par deux dans chaque cellule devaient avant toute chose s’occuper du ménage de leur logis : on arrangeait les couvertures des lits, on les remontait contre la muraille, on balayait, on rangeait, bref, l’on mettait toutes choses à l’ordre. Ensuite chacun pouvait agir à sa guise, ou faire la causette avec un compagnon, ou lire, ou se promener dans le corridor. À midi, il fallait rentrer dans sa cellule pour recevoir sa ration et la manger. À une heure, les portes étaient de nouveau ouvertes jusqu’à cinq heures.

Hindelang trouva la plupart des prisonniers occupés à leur petit ménage. Mais à son apparition plusieurs accoururent à lui, ceux qui l’avaient un peu connu. Naturellement la première question posée avait été celle-ci :

— Eh bien ! qu’est-ce qu’on vous a donné ?

— On ne m’a rien donné encore, répondit-il en riant ; mais on m’a promis.

— Quoi donc ?

— Une bonne corde !

Bien que cette réponse fut faite placidement, les prisonniers tressaillirent, puis s’entre-regardèrent avec consternation.

L’instant d’après Hindelang était entraîné à la salle commune, où on lui offrait une tasse de café et où on le priait de faire le récit de son procès.

Hindelang se soumit de bonne grâce à cette curiosité naturelle.

Lorsqu’il eut terminé, un homme, jeune encore, d’allure distinguée, grave, s’approcha la main tendue.

Hindelang reconnut de suite cet homme qu’il avait rencontré une ou deux fois. Il s’empressa de serrer la main offerte et dit avec une grande émotion :

— Ah ! monsieur le chevalier, j’espère bien que vous n’êtes pas fâché de me savoir votre compagnon de voyage ?

Le chevalier de Lorimier sourit.

— Mon ami, dit-il, si je n’ai pas eu l’avantage de vous connaître beaucoup, on m’a par contre bien parlé de vous. Et on l’a fait avec tant d’éloges que je suis fâché, oui très fâché, que vous fassiez route avec moi dans l’éternel voyage que nous allons entreprendre demain, ou après-demain… qu’en savons-nous !

Hindelang se mit à rire avec ironie.

— Êtes-vous si fâché, dit-il, parce que je n’ai pu démolir un plus grand nombre d’Anglais ?

Les prisonniers en cercle autour du chevalier et d’Hindelang se mirent à rire bruyamment.

Mais le chevalier fit un geste sévère, et posant un doigt sur ses lèvres et jetant un rapide coup d’œil vers la grille du couloir à deux pas de là, murmura :

— Mon ami, permettez-moi de vous donner un conseil : ne prononcez pas, ne prononcez jamais ici ce mot « Anglais »… c’est dangereux !

— Dangereux pour nous ? demanda Hindelang avec un léger étonnement.

— Pour vous et pour moi, non, répliqua le chevalier avec un sourire mélancolique. Mais pour ces camarades !

— Eux ! fit avec plus d’étonnement Hindelang. Quoi ! ne sommes-nous donc pas ici tous des condamnés à mort ?

— Non, répondit gravement le chevalier. Nous sommes ici deux condamnés à mort seulement, vous et moi !

Hindelang regarda les prisonniers autour de lui avec une sorte d’ahurissement.

Alors l’un d’eux expliqua ceci :

— De fait, nous avons tous été condamnés à mort par le tribunal de Clitherow et de Colborne. Mais il paraît maintenant que nos sentences ont été changées en emprisonnement à vie.

— On dit, ajouta un autre, que nous serons déportés en pays étranger.

— Eh bien ! s’écria joyeusement Hindelang, je suis content pour vous, frères canadiens. Certes, la déportation, l’emprisonnement à vie, l’exil sont encore châtiments terribles, mais c’est toujours la vie, c’est-à-dire l’espoir !

— Voilà justement, mon ami, dit le chevalier de Lorimier, ce qu’il importe de sauvegarder à nos compagnons : cette vie et cet espoir ! Il nous faut éviter de prononcer ici des paroles qui pourraient être entendues de nos geôliers, gardes, tourne-clefs, que sais-je ? et qui pourraient compromettre l’existence de nos compagnons.

— Oui, oui, je vous comprends bien, répliqua vivement Hindelang, et je vous promets de veiller sur mes écarts de langage. Ainsi donc, monsieur, ajouta-t-il avec une sorte de dignité qui impressionna les autres, nous ne sommes que deux qui devons partir pour toujours. C’est bien, nous partirons donc, mais nous partirons comme des hommes !

