Le roi s’amuse/Acte I
I
M. DE SAINT-VALLIER.
PERSONNAGES.
FRANÇOIS PREMIER.
TRIBOULET.
M. DE SAINT-VALLIER.
CLÉMENT MAROT.
M. DE PIENNE.
M. DE GORDES.
M. DE PARDAILLAN.
M. DE BRION.
M. DE MONTCHENU.
M. DE MONTMORENCY.
M. DE COSSÉ.
M. DE LA TOUR-LANDRY.
MADAME DE COSSÉ.
ACTE I.

Scène I.
Comte, je veux mener à fin cette aventure.
Une femme bourgeoise, et de naissance obscure,
Sans doute, mais charmante !
Le dimanche à l’église ?
J’y vais chaque dimanche.
Deux mois que cela dure ?
Oui.
La belle demeure ?…
Au cul-de-sac Bussy.
Près de l’hôtel Cossé ?
Dans l’endroit où se trouve un grand mur.
Et vous la suivez, sire ?
Qui lui garde les yeux, et la bouche, et l’oreille,
Est toujours là.
Vraiment ?
C’est que le soir, un homme, à l’air mystérieux,
Très-bien enveloppé, pour se glisser dans l’ombre,
D’une cape fort noire et de la nuit fort sombre,
Entre dans la maison.
Hé, faites de même !
La maison est fermée et murée au prochain !
Par votre majesté quand la dame est suivie,
Vous a-t-elle par fois donné signe de vie ?
Mais à certains regards, je crois, sans trop d’erreur
Qu’elle n’a pas pour moi d’insurmontable horreur.
Sait-elle que le roi l’aime ?
D’une livrée en laine et d’une robe grise.
Je vois que vous aimez d’un amour épuré
Quelque auguste Toinon, maîtresse d’un curé !
Chut ! on vient. — En amour il faut savoir se taire
Quand on veut réussir.
N’est-ce pas ?
Est la seule enveloppe où la fragilité
D’une intrigue d’amour puisse être en sûreté !
Scène II.
Madame de Vendosme est divine !
D’Albe et de Montchevreuil sont de fort belles femmes.
Madame de Cossé les passe toutes trois.
Madame de Cossé ! sire, baissez la voix
Lui montrant M. de Cossé qui passe au fond du théâtre — M. de Cossé, court et ventru, un des quatre plus gros gentilshommes de France, dit Brantôme.
Le mari vous entend.
Qu’importe !
Il l’ira dire à madame Diane.
Qu’importe !
Il ne lui parle pas depuis huit jours entiers.
S’il l’allait renvoyer à son mari ?
Que non.
Partant quitte.
Quelle idée avait-il, ce vieillard singulier,
De mettre dans un lit nuptial sa Diane,
Sa fille, une beauté choisie et diaphane,
Un ange, que du ciel la terre avait reçu,
Tout pêle-mêle avec un sénéchal bossu !
C’est un vieux fou. — J’étais sur son échafaud même
Quand il reçut sa grâce. — Un vieillard grave et blême.
— J’étais plus plus près de lui que je ne suis de toi.
— Il ne dit rien, sinon : que Dieu garde le roi !
Il est fou maintenant tout-à-fait.
Vous partez !
Pour Soissons, où mon mari m’emmène.
N’est-ce pas une honte, alors que tout Paris,
Et les plus grands seigneurs et les plus beaux esprits,
Fixent sur vous des yeux pleins d’amoureuse envie,
À l’instant le plus beau d’une si belle vie,
Quand tous faiseurs de duels et de sonnets, pour vous,
Gardent leurs plus beaux vers et leurs plus fameux coups,
À l'heure où vos beaux yeux, semant partout les flammes,
Font sur tous leurs amants veiller toutes les femmes,
Que vous, qui d’un tel lustre éblouissez la cour
Que, ce soleil parti, l’on doute s’il fait jour,
Vous alliez, méprisant duc, empereur, roi, prince,
Briller, astre bourgeois, dans un ciel de province !
