Le roi s’amuse/Acte II
II
SALTABADIL.
PERSONNAGES.
FRANÇOIS PREMIER.
TRIBOULET.
BLANCHE.
SALTABADIL.
CLÉMENT MAROT.
M. DE PIENNE.
M. DE GORDES.
M. DE PARDAILLAN.
M. DE BRION.
M. DE MONTCHENU.
M. DE MONTMORENCY.
M. DE COSSÉ.
DAME BÉRARDE.
ACTE II.

Scène I.
M. DE PIENNE et M. DE GORDES au fond du théâtre.
Ce vieillard m’a maudit !
Monsieur…
Cherchant dans sa poche.
Je n’ai rien.
Je ne demande rien, monsieur ! fi donc !
C’est bien !
Monsieur me juge mal. Je suis homme d’épée.
À part.
Est-ce un voleur ?
Je vous vois tous les soirs de ce côté rôder.
Vous avez l’air d’avoir une femme à garder !
À part.
Diable !
Haut.
Je ne dis pas mes affaires aux autres.
Mais c’est pour votre bien qu’on se mêle des vôtres.
Si vous me connaissiez, vous me traiteriez mieux.
S’approchant.
Peut-être à votre femme un fat fait les doux yeux,
Et vous êtes jaloux ?…
Que voulez-vous en somme ?
Pour quelque paraguante on vous tuera votre homme.
Ah ! c’est fort bien !
Un honnête homme.
Peste !
C’est pour de bons desseins.
Oui, certe, un homme utile !
Le gardien de l’honneur des dames de la ville.
Et combien prenez-vous pour tuer un galant ?
C’est selon le galant qu’on tue, — et le talent
Qu’on a.
Pour dépêcher un grand seigneur ?
On court plus d’un péril de coups d’épée au ventre.
Ces gens-là sont armés. On y risque sa chair.
Le grand seigneur est cher.
Est-ce que les bourgeois, par hasard, se permettent
De se faire tuer entr’eux ?
— C’est un luxe pourtant. — Luxe, vous comprenez,
Qui reste en général parmi les gens bien nés.
Il est quelques faquins, qui, pour de grosses sommes,
Tiennent à se donner des airs de gentilshommes,
Et me font travailler. — Mais ils me font pitié…
— On me donne moitié d’avance, et la moitié
Après.
Oui, vous risquez le gibet, le supplice…
Non, non, nous redevons un droit à la police.
Tant pour un homme ?
Qu’on n’ait tué, mon Dieu !… qu’on n’ait tué… le Roi !
Et comment t’y prends-tu ?
Ou chez moi, comme on veut.
Ta manière est civile.
J’ai, pour aller en ville, un estoc bien pointu.
J’attends l’homme le soir…
Chez toi, comment fais-tu ?
J’ai ma sœur Maguelonne, une fort belle fille
Qui danse dans la rue, et qu’on trouve gentille.
Elle attire chez nous le galant une nuit…
Je comprends.
C’est décent. — Donnez-moi, monsieur, votre pratique,
Vous en serez content. Je ne tiens pas boutique,
Je ne fais pas d’éclat. Surtout, je ne suis point
De ces gens à poignard, serrés dans leur pourpoint,
Qui vont se mettre dix pour la moindre équipée,
Bandits, dont le courage est court comme l’épée.
Voici mon instrument. —
Triboulet recule d’effroi.
Pour vous servir.
— Merci, je n’ai besoin de rien pour le moment.
Tant pis. — Quand vous voudrez me voir, je me promène
Tous les jours à midi devant l’hôtel du Maine.
Mon nom, Saltabadil.
Bohême ?
Et Bourguignon.
Bas à M. de Pienne.
Un homme précieux, et dont je prends le nom.
Monsieur, ne pensez pas mal de moi, je vous prie.
Non. Que diable, il faut bien avoir une industrie !
À moins de mendier, et d’être un fainéant,
Un gueux. — J’ai quatre enfants…
De ne pas élever…
Le congédiant.
Le ciel vous tienne en joie !
Il fait grand jour encor, je crains qu’il ne nous voie.
Bonsoir !
Adiusias. Tout votre serviteur.
Nous sommes tous les deux à la même hauteur.
Une langue acérée, une lame pointue.
Je suis l’homme qui rit, il est l’homme qui tue.
Scène II.
