Le roi s’amuse/Acte III
III
LE ROI.
PERSONNAGES.
FRANÇOIS PREMIER.
TRIBOULET.
BLANCHE.
M. DE SAINT-VALIER.
CLÉMENT MAROT.
M. DE PIENNE.
M. DE GORDES.
M. DE PARDAILLAN.
M. DE MONTCHENU.
M. DE COSSÉ.
ACTE III.

Scène I.
Maintenant, arrangeons la fin de l’aventure.
Il faut que Triboulet s’intrigue, se torture,
Et ne devine pas que sa belle est ici !
Qu’il cherche sa maîtresse, oui, c’est fort bien ! mais si
Les portiers cette nuit nous ont vus l’introduire ?
Tous les huissiers du Louvre ont ordre de lui dire
Qu’ils n’ont point vu de femme entrer céans la nuit ?
De plus, un mien laquais, drôle aux ruses instruit,
Pour lui donner le change est allé sur sa porte
Dire aux gens du bouffon que, d’une et d’autre sorte,
Il avait vu traîner à l’hôtel d’Hautefort
Une femme, à minuit, qui se débattait fort.
Bon, l’hôtel d’Hautefort le jette loin du Louvre !
Serrons bien sur ses yeux le bandeau qui les couvre.
J’ai ce matin au drôle envoyé ce billet :
Il tire un papier et lit.
« Je viens de t’enlever ta belle, ô Triboulet !
» Je l’emmène, s’il faut t’en donner des nouvelles,
» Hors de France avec moi. »
Signé ?
Jean de Nivelles !
Oh ! comme il va chercher !
Je jouis de le voir !
Qu’il va, le malheureux, avec son désespoir,
Ses poings crispés, ses dents de colère serrées,
Nous payer en un jour de dettes arriérées !
Elle est là ?
La maîtresse à Triboulet !
Dieu ! souffler la maîtresse à mon fou ! c’est charmant !
Sa maîtresse, ou sa femme !
Je ne le savais pas si père de famille !
Le roi la veut-il voir ?
Pardieu !
Vous tremblerez après tant que vous le voudrez.
Vous êtes près du Roi.
C’est le Roi ! ce jeune homme !
Scène II.
Blanche !
Gaucher Mahiet ! ciel !
Méprise ou fait exprès, je suis ravi du tour.
Vive Dieu ! ma beauté, ma Blanche, mon amour,
Viens dans mes bras !
Mon Dieu ! je ne sais plus comment parler ni dire… —
Monsieur Gaucher Mahiet… — Non, vous êtes le Roi. —
Retombant à genoux.
Oh ! qui que vous soyez, ayez pitié de moi.
Avoir pitié de toi, Blanche ! moi qui t’adore !
Ce que Gaucher disait, François le dit encore.
Tu m’aimes et je t’aime, et nous sommes heureux !
Être roi ne saurait gâter un amoureux.
Enfant ! tu me croyais bourgeois, clerc, moins peut-être.
Parce que le hasard m’a fait un peu mieux naître,
Parce que je suis roi, ce n’est pas un motif
De me prendre en horreur subitement tout vif !
Je n’ai pas le bonheur d’être un manant, qu’importe !
Comme il rit ! ô mon Dieu, je voudrais être morte !
Oh ! les fêtes, les jeux, les danses, les tournois,
Les doux propos d’amour le soir au fond des bois,
Cent plaisirs que la nuit couvrira de son aile ;
Voilà ton avenir auquel le mien se mêle !
Oh ! soyons deux amants, deux heureux, deux époux !
Il faut un jour vieillir, et la vie, entre nous,
Cette étoffe, où, malgré les ans qui la morcèlent,
Quelques instants d’amour par places étincellent,
N’est qu’un triste haillon sans ces paillettes-là !
Blanche, j’ai réfléchi souvent à tout cela,
Et voici la sagesse : honorons Dieu le père,
Aimons et jouissons, et faisons bonne chère !
Ô mes illusions ! qu’il est peu ressemblant !
Quoi ! me croyais-tu donc un amoureux tremblant,
Un cuistre, un de ces fous lugubres et sans flammes,
Qui pensent qu’il suffit, pour que toutes les femmes
Et tous les cœurs charmés se rendent devant eux,
De pousser des soupirs avec un air piteux !
Laissez-moi ! — malheureuse !
La France, un peuple entier, quinze millions d’hommes,
Richesse, honneurs, plaisirs, pouvoir sans frein ni loi,
Tout est pour moi, tout est à moi, je suis le roi !
Eh bien ! du souverain tu seras souveraine.
Blanche, je suis le roi ; toi, tu seras la reine !
La reine ! et votre femme !
Ah ! ma femme n’est pas ma maîtresse, vois-tu ?
Votre maîtresse ! oh ! non ! quelle honte !