Calmez-vous !
Que d’éteindre le lustre au beau milieu du bal !
Voici mon jaloux, sire !
Ah ! le diable ait son âme !
À Triboulet
Je n’en ai pas moins fait un quatrain à sa femme !
Marot t’a-t-il montré ces derniers vers de moi ?…
Je ne lis pas de vers de vous. — Des vers de roi
Sont toujours très-mauvais.
Drôle !
Fasse rimer amour et jour vaille que vaille.
Mais près de la beauté gardez vos lots divers,
Sire, faites l’amour, Marot fera les vers.
Roi qui rime déroge.
Cela hausse le cœur. — Je veux mettre des ailes
À mon donjon royal.
C’est en faire un moulin.
Si je ne voyais là madame de Coislin,
Je te ferais fouetter.
Aussi vers celle-là !
Madame de Cossé. Je te gage ma foi
Qu’elle laisse tomber son gant pour que le roi
Le ramasse.
Observons.
L’ai-je dit ?
Admirable !
Voilà le roi repris !
Très-perfectionné.
Le mari !
Quittons-nous !
Que vient-il faire ici, ce gros ventru jaloux !
- À part.
Que se disaient-ils ?
Quoi ?
Votre femme est bien belle !
Qu’est-ce donc qui vous trotte ainsi par la cervelle ?
Pourquoi regardez-vous si souvent de côté ?
Monsieur, vous avez l’air tout encharibotté !
Oh ! que je suis heureux ! Près de moi, non, Hercules,
Et Jupiter ne sont que des fats ridicules !
L’Olympe est un taudis ! — Ces femmes, c’est charmant.
Je suis heureux ! et toi ?
Je ris tout bas du bal, des jeux, des amourettes ;
Moi, je critique, et vous, vous jouissez ; vous êtes
Heureux comme un roi, sire, et moi, comme un bossu.
Jour de joie où ma mère en riant m’a conçu !
- Regardant M. de Cossé qui sort.
Ce monsieur de Cossé, seul, dérange la fête.
Comment te semble-t-il ?
Outrageusement bête.
Ah ! n’importe ! excepté ce jaloux, tout me plaît.
Tout pouvoir, tout vouloir, tout avoir ! Triboulet !
Quel plaisir d’être au monde, et qu’il fait bon de vivre !
Quel bonheur !
Je crois bien, sire, vous êtes ivre !
Mais, là-bas, j’aperçois… les beaux yeux ! les beaux bras !
Madame de Cossé ?
Viens, tu nous garderas !
- Il chante.
Vivent les gais dimanches
Du peuple de Paris !
Quand les femmes sont blanches…
Quand les hommes sont gris !
Scène III.
Que savez-vous, ce soir ?
Et que le roi s’amuse.
Le roi s’amuse ? Ah diable !
Car un roi qui s’amuse est un roi dangereux.
Ce pauvre gros Cossé me met la mort dans l’âme.
Il paraît que le roi serre de près sa femme ?
Hé, voilà ce cher duc !
Une chose à brouiller le plus sage cerveau !
Une chose admirable ! une chose risible !
Une chose amoureuse ! une chose impossible !
Quoi donc ?
Chut !
Venez çà, maître Clément Marot !
Que me veut monseigneur ?
Vous êtes un grand sot.
Je ne me croyais grand en aucune manière.
J’ai lu dans votre écrit du siège de Peschière,
Ces vers sur Triboulet : « Fou de tête écorné,
Aussi sage à trente ans que le jour qu’il est né… — »
Vous êtes un grand sot !
Si je vous comprends !
Soit.
Monsieur de Simiane,
- À M. de Pardaillan.
Monsieur de Pardaillan,
Une chose inouïe arrive à Triboulet.
Il est devenu droit ?
On l’a fait connétable ?
On l’a servi tout cuit par hasard sur la table ?