— Sans peur et sans reproche ! compléta le chevalier. Mais ne savez-vous pas que trois autres condamnés attendent comme nous en cette prison leur exécution ?

— Non, je ne savais pas. Ainsi donc nous serons cinq ?

— Parfaitement.

— Et ces condamnés sont-ils de nos connaissances ?

— Ils étaient à Odelltown.

— À Odelltown ? Mais alors, monsieur, nommez-les vite, fit avec une forte émotion Hindelang.

— Narbonne, Nicolas et Amable Daunais.

— Narbonne… murmura Hindelang en frémissant… le colonel Narbonne qui fut sous mes ordres ?

— Oui.

— Ah ! si je le connais… ce fut l’un de mes bons amis ! Quel brave compagnon ! Dans la déroute je l’ai perdu de vue.

— Triste fin, n’est-ce pas, pour des braves ? dit amèrement le chevalier.

— Hélas ! soupira Hindelang dont le visage venait de s’assombrir. Et ce pauvre Nicolas avec son unique bras ! Et Daunais… Non, je n’en reviens pas !

— Vous êtes généreux, mon ami, de plaindre le sort de ces bons patriotes, sourit le chevalier, trop généreux lorsque votre propre sort n’est pas mieux fixé.

— C’est vrai, se mit à rire doucement Hindelang, je finis par oublier que j’existe ou que mon existence n’est pas un rêve.

Et ce tournant vers les autres prisonniers qui demeuraient silencieux et mornes, il ajouta avec un sourire sarcastique :

— N’est-ce pas que l’existence d’un homme subit de drôles courants ? J’étais venu en Amérique pour me conquérir un peu d’honorable aisance, et à peine ai-je fait trois pas sur cette terre merveilleuse que je me vois hisser sur une potence… et sur une potence anglaise encore !

— C’est cruel ! soupira un prisonnier.

— Mais non, se récria Hindelang en riant aux éclats, c’est ironique et c’est comique.

Et il continuait de rire, cependant que les autres demeuraient muets et graves. C’est que ceux-là devinaient que le rire du jeune homme n’était que sur ses lèvres, et qu’au fond de son être s’élargissait une plaie effroyable.

De Lorimier attira le jeune français à l’écart, disant :

— Venez donc, mon cher ami, me parler un peu de nos amis communs, de Duvernay, de madame Duvernay, de leur charmante nièce…

Hindelang serra violemment le bras du chevalier, et celui-ci le regarda avec surprise. Hindelang ne riait plus et tous les traits de son visage paraissaient douloureusement crispés.

— Monsieur le chevalier, prononça-t-il d’une voix altérée, je vous conjure de ne jamais prononcer un nom que je ne veux plus entendre !

— Le nom de…

Le chevalier s’interrompit, un peu confus, incapable de deviner la pensée de son compagnon. Mais il crut comprendre qu’il y avait là un secret qu’il ne lui était pas permis de sonder.

— Oui, monsieur, répliqua Hindelang d’une voix basse et agitée. C’est le nom d’une enfant pure et sainte, et prononcer ce nom en ces lieux ou expie le crime et où le crime combine, en ces lieux de damnés, en cet antre où rampe la lèpre, entre ces murailles où le vice a respiré et exhalé ses poisons, ce serait, monsieur, un sacrilège comme il ne s’en peut commettre.

De Lormier comprit… il comprit que le jeune français avait une âme excessivement torturée par un souvenir ; il devina qu’un amour ardent — parce que son propre cœur à lui subissait la même torture — oui, il vit qu’un amour violent brûlait en le consumant le cœur généreux qui battait non loin du sien. Il comprenait combien ce jeune homme, cet enfant de la France presque seul en ce pays anglais, devant l’ombre de l’échafaud qui s’amplifiait si lugubrement et de minute en minute, de seconde en seconde, devant l’avenir, si riant hier, qui aujourd’hui se fermait à tout jamais à sa jeunesse, devant cette porte de l’éternité qui s’ouvrait si subitement et d’une façon si affreusement implacable, oui, il comprenait que ce jeune homme endurait une torture qui surpassait la sienne. Son propre cœur également percé de flèches se comprima, et il fit taire ses propres souffrances pour mieux compatir à celles qui se révélaient à lui. Ah ! c’est qu’il y avait là deux natures vaillantes, deux natures également généreuses, deux natures faites pour se comprendre et se dévouer l’une à l’autre.