La fière !
Je ne suis pas à vous, non, je suis à mon père !
Ton père ! mon bouffon ! mon fou ! mon Triboulet !
Ton père ! il est à moi ! j’en fais ce qu’il me plaît !
Il veut ce que je veux !
Quoi ! tout est donc à vous !
Blanche, ne pleure plus ! Viens sur mon cœur.
Jamais !
Tu ne m’as pas encor redit que tu m’aimais.
Oh ! c’est fini !
Ne sanglote donc pas comme une délaissée.
Oh ! plutôt que de faire ainsi pleurer tes yeux,
J’aimerais mieux mourir, Blanche ! j’aimerais mieux
Passer dans mon royaume et dans ma seigneurie
Pour un roi sans courage et sans chevalerie !
Un roi qui fait pleurer une femme ! ô mon Dieu !
Lâcheté !
Si vous êtes le roi, j’ai mon père. Il me pleure.
Faites-moi ramener près de lui. Je demeure
Devant l’hôtel Cossé. Mais vous le savez bien.
Oh ! qui donc êtes-vous ? je n’y comprends plus rien.
Comme ils m’ont emportée avec des cris de fête !
Tout ceci comme un rêve est brouillé dans ma tête !
Pleurant.
Je ne sais même plus, vous que j’ai cru si doux,
Si je vous aime encor !
Vous roi ! — J’ai peur de vous !
Je vous fais peur, méchante !
Oh ! laissez-moi !
Un baiser de pardon !
Non !
Quelle fille étrange !
Laissez-moi ! — Cette porte !…
Oh ! j’ai la clef sur moi.
Elle se réfugie en la chambre du roi !
Ô la pauvre petite !
Hé ! comte.
Scène III.
Est-ce qu’on rentre ?
Le lion a traîné la brebis dans son antre.
Oh ! pauvre Triboulet !
Chut ! le voici !
Çà, n’ayons l’air de rien et tenons-nous bien tous.
Messieurs, je suis le seul qu’il puisse reconnaître.
Il n’a parlé qu’à moi.
Ne faisons rien paraître.
Oui, messieurs, c’est alors, — hé ! bonjour, Triboulet ! —
Qu’on fit cette chanson en forme de couplet :
Il chante :
Quand Bourbon vit Marseille,
Il a dit à ses gens :
Vrai Dieu ! quel capitaine
Trouverons-nous dedans ?
Au mont de la Coulombe
Le passage est étroit,
Montèrent tous ensemble
En soufflant à leurs doigts,
Parfait !
Où peut-elle être ?
Montèrent tous ensemble
En soufflant à leurs doigts.
Ah ! Triboulet, bravo !
À part.
Ils ont tous fait le coup, c’est sûr !
Bouffon ?
Contrefaisant M. de Cossé.
— Quoi de nouveau, bouffon ?
Oui, que viens-tu nous dire ?
Que si vous vous mettez à faire le charmant,
Vous allez devenir encor plus assommant !
À part.
Où l’ont-ils cachée ? — Oh ! si je la leur demande,
Ils se riront de moi !
Que tu ne te sois pas cette nuit enrhumé.
Cette nuit ?
Un bon tour, et dont je suis charmé !
Quel tour ?
Oui !
Le couvre-feu sonnant, mis sous mes couvertures,
Et le soleil brillait quand je me suis levé.
Ah ! tu n’es pas sorti cette nuit ? J’ai rêvé !
Tiens, duc, de mon mouchoir il regarde la lettre.
À part.
Non, ce n’est pas le sien !
Messieurs !…
Où peut-elle être ?
Qu’avez-vous donc à rire ainsi ?
Qui nous fait rire !
Ils sont bien joyeux aujourd’hui !
Ne me regarde pas de cet air malhonnête,
Ou je vais te jeter Triboulet à la tête.
Le roi n’est pas encore éveillé ?
Non, vraiment !
Se fait-il quelque bruit dans son appartement ?
Ne va pas réveiller sa majesté !
Ce faquin de Marot nous fait un plaisant conte.
Les trois Guy, revenus, ma foi, l’on ne sait d’où,
Ont trouvé l’autre nuit, — qu’en dit ce maître fou ? —
Leurs femmes, toutes trois, avec d’autres…
Cachées.
Les morales du temps se font si relâchées !
Les femmes, c’est si traître !
Oh ! prenez garde !
Quoi ?
Prenez garde, monsieur de Cossé !
Quoi ?
Quelque chose d’affreux qui vous pend à l’oreille.
Quoi donc ?
Une aventure absolument pareille !
Hun !
Voilà le cri qu’il fait quand il est furieux.
Contrefaisant monsieur de Cossé.
— Hun !
Qu’est-ce, Vaudragon ?
Demande à voir le Roi pour affaire qui presse.