Non, c’est plus drôle. Il a… — Devinez ce qu’il a. —
C’est incroyable !
Un duel avec Gargantua ?
Point.
Un singe plus laid que lui ?
Non pas.
Pleine d’écus ?
L’emploi du chien du tourne-broche ?
Un rendez-vous avec la Vierge au paradis ?
Une âme, par hasard ?
Triboulet le bouffon, Triboulet le difforme,
Cherchez bien ce qu’il a… — quelque chose d’énorme !
Sa bosse ?
Une maîtresse !
Ah ! ah ! Le duc est fort plaisant.
Le bon conte !
Et je vous ferai voir la porte de la dame.
Il y va tous les soirs, vêtu d’un manteau brun,
L’air sombre et furieux, comme un poète à jeun.
Je lui veux faire un tour. Rôdant, à la nuit close,
Près de l’hôtel Cossé, j’ai découvert la chose.
Gardez-moi le secret.
Quoi ! Triboulet la nuit se change en Cupido !
Une femme à messer Triboulet !
Sur un cheval de bois !
Si quelque autre Bedfort débarquait à Calais,
Aurait tout ce qu’il faut pour chasser les Anglais !
Chut !
Tous les jours, et tout seul, comme cherchant fortune ?
Vic nous dira cela.
C’est que sa majesté paraît s’amuser fort.
Ah ! ne m’en parlez pas !
De quel côté le vent pousse sa fantaisie,
Pourquoi le soir il sort, dans sa cape d’hiver,
Méconnaissable en tout de vêtements et d’air,
Si de quelque fenêtre il se fait une porte,
N’étant pas marié, mes amis, que m’importe !
Un roi, — les vieux seigneurs, messieurs, savent cela, —
Prend toujours chez quelqu’un tout le plaisir qu’il a.
Gare à quiconque a sœur, femme ou fille à séduire !
Un puissant en gaîté ne peut songer qu’à nuire.
Il est bien des sujets de craindre là-dedans.
D’une bouche qui rit on voit toutes les dents.
Comme il a peur du roi !
En a moins peur que lui.
C’est ce qui l’épouvante.
Cossé, vous avez tort. Il est très-important
De maintenir le roi gai, prodigue et content.
Je suis de ton avis, comte ! un roi qui s’ennuie,
C’est une fille en noir, c’est un été de pluie.
C’est un amour sans duel.
C’est un flacon plein d’eau.
Le roi revient avec Triboulet-Cupido.
Scène IV
Des savants à la cour ! monstruosité rare !
Fais entendre raison à ma sœur de Navarre.
Elle veut m’entourer de savants.
Convenez de ceci, — que j’ai bu moins que vous.
Donc, sire, j’ai sur vous, pour bien juger les choses,
Dans tous leurs résultats et dans toutes leurs causes,
Un avantage immense, et même deux, je croi,
C’est de n’être pas gris, et de n’être pas roi.
— Plutôt que des savants, ayez ici la peste,
La fièvre, et cætera !
Ma sœur veut m’entourer de savants !
De la part d’une sœur. — Il n’est pas d’animal,
Pas de corbeau goulu, pas de loup, pas de chouette,
Pas d’oison, pas de bœuf, pas même de poète,
Pas de mahométan, pas de théologien,
Pas d’échevin flamand, pas d’ours et pas de chien,
Plus laid, plus chevelu, plus repoussant de formes,
Plus caparaçonné d’absurdités énormes,
Plus hérissé, plus sale et plus gonflé de vent,
Que cet âne bâté qu’on appelle un savant !
— Manquez-vous de plaisirs, de pouvoir, de conquêtes,
Et de femmes en fleur pour parfumer vos fêtes !
Hai… ma sœur Marguerite un soir m’a dit très-bas
Que les femmes toujours ne me suffiraient pas,
Et quand je m’ennuîrai…
Conseiller les savants à quelqu’un qui s’ennuie !