Le chevalier avait entraîné Hindelang dans le corridor où ils demeuraient seuls. Et tout en se promenant bras dessus bras dessous, il reprit :

— Vous me permettrez bien, mon ami, de parler un peu de Duvernay… de ce grand Duvernay ? Ah ! ce cher ami, ce qu’il a souffert lui aussi !…

— Oui, répondit Hindelang, le cœur tout plein de l’image d’Élisabeth, il a terriblement souffert. Tenez ! monsieur le chevalier, s’écria tout à coup le jeune homme avec admiration, monsieur Duvernay est un gentilhomme que la France se plairait à honorer, comme elle vous honorerait vous-même, monsieur le chevalier !

— Merci ! répliqua le chevalier avec une douce émotion. Ah ! la France, mon ami, votre France, notre France… oui, je peux bien dire « notre France »… je ne cesse de l’aimer, et nous, Canadiens, nous l’aimerons toujours ! Et, poursuivit de Lorimier, dites-moi aussi ce qu’est devenu cet autre ami, monsieur Rochon ?

— C’est vrai, je l’avais oublié, sourit tristement Hindelang. Vous avez raison, c’était encore un ami celui-là. Je ne sais ce qu’il est devenu. Il nous avait accompagnés, le docteur Nelson et moi, jusqu’à Napierville. De là il a dû se diriger vers Montréal, malgré son désir de nous suivre à Odelltown, pour accomplir certaines missions très importantes dont l’avait chargé monsieur Duvernay. Je pense même qu’il devait se rendre jusqu’à Québec.

— Il est probablement en sûreté maintenant. À propos, il a un parent ici même en cette prison.

— Vraiment ?

— Oui, ce parent avait été condamné à mort, mais il a eu la bonne fortune d’échapper à la potence : on dit qu’il sera déporté à l’étranger. Et de Nelson, de ce pauvre Nelson, que savez-vous ?

— Rien, monsieur. Ah ! je dois vous informer qu’à la vieille prison on ne se trouvait pas en un dépôt à nouvelles.

— Je vous crois, sourit de Lorimier. Moi, j’ai pu avoir quelques nouvelles, oh ! bien vagues, par des amis qui sont venus me visiter ici, et l’on m’assure que le docteur a réussi à passer la frontière.

— Je lui souhaite la liberté, monsieur, parce que je l’ai beaucoup estimé.

— Si nous avions seulement quelques hommes comme lui ! soupira comme avec regret le chevalier.

— Et comme vous ! monsieur le chevalier fit Hindelang avec une grande admiration.

De Lorimier sourit encore.

Leur conversation fut interrompu par un prisonnier qui venait de s’approcher pour informer Hindelang qu’un gardien le mandait à la grille.

Le jeune homme s’empressa d’aller à celui qui l’attendait à la grille du couloir.

— Vous n’avez pas encore de cellule ? demanda le gardien.

— Non, pas encore, répondit Hindelang.

— Alors, vous prendrez le numéro 9.

Et le gardien appela d’une voix forte :

— Lévesque !

Un jeune homme, à la mine éveillée, quitta la salle commune et s’approcha.

— Tu es seul dans ta cellule, n’est-ce pas ? dit le gardien.

— Oui.

— Eh bien ! prends ce jeune français avec toi et mets-le au courant des usages et des règlements.

— C’est bien. Venez, monsieur Hindelang, dit Lévesque, je vais vous montrer votre nouveau logis.

La cellule mesurait huit pieds en profondeur et six en largeur. De chaque côté étaient accrochés à la muraille deux lits de fer qu’on abaissait ou qu’on remontait selon les besoins. Mais quand ces lits étaient abaissés, il ne restait entre que juste la place pour mettre les pieds et les jambes. Au chevet et scellés dans la muraille une table de fer qui servait à recevoir le pot à l’eau, les gamelles, tasses et cuillers à l’usage des prisonniers. Au pied de chaque lit était un escabeau. C’était l’ameublement.

— Ma foi, sourit Hindelang après avoir considéré cet intérieur et entendu les explications de son nouveau compagnon, ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler du luxe ; tout de même je dois avouer que ce logis me paraît plus brillant que celui que je viens de quitter à la vieille prison. Ici, au moins, tout est propre et il fait un peu clair.

En effet, une fenêtre du corridor jetait un peu de clarté dans ce tombeau.

Hindelang abaissa le lit qui lui était destiné, et s’étendit dessus comme pour voir comment on y reposait. Puis, en souriant, il dit à son compagnon :

— Mon ami, s’il est vrai qu’ici est ma dernière demeure, j’en profite : je suis rompu et je dors un somme !

— À votre aise, répondit Lévesque. Vous avez une heure avant le dîner, il est maintenant onze heures.

L’instant d’après Hindelang dormait à poings fermés.