Ce vieillard m’a maudit !… — Pendant qu’il me parlait,
Pendant qu’il me criait : — Oh ! sois maudit, valet ! —
Je raillais sa douleur, — oh ! oui, j’étais infâme,
Je riais, mais j’avais l’épouvante dans l’âme. —
Il va s’asseoir sur le petit banc près de la table de pierre.
Maudit !
Profondément rêveur et la main sur son front.
Ah ! la nature et les hommes m’ont fait
Bien méchant, bien cruel et bien lâche en effet.
Ô rage ! être bouffon ! ô rage ! être difforme !
Toujours cette pensée ! et, qu’on veille ou qu’on dorme,
Quand du monde en rêvant vous avez fait le tour,
Retomber sur ceci : Je suis bouffon de cour !
Ne vouloir, ne pouvoir, ne devoir et ne faire
Que rire ! — Quel excès d’opprobre et de misère !
Quoi ! ce qu’ont les soldats ramassés en troupeau
Autour de ce haillon qu’ils appellent drapeau,
Ce qui reste, après tout, au mendiant d’Espagne,
À l’esclave en Tunis, au forçat dans son bagne,
À tout homme, ici-bas, qui respire et se meut,
Le droit de ne pas rire et de pleurer, s’il veut,
Je ne l’ai pas ! — Ô Dieu ! triste et l’humeur mauvaise,
Pris dans un corps mal fait où je suis mal à l’aise,
Tout rempli de dégoût de ma difformité,
Jaloux de toute force et de toute beauté,
Entouré de splendeurs qui me rendent plus sombre,
Parfois, farouche et seul, si je cherche un peu l’ombre,
Si je veux recueillir et calmer un moment
Mon âme qui sanglote et pleure amèrement,
Mon maître tout à coup survient, mon joyeux maître,
Qui, tout-puissant, aimé des femmes, content d’être,
À force de bonheur oubliant le tombeau,
Grand, jeune, et bien portant, et roi de France, et beau,
Me pousse avec le pied dans l’ombre où je soupire,
Et me dit en bâillant : Bouffon, fais-moi donc rire !
— Ô pauvre fou de cour ! — C’est un homme, après tout !
— Eh bien ! la passion qui dans son âme bout,
La rancune, l’orgueil, la colère hautaine,
L’envie et la fureur dont sa poitrine est pleine,
Le calcul éternel de quelque affreux dessein,
Tous ces noirs sentiments qui lui rongent le sein,
Sur un signe du maître, en lui-même il les broie,
Et, pour quiconque en veut, il en fait de la joie !
— Abjection ! s’il marche, ou se lève, ou s’assied,
Toujours il sent le fil qui lui tire le pied.
— Mépris de toute part ! — Tout homme l’humilie.
Ou bien c’est une reine, une femme jolie,
Demi-nue et charmante, et dont il voudrait bien,
Qui le laisse jouer sur son lit, comme un chien ! —
Aussi, mes beaux seigneurs, mes railleurs gentilshommes,
Hun ! comme il vous hait bien ! quels ennemis nous sommes !
Comme il vous fait parfois payer cher vos dédains !
Comme il sait leur trouver des contre-coups soudains !
Il est le noir démon qui conseille le maître.
Vos fortunes, messieurs, n’ont plus le temps de naître,
Et, sitôt qu’il a pu dans ses ongles saisir
Quelque belle existence, il l’effeuille à plaisir !
— Vous l’avez fait méchant ! — Ô douleur ! est-ce vivre ?
Mêler du fiel au vin dont un autre s’enivre,
Si quelque bon instinct germe en soi, l’effacer,
Étourdir de grelots l’esprit qui veut penser,
Traverser, chaque jour, comme un mauvais génie,
Des fêtes qui pour vous ne sont qu’une ironie,
Démolir le bonheur des heureux, par ennui,
N’avoir d’ambition qu’aux ruines d’autrui,
Et contre tous, partout où le hasard vous pose,
Porter toujours en soi, mêler à toute chose,
Et garder, et cacher sous un rire moqueur
Un fond de vieille haine extravasée au cœur !
Oh ! je suis malheureux ! —
Se levant du banc de pierre où il est assis.
Mais ici, que m’importe ?
Suis-je pas un autre homme en passant cette porte ?
Oublions un instant le monde dont je sors.
Ici je ne dois rien apporter du dehors.
Retombant dans sa rêverie.