Madame Marguerite est, vous en conviendrez,
Toujours pour les partis les plus désespérés.
Hé bien, pas de savants, mais cinq ou six poètes…
Sire ! j’aurais plus peur, étant ce que vous êtes,
D’un poète, toujours de rimes barbouillé,
Que Belzébuth n’a peur d’un goupillon mouillé.
Cinq ou six…
C’est une académie, une ménagerie !
- Montrant Marot.
N’avons-nous pas assez de Marot que voici,
Sans nous empoisonner de poètes ainsi !
Grand merci !
À part.
Le bouffon eût mieux fait de se taire.
Les femmes, sire ! ah Dieu ! c’est le ciel, c’est la terre !
C’est tout ! Mais vous avez les femmes ! vous avez
Les femmes ! laissez-moi tranquille ! vous rêvez,
De vouloir des savants !
Je m’en soucie autant qu’un poisson d’une pomme.
Tiens, voilà des muguets qui se raillent de toi.
Non, c’est d’un autre fou.
Bah ! de qui donc ?
Du roi.
Vrai ! que chantent-ils ?
Et qu’argent et faveurs s’en vont dans la Navarre.
Qu’on ne fait rien pour eux.
Tous les trois. — Montchenu, Brion, Montmorency.
Juste.
Ces courtisans ! engeance détestable !
J’ai fait l’un amiral, le second connétable,
Et l’autre, Montchenu, maître de mon hôtel.
Ils ne sont pas contents ! as-tu vu rien de tel ?
Mais vous pouvez encor, c’est justice à leur rendre,
Les faire quelque chose.
Et quoi ?
Faites-les pendre.
Messieurs, entendez-vous ce que dit Triboulet ?
Oui, certe !
Il le paîra !
Misérable valet !
Mais, sire, vous devez avoir parfois dans l’âme
Un vide… — Autour de vous n’avoir pas une femme
Dont l’œil vous dise non, dont le cœur dise oui !
Qu’en sais-tu ?
Ce n’est pas être aimé.
Il n’est pas dans ce monde une femme qui m’aime ?
Sans vous connaître ?
À part.
Sans compromettre ici
Ma petite beauté du cul-de-sac Bussy.
Une bourgeoise donc ?
Pourquoi non ?
Une bourgeoise ! ô ciel ! votre amour se hasarde.
Les bourgeois sont parfois de farouches Romains.
Quand on touche à leur bien, la marque en reste aux mains.
Tenez, contentons-nous, fous et rois que nous sommes,
Des femmes et des sœurs de vos bons gentilshommes.
Oui, je m’arrangerai de la femme à Cossé.
Prenez-la.
À faire.
Enlevons-la cette nuit.
Et le comte ?
Et la Bastille ?
Oh non !
Faites-le duc.
Il refusera tout et criera sur les toits.
Cet homme est fort gênant, qu’on le paie ou l’exile…
Mais il est un moyen, commode, très-facile,
Simple, auquel je devrais avoir déjà pensé.
— Faites couper la tête à monsieur de Cossé.
— … On suppose un complot avec l’Espagne ou Rome…
Oh ! le petit satan !
Y penses-tu ? couper la tête que voilà ?
Regarde cette tête, ami ! Vois-tu cela ?
S’il en sort une idée, elle est toute cornue.
Comme le moule, auquel elle était contenue.
Couper ma tête !
Eh bien ?
Tu le pousses à bout.
Que diable ! on n’est pas roi pour se gêner en tout.
Pour ne point se passer la moindre fantaisie.
Me couper la tête ! ah ! j’en ai l’âme saisie.
Mais c’est tout simple. — Où donc est la nécessité
De ne vous pas couper la tête ?
Je te châtierai, drôle !
Entouré de puissants auxquels je fais la guerre,
Je ne crains rien, monsieur, car je n’ai sur le cou
Autre chose à risquer que la tête d’un fou.