Madame de Brézé n’est pas chez lui pourtant.
Le Roi n’est pas levé !
Il était avec vous.
Le Roi chasse !
Et sans piqueurs alors ; car tous ses équipages
Sont là.
Diable !
Que le Roi ne peut voir personne !
Elle est avec le Roi !
Elle !
Ce n’est pas une affaire à me dire : va-t’en !
— La femme qu’à vous tous, Cossé, Pienne et Satan,
Brion, Montmorency !… la femme désolée
Que vous avez hier dans ma maison volée,
— Monsieur de Pardaillan, vous en étiez aussi ! —
Oh ! je la reprendrai, messieurs ! — Elle est ici !
Triboulet a perdu sa maîtresse ! — gentille
Ou laide, qu’il la cherche ailleurs.
Je veux ma fille !
Sa fille !
C’est ma fille ! — Oui, riez maintenant !
Ah ! vous restez muets ! vous trouvez surprenant
Que ce bouffon soit père et qu’il ait une fille ?
Les loups et les seigneurs n’ont-ils pas leur famille ?
Ne puis-je avoir aussi la mienne ! Allons ! assez !
D’une voix terrible.
Que si vous plaisantiez, c’est charmant, finissez !
Ma fille, je la veux, voyez-vous ! — Oui, l’on cause,
On chuchote, on se parle en riant de la chose.
Moi, je n’ai pas besoin de votre air triomphant.
Messeigneurs ! je vous dis qu’il me faut mon enfant !
Il se jette sur la porte du roi.
Elle est là !
Sa folie en furie est tournée.
Courtisans ! courtisans ! démons ! race damnée !
C’est donc vrai qu’ils m’ont pris ma fille, ces bandits !
— Une femme à leurs yeux, ce n’est rien, je vous dis !
Quand le roi, par bonheur, est un roi de débauches,
Les femmes des seigneurs, lorsqu’ils ne sont pas gauches,
Les servent fort. — L’honneur d’une vierge, pour eux,
C’est un luxe inutile, un trésor onéreux.
Une femme est un champ qui rapporte, une ferme
Dont le royal loyer se paye à chaque terme.
Ce sont mille faveurs pleuvant on ne sait d’où,
C’est un gouvernement, un collier sur le cou,
Un tas d’accroissements que sans cesse on augmente !
Les regardant tous en face.
— En est-il parmi vous un seul qui me démente ?
N’est-ce pas que c’est vrai, messeigneurs ? — En effet,
Il va de l’un à l’autre.
Vous lui vendriez tous, si ce n’est déjà fait,
Pour un nom, pour un titre, ou toute autre chimère,
À M. de Brion.
Toi, ta femme, Brion !
À monsieur de Gordes.
Toi, ta sœur !
Au jeune page Pardaillan.
Toi, ta mère !
Quand Bourbon vit Marseille,
Il a dit à ses gens :
Vrai Dieu ! quel capitaine…
Je ne sais à quoi tient, vicomte d’Aubusson,
Que je te brise aux dents ton verre et ta chanson !
À tous.
Qui le croirait ? des ducs et pairs, des grands d’Espagne,
Ô honte ! un Vermandois qui vient de Charlemagne,
Un Brion, dont l’aïeul était duc de Milan,
Un Gordes-Simiane, un Pienne, un Pardaillan,
Vous, un Montmorency ! — les plus grands noms qu’on nomme,
Avoir été voler sa fille à ce pauvre homme !
— Non, il n’appartient point à ces grandes maisons
D’avoir des cœurs si bas sous d’aussi fiers blasons !
Non, vous n’en êtes pas ! — Au milieu des huées,
Vos mères aux laquais se sont prostituées !
Vous êtes tous bâtards !
Ah ! çà, drôle !
Le Roi vous donne-t-il pour lui vendre mon bien ?
Il a payé le coup, dites !
— Si je voulais. — Sans doute. — Elle est jeune, elle est belle !
Certes, il me la paierait !
S’imagine qu’il peut quelque chose pour moi ?
Peut-il couvrir mon nom d’un nom comme les vôtres ?
Peut-il me faire beau, bien fait, pareil aux autres ?
— Enfer ! il m’a tout pris ! — Oh ! que ce tour charmant
Est vil, atroce, horrible, et s’est fait lâchement !
Scélérats ! assassins ! vous êtes des infâmes,
Des voleurs, des bandits, des tourmenteurs de femmes !
Messeigneurs, il me faut ma fille ! il me la faut
À la fin ! allez-vous me la rendre bientôt ?
— Oh ! voyez ! — cette main, — main qui n’a rien d’illustre,
Main d’un homme du peuple, et d’un serf, et d’un rustre,
Cette main qui paraît désarmée aux rieurs,
Et qui n’a pas d’épée, a des ongles, messieurs !