— Ce vieillard m’a maudit ! — Pourquoi cette pensée
Revient-elle toujours lorsque je l’ai chassée ?
Pourvu qu’il n’aille rien m’arriver ?
Haussant les épaules.
Suis-je fou ?
Scène III.
Ma fille !
— Sur mon cœur ! — Près de toi, tout rit, rien ne me pèse,
Enfant, je suis heureux, et je respire à l’aise !
— Plus belle tous les jours ! — Tu ne manques de rien,
Dis ? — es-tu bien ici ? — Blanche, embrasse-moi bien !
Comme vous êtes bon, mon père !
Voilà tout. N’es-tu pas ma vie et mon sang même ?
Si je ne t’avais point, qu’est-ce que je ferais,
Mon Dieu !
N’est-ce pas ? Dites-les à votre pauvre fille.
Hélas ! je ne sais pas, moi, quelle est ma famille.
Enfant, tu n’en as pas !
J’ignore votre nom.
Que t’importe mon nom !
De la petite ville où je fus élevée,
Me croyaient orpheline, avant votre arrivée.
J’aurais dû t’y laisser. C’eût été plus prudent.
Mais je ne pouvais plus vivre ainsi cependant.
J’avais besoin de toi, besoin d’un cœur qui m’aime.
Si vous ne voulez pas me parler de vous-même…
Ne sors jamais !
Je suis allée en tout à l’église huit fois.
Bien.
Mon bon père, au moins parlez-moi de ma mère !
Oh ! ne réveille pas une pensée amère,
Ne me rappelle pas qu’autrefois j’ai trouvé,
— Et, si tu n’étais là, je dirais : j’ai rêvé, —
Une femme contraire à la plupart des femmes,
Qui, dans ce monde, où rien n’appareille les âmes,
Me voyant seul, infirme, et pauvre, et détesté,
M’aima pour ma misère et ma difformité !
Elle est morte, emportant dans la tombe avec elle
L’angélique secret de son amour fidèle,
De son amour, passé sur moi comme un éclair,
Rayon du paradis tombé dans mon enfer !
Que la terre, toujours à nous recevoir prête,
Soit légère à ce sein qui reposa ma tête !
— Toi, seule, m’es restée ! —
Levant les yeux au ciel.
Eh bien ! mon Dieu, merci !
Que vous devez souffrir ! vous voir pleurer ainsi,
Non, je ne le veux pas, non, cela me déchire !
Et que dirais-tu donc si tu me voyais rire !
Mon père, qu’avez-vous ? dites-moi votre nom.
Oh ! versez dans mon sein toutes vos peines !
À quoi bon me nommer ? Je suis ton père. — Écoute,
Hors d’ici, vois-tu bien, peut-être on me redoute,
Qui sait ? l’un me méprise et l’autre me maudit.
Mon nom, qu’en ferais-tu quand je te l’aurais dit ?
Je veux ici, du moins, je veux, en ta présence,
Dans ce seul coin du monde où tout soit innocence,
N’être pour toi qu’un père, un père vénéré,
Quelque chose de saint, d’auguste et de sacré !
Mon père !
Oh ! je t’aime pour tout ce que je hais au monde !
— Assieds-toi près de moi. Viens, parlons de cela.
Dis, aimes-tu ton père ? et puisque nous voilà
Ensemble, et que ta main entre mes mains repose,
Qu’est-ce donc qui nous force à parler d’autre chose ?
Hé fille, ô seul bonheur que le ciel m’ait permis,
D’autres ont des parents, des frères, des amis,
Une femme, un mari, des vassaux, un cortège
D’aïeux et d’alliés, plusieurs enfants, que sais-je ?
Moi, je n’ai que toi seule ! Un autre est riche, — eh bien,
Toi seule es mon trésor, et toi seule es mon bien !
Un autre croit en Dieu. Je ne crois qu’en ton âme !
D’autres ont la jeunesse et l’amour d’une femme,
Ils ont l’orgueil, l’éclat, la grâce et la santé,
Ils sont beaux ; moi, vois-tu, je n’ai que ta beauté !
Chère enfant ! — Ma cité, mon pays, ma famille,
Mon épouse, ma mère, et ma sœur, et ma fille,
Mon bonheur, ma richesse, et mon culte, et ma loi,
Mon univers, c’est toi, toujours toi, rien que toi !