Je ne crains rien, sinon que ma bosse me rentre
Au corps, et comme à vous me tombe dans le ventre,
Ce qui m’enlaidirait.
Maraud !
Viens, fou !
Le roi se tient de rire les côtés !
Comme à la moindre chose il rit, il s’abandonne !
C’est curieux. Un roi qui s’amuse en personne !
Vengeons-nous du bouffon !
Hun !
Par où le prendre ? où donc le frapper ?
Nous avons contre lui chacun quelque rancune ;
Nous pouvons nous venger.
Ce soir, tous bien armés, au cul-de-sac Bussy, —
Près de l’hôtel Cossé. — Plus un mot de ceci.
Je devine.
C’est dit ?
C’est dit.
Silence ! il rentre.
À qui jouer un tour maintenant ? — au roi… — Diantre !
Monsieur de Saint-Vallier, un vieillard tout en noir,
Demande à voir le Roi.
Monsieur de Saint-Vallier.
Le valet sort.
C’est charmant ! comment diable !
Mais cela va nous faire un esclandre effroyable !
Je veux parler au Roi !
Non !… qui donc est entré ?
Parler au Roi !
Non, non !
Scène V.
Si ! Je vous parlerai !
Monsieur de Saint-Vallier !
C’est ainsi qu’on me nomme.
Oh, sire ! laissez-moi haranguer le bonhomme.
À M. de Saint-Vallier, avec une attitude théâtrale.
Monseigneur ! — vous aviez conspiré contre nous,
Nous vous avons fait grâce, en roi clément et doux.
C’est au mieux. Quelle rage à présent vient vous prendre
D’avoir des petits-fils de monsieur votre gendre ?
Votre gendre est affreux, mal bâti, mal tourné,
Marqué d’une verrue au beau milieu du né,
Borgne, disent les uns, velu, chétif et blême,
Ventru comme monsieur,
Il montre M. de Cossé, qui se cabre.
Bossu comme moi-même.
Qui verrait votre fille à son côté, rirait.
Si le roi n’y mettait bon ordre, il vous ferait
Des petits-fils tortus, des petits-fils horribles,
Roux, brèche-dents, manqués, effroyables, risibles,
Ventrus comme monsieur,
Montrant encore M. de Cossé, qu’il salue et qui s’indigne.
Et bossus comme moi !
Votre gendre est trop laid ! — Laissez faire le roi,
Et vous aurez un jour des petits-fils ingambes
Pour vous tirer la barbe et vous grimper aux jambes.
Une insulte de plus ! — Vous, sire, écoutez-moi,
Comme vous le devez, puisque vous êtes roi !
Vous m’avez fait un jour mener pieds nus en Grève ;
Là, vous m’avez fait grâce, ainsi que dans un rêve,
Et je vous ai béni, ne sachant en effet
Ce qu’un roi cache au fond d’une grâce qu’il fait.
Or, vous aviez caché ma honte dans la mienne. —
Oui, sire, sans respect pour une race ancienne,
Pour le sang de Poitiers, noble depuis mille ans,
Tandis que, revenant de la Grève à pas lents,
Je priais dans mon cœur le dieu de la victoire
Qu’il vous donnât mes jours de vie en jours de gloire,
Vous, François de Valois, le soir du même jour,
Sans crainte, sans pitié, sans pudeur, sans amour,
Dans votre lit, tombeau de la vertu des femmes,
Vous avez froidement, sous vos baisers infâmes,
Terni, flétri, souillé, déshonoré, brisé
Diane de Poitiers, comtesse de Brezé !
Quoi, lorsque j’attendais l’arrêt qui me condamne,
Tu courais donc au Louvre, ô ma chaste Diane !
Et lui, ce roi, sacré chevalier par Bayard,
Jeune homme auquel il faut des plaisirs de vieillard,
Pour quelques jours de plus dont Dieu seul sait le compte,
Ton père sous ses pieds, te marchandait ta honte,
Et cet affreux tréteau, chose horrible à penser !