De tout autre côté ma pauvre âme est froissée.
— Oh ! si je te perdais !… — Non, c’est une pensée
Que je ne pourrais pas supporter un moment !
— Souris-moi donc un peu. — Ton sourire est charmant.
Oui, c’est toute ta mère ! — Elle était aussi belle.
Tu te passes souvent la main au front comme elle,
Comme pour l’essuyer, car il faut au cœur pur
Un front tout innocence et des yeux tout azur.
Tu rayonnes pour moi d’une angélique flamme,
À travers ton beau corps mon âme voit ton âme,
Même les yeux fermés, c’est égal, je te vois.
Le jour me vient de toi. Je me voudrais parfois
Aveugle et l’œil voilé d’obscurité profonde,
Afin de n’avoir pas d’autre soleil au monde !
Oh ! que je voudrais bien vous rendre heureux !
Je suis heureux ici ! quand je vous aperçoi,
Ma fille, c’est assez pour que mon cœur se fonde.
Il lui passe la main dans les cheveux en souriant.
Oh ! les beaux cheveux noirs ! enfant, vous étiez blonde,
Qui le croirait ?
Je voudrais bien sortir, et voir Paris un peu.
Jamais, jamais ! — Ma fille, avec dame Bérarde
Tu n’es jamais sortie, au moins ?
Non.
Prends-y garde !
Je ne vais qu’à l’église.
On la suivrait, peut-être on me l’enlèverait !
La fille d’un bouffon, cela se déshonore,
Et l’on ne fait qu’en rire ! oh ! —
Haut.
Je t’en prie encore,
Reste ici renfermée ! Enfant, si tu savais
Comme l’air de Paris aux femmes est mauvais !
Comme les débauchés vont courant par la ville !
Oh ! les seigneurs surtout !
Levant les yeux au ciel
Ô Dieu ! dans cet asile,
Fais croître sous tes yeux, préserve des douleurs
Et du vent orageux qui flétrit d’autres fleurs,
Garde de toute haleine impure, même en rêve,
Pour qu’un malheureux père, à ses heures de trêve,
En puisse respirer le parfum abrité,
Cette rose de grâce et de virginité !
Je ne parlerai plus de sortir ; mais, par grâce,
Ne pleurez pas ainsi !
J’ai tant ri l’autre nuit !
Se levant.
Mais c’est trop m’oublier.
Blanche, il est temps d’aller reprendre mon collier.
Adieu.
Reviendrez-vous bientôt, dites ?
Vois-tu, ma pauvre enfant, je ne suis pas mon maître.
Appelant.
Dame Bérarde !
Quoi, monsieur ?
Personne ne me voit entrer ?
C’est si désert !
À dame Bérarde.
La porte sur le quai, vous la tenez fermée ?
Dame Bérarde fait un signe affirmatif.
Je sais une maison, derrière Saint-Germain,
Plus retirée encor. Je la verrai demain.
Mon père, celle-ci me plaît pour la terrasse
D’où l’on voit les jardins.
Écoutant.
Marche-t-on pas dehors ?
Il va à la porte de la cour, l’ouvre et regarde avec inquiétude dans la rue. Le roi se cache dans un enfoncement près de la porte, que Triboulet laisse entr’ouverte.
Aller respirer là ?
Prends garde, on peut t’y voir.
À dame Bérarde.
Vous, ne mettez jamais de lampe à la fenêtre.
Et comment voulez-vous qu’un homme ici pénètre ?
Quelles précautions ! mon père, dites-moi,
Mais que craignez-vous donc ?
Rien pour moi, tout pour toi !
Blanche, ma fille, adieu !
Il rit.
Comment, diable !
La fille à Triboulet ! l’histoire est impayable !
J’y pense, quand tu vas à l’église prier,
Personne ne vous suit ?
Jamais !
Si l’on vous suivait.
Ah ! j’appellerais main-forte !
Et puis, n’ouvrez jamais si l’on frappe à la porte.
Quand ce serait le Roi !
Surtout si c’est le Roi !
Scène IV.
J’ai du remords, pourtant !
Du remords ! et pourquoi ?
Comme à la moindre chose il s’effraie et s’alarme !
En partant, dans ses yeux j’ai vu luire une larme.
Pauvre père ! si bon ! j’aurais dû l’avertir
Que le dimanche, à l’heure où nous pouvons sortir,
Un jeune homme nous suit. — Tu sais, ce beau jeune homme.
Pourquoi donc lui conter cela, madame ? en somme,
Votre père est un peu sauvage et singulier.
Vous haïssez donc bien ce jeune cavalier ?
Moi, le haïr ! oh ! non. — Hélas ! bien au contraire,
Depuis que je l’ai vu rien ne peut m’en distraire.
Du jour où son regard à mon regard parla
Le reste n’est plus rien, je le vois toujours là,
Je suis à lui ! vois-tu, je m’en fais une idée… —
Il me semble plus grand que tous d’une coudée !
Comme il est brave et doux ! comme il est noble et fier !
Bérarde ! et qu’à cheval il doit avoir bel air !
C’est vrai qu’il est charmant !
Un tel homme doit être…
Accompli.
Un grand cœur !
Certe ! un cœur immense !
Valeureux.
Formidable !
Et pourtant… bon.
Tendre !
Généreux.
Magnifique !
Il me plaît !
Ses yeux ! — son front ! — son nez !… —
Qui m’admire en détail ! je suis dévalisé !
Je t’aime d’en parler aussi bien.
Je le sai.
De l’huile sur le feu !
Valeureux, généreux…
Diable ! elle recommence !
C’est un très-grand seigneur, il a l’air élégant,
Et quelque chose en or de brodé sur son gant.
Non, je ne voudrais pas qu’il fût seigneur ni prince
Mais un pauvre écolier qui vient de sa province,
Cela doit mieux aimer.
Si vous le préférez ainsi.
À part.
Drôle de goût !
Cerveau de jeune fille, où tout se contrarie !
Essayant encore de tendre la main au Roi.
Ce beau jeune homme-là vous aime à la furie.
À part.
Je crois notre homme à sec. — Plus un sou, plus un mot.
Le dimanche jamais ne revient assez tôt.
Quand je ne le vois pas, ma tristesse est bien grande.
Oh ! j’ai cru l’autre jour, au moment de l’offrande,
Qu’il allait me parler, et le cœur m’a battu !
J’y songe nuit et jour ! de son côté, vois-tu,
L’amour qu’il a pour moi l’absorbe. Je suis sûre
Que toujours dans son âme il porte ma figure.
C’est un homme ainsi fait, oh ! cela se voit bien !
D’autres femmes que moi ne le touchent en rien ;
Il n’est pour lui ni jeux, ni passe-temps, ni fête.
Il ne pense qu’à moi.
J’en jurerais ma tête !
Ma bague pour la tête !
En y songeant le jour, la nuit, en y rêvant,
L’avoir là,… — devant moi,…
Elle a le visage tourné du côté opposé.
sois heureux ! sois content ! oh ! oui, je t’ai…
Achève ! achève ! — Oh ! dis : je t’aime ! Ne crains rien.
Dans une telle bouche un tel mot va si bien !
Bérarde !… — Plus personne, ô Dieu ! qui me réponde !
Personne !
Deux amants heureux, c’est tout un monde !
Monsieur, d’où venez-vous ?
Qu’importe ! que je sois Satan ou Gabriel,
Je t’aime !
Qu’on ne vous a point vu ! sortez ! — Dieu ! si mon père…
Sortir, quand palpitante en mes bras je te tiens,
Lorsque je t’appartiens ! lorsque tu m’appartiens !
— Tu m’aimes ! tu l’as dit.
Il m’écoutait !
Quel concert plus divin veux-tu donc que j’écoute ?
Ah ! vous m’avez parlé. — Maintenant, par pitié,
Sors !
Quand notre double étoile au même horizon brille,
Quand je viens éveiller ton cœur de jeune fille,
Quand le ciel m’a choisi pour ouvrir à l’amour
Ton âme vierge encore et ta paupière au jour !
Viens, regarde, oh ! l’amour, c’est le soleil de l’âme !
Te sens-tu réchauffée à cette douce flamme ?
Le sceptre que la mort vous donne et vous reprend,
La gloire qu’on ramasse à la guerre en courant,
Se faire un nom fameux, avoir de grands domaines,
Être empereur ou roi, ce sont choses humaines,
Il n’est sur cette terre, où tout passe à son tour,
Qu’une chose qui soit divine, et c’est l’amour !
Blanche, c’est le bonheur que ton amant t’apporte,
Le bonheur, qui, timide, attendait à ta porte !