Qu’un matin le bourreau vint en Grève dresser,
Avant la fin du jour, devait être, ô misère !
Ou le lit de la fille, ou l’échafaud du père !
Ô Dieu ! qui nous jugez ! qu’avez-vous dit là-haut,
Quand vos regards ont vu, sur ce même échafaud,
Se vautrer, triste et louche, et sanglante et souillée,
La luxure royale en clémence habillée !
Sire ! en faisant cela, vous avez mal agi.
Que du sang d’un vieillard le pavé fût rougi,
C’était bien. Ce vieillard, peut-être respectable,
Le méritait, étant de ceux du connétable.
Mais que pour le vieillard vous ayez pris l’enfant,
Que vous ayez broyé sous un pied triomphant
La pauvre femme en pleurs, à s’effrayer trop prompte,
C’est une chose impie, et dont vous rendrez compte !
Vous avez dépassé votre droit d’un grand pas.
Le père était à vous, mais la fille, non pas.
Ah ! vous m’avez fait grâce ! — Ah ! vous nommez la chose
Une grâce ! et je suis un ingrat, je suppose !
— Sire, au lieu d’abuser ma fille, bien plutôt
Que n’êtes-vous venu vous-même en mon cachot !
Je vous aurais crié : — Faites-moi mourir, grâce !
Oh ! grâce pour ma fille, et grâce pour ma race !
Oh ! faites-moi mourir ! la tombe, et non l’affront !
Pas de tête plutôt qu’une souillure au front !
Oh ! mon seigneur le roi, puisqu’ainsi l’on vous nomme,
Croyez-vous qu’un chrétien, un comte, un gentilhomme,
Soit moins décapité, répondez, mon seigneur,
Quand au lieu de la tête il lui manque l’honneur ?
— J’aurais dit cela, sire et le soir, dans l’église,
Dans mon cercueil sanglant baisant ma barbe grise,
Ma Diane au cœur pur, ma fille au front sacré,
Honorée, eût prié pour son père honoré !
— Sire, je ne viens pas redemander ma fille ;
Quand on n’a plus d’honneur, on n’a plus de famille.
Qu’elle vous aime ou non d’un amour insensé,
Je n’ai rien à reprendre où la honte a passé.
Gardez-la. — Seulement je me suis mis en tête
De venir vous troubler ainsi dans chaque fête,
Et jusqu’à ce qu’un père, un frère, ou quelque époux,
— La chose arrivera, — nous ait vengé de vous,
Pâle, à tous vos banquets, je reviendrai vous dire :
— Vous avez mal agi, vous avez mal fait, sire ! —
Et vous m’écouterez, et votre front terni
Ne se relèvera que quand j’aurai fini.
Vous voudrez, pour forcer ma vengeance à se taire,
Me rendre au bourreau. Non. Vous ne l’oserez faire,
De peur que ce ne soit mon spectre qui demain
Revienne vous parler, — cette tête à la main !
On s’oublie à ce point d’audace et de délire !… —
À M. de Pienne.
Duc ! arrêtez monsieur !
Le bonhomme est fou, sire !
Soyez maudits tous deux ! —
Au Roi.
Sire, ce n’est pas bien.
Sur le lion mourant vous lâchez votre chien !
À Triboulet.
Qui que tu sois, valet à langue de vipère,
Qui fais risée ainsi de la douleur d’un père,
Sois maudit ! —
Au Roi.
J’avais droit d’être par vous traité
Comme une majesté par une majesté.
Vous êtes roi, moi père, et l’âge vaut le trône.
Nous avons tous les deux au front une couronne
Où nul ne doit lever de regards insolents,
Vous, de fleurs-de-lis d’or, et moi, de cheveux blancs.
Roi, quand un sacrilége ose insulter la vôtre,
C’est vous qui la vengez ; — c’est Dieu qui venge l’autre !