La vie est une fleur, l’amour en est le miel.
C’est la colombe unie à l’aigle dans le ciel,
C’est la grâce tremblante à la force appuyée,
C’est ta main dans ma main doucement oubliée…
— Aimons-nous ! aimons-nous !
Non ! Laissez !
Il va bien !
Elle est prise !
Haut.
Dis-moi que tu m’aimes !
Vaurien !
Blanche ! redis-le moi !
Vous le savez.
Je suis heureux !
Je suis perdue !
Non, heureuse avec moi !
Dites-moi votre nom.
Il est temps d’y songer !
Vous n’êtes pas au moins seigneur ni gentilhomme ?
Mon père les craint tant !
À part.
— Voyons ?…
Il cherche.
Gaucher Mahiet. — Je suis un écolier…
Très-pauvre !…
Est-il menteur !
C’est ici, chevalier !
J’entends quelqu’un dehors.
C’est mon père peut-être !
Partez, monsieur !
Qui me dérange ainsi !
Par la porte du quai.
M’aimeras-tu demain ?
Et vous ?
Ma vie entière !
Ah ! vous me tromperez, car je trompe mon père.
Jamais ! — Un seul baiser, Blanche, sur tes beaux yeux.
Mais c’est un embrasseur tout à fait furieux !
Non, non !
Scène V.
Grave-toi dans mon cœur !
Messieurs, c’est elle-même !
Voyons !
À M. de Pienne.
Je te plains
Si tu fais ton régal de femmes de vilains !
Comment la trouves-tu ?
La vilaine est jolie !
C’est une fée ! un ange ! une grâce accomplie !
Quoi ! c’est là la maîtresse à messer Triboulet !
Le sournois !
Le faquin !
C’est juste. — Jupiter aime à croiser les races.
Messieurs, ne perdons pas notre temps en grimaces.
Nous avons résolu de punir Triboulet.
Or, nous sommes ici, tous, à l’heure qu’il est,
Avec notre rancune, et, de plus, une échelle.
Escaladons le mur et volons-lui sa belle,
Portons la dame au Louvre, et que sa majesté
À son lever demain trouve cette beauté.
Le roi mettra la main dessus, que je suppose.
Le diable à sa façon débrouillera la chose !
Bien dit. À l’œuvre !
Au fait, c’est un morceau de roi.
Je reviens… à quoi bon ? Ah ! je ne sais pourquoi !
Çà, trouvez-vous si bien, messieurs, que, brune et blonde,
Notre roi prenne ainsi la femme à tout le monde ?
Je voudrais bien savoir ce que le Roi dirait
Si quelqu’un usurpait la reine ?
— Ce vieillard m’a maudit ! — Quelque chose me trouble !
Qui va là ?
Triboulet, messieurs !
Tuons le traître !
Oh ! non.
Il est dans notre main.
Eh ! nous ne l’aurions plus pour en rire demain !
Oui, si nous le tuons, le tour n’est plus si drôle.
Mais il va nous gêner.
Je vais arranger tout.
On s’est parlé tout bas.
Triboulet !
Qui va là ?
C’est moi.
Qui, toi ?
Marot.
Ah ! la nuit est si noire !
Oui, le diable s’est fait du ciel une écritoire.
Dans quel but ?…
Enlever pour le roi madame de Cossé.
Ah !… — très-bien !
Je voudrais lui rompre quelque membre !
Mais comment ferez-vous pour entrer dans sa chambre ?
Donnez-moi votre clé.
Y sens-tu le blason de Cossé ciselé ?
Les trois feuilles de scie, oui.
À part.
Mon Dieu, suis-je bête !
Montrant le mur à gauche.
Voilà l’hôtel Cossé. Que diable avais-je en tête ?
À Marot en lui rendant la clef,
Vous enlevez sa femme au gros Cossé ? j’en suis !
Nous sommes tous masqués.
Eh bien ! un masque !
Et puis ?
Tu nous tiendras l’échelle ?
Je n’y vois plus du tout.
Aux autres, en riant.
Vous pouvez crier haut et marcher d’un pas lourd.
Le bandeau que voilà le rend aveugle et sourd.
Mon père, à mon secours ! ô mon père !
Victoire !
Çà, me font-ils ici faire mon purgatoire ?
— Ont-ils bientôt fini ? quelle dérision !
J’ai les yeux bandés !
Oh ! la malédiction !