— Voici longtemps déjà que j’attends, il me semble !
Rendez-la-moi ! — La porte ! ouvrez-la !
Contre moi ! dix contre un !
À Marot.
Marot, tu t’es de moi bien assez réjoui.
Si tu gardes une âme, une tête inspirée,
Un cœur d’homme du peuple, encor, sous ta livrée,
Où me l’ont-ils cachée, et qu’en ont-ils fait, dis ?
Elle est là, n’est-ce pas ? Oh ! parmi ces maudits,
Faisons cause commune en frères que nous sommes !
Toi seul as de l’esprit dans tous ces gentilshommes.
Marot ! mon bon Marot ! — Tu te tais !
Se traînant vers les seigneurs.
Oh ! voyez !
Je demande pardon, messeigneurs, sous vos pieds !
Je suis malade… Ayez pitié, je vous en prie !
— J’aurais un autre jour mieux pris l’espièglerie.
Mais, voyez-vous, souvent j’ai, quand je fais un pas,
Bien des maux dans le corps dont je ne parle pas.
On a comme cela ses mauvaises journées
Quand on est contrefait. — Depuis bien des années,
Je suis votre bouffon : Je demande merci !
Grâce ! ne brisez pas votre hochet ainsi ! —
Ce pauvre Triboulet qui vous a tant fait rire ! —
Vraiment, je ne sais plus maintenant que vous dire.
Rendez-moi mon enfant, messeigneurs, rendez-moi
Ma fille, qu’on me cache en la chambre du Roi !
Mon unique trésor ! — Mes bons seigneurs, par grâce !
Qu’est-ce que vous voulez à présent que je fasse
Sans ma fille ? — Mon sort est déjà si mauvais !
C’était la seule chose au monde que j’avais !
Ah Dieu ! vous ne savez que rire ou que vous taire !
C’est donc un grand plaisir de voir un pauvre père
Se meurtrir la poitrine, et s’arracher du front
Des cheveux que deux nuits pareilles blanchiront !
Mon père ! ah !
Ah ! messieurs !
Mon ange ! — Elle de moins, quel deuil dans ma maison !
— Messeigneurs, n’est-ce pas que j’avais bien raison,
Qu’on ne peut m’en vouloir des sanglots que je pousse,
Et qu’une telle enfant, si charmante et si douce,
Qu’à la voir seulement on deviendrait meilleur,
Cela ne se perd pas sans des cris de douleur ?
À Blanche.
— Ne crains plus rien. — C’était une plaisanterie,
C’était pour rire. — Ils t’ont fait bien peur, je parie.
Mais ils sont bons. — Ils ont vu comme je t’aimais.
Blanche, ils nous laisseront tranquilles désormais.
Aux seigneurs.
— N’est-ce pas ?
À Blanche, en la serrant dans ses bras.
— Quel bonheur de te revoir encore !
J’ai tant de joie au cœur, que maintenant j’ignore
Si ce n’est pas heureux, — je ris, moi qui pleurais ! —
De te perdre un moment pour te ravoir après !
La regardant avec inquiétude.
— Mais pourquoi pleurer, toi ?
La honte…
Que dis-tu ?
Rougir devant vous seul !
Oh ! l’infâme — elle aussi !
Rester seule avec vous !
Et si le roi François par malheur se hasarde
À passer près d’ici,
Dites-lui de ne pas entrer, — que je suis là !
On n’a jamais rien vu de fou comme cela.
Aux fous comme aux enfants on cède quelque chose.
Veillons pourtant de peur d’accident.
Dis-moi tout. —
M’avez-vous entendu, monseigneur ?
Ces fous, cela se croit tout permis, en honneur !
Scène IV.
Parle à présent.
Qu’il s’est hier glissé dans la maison… —
Pleurant, et les mains sur ses yeux.
J’ai honte !
Depuis longtemps, — j’aurais dû vous parler plus tôt, —
Il me suivait. —
S’interrompant encore.
Il faut reprendre de plus haut.
— Il ne me parlait pas. — Il faut que je vous dise
Que ce jeune homme allait le dimanche à l’église… —
Oui ! le Roi !
Il remuait ma chaise en passant près de moi.
D’une voix de plus en plus faible.
Hier, dans la maison il a su s’introduire… —
Que je t’épargne au moins l’angoisse de tout dire !
Je devine le reste ! —
Pour en marquer ton front, l’opprobre et le mépris !
Son haleine a souillé l’air pur qui t’environne !
Il a brutalement effeuillé ta couronne !
Blanche ! ô mon seul asile en l’état où je suis !
Jour qui me réveillais au sortir de leurs nuits !
Âme par qui mon âme à la vertu remonte !
Voile de dignité déployé sur ma honte !
Seul abri du maudit à qui tout dit adieu !
Ange oublié chez moi par la pitié de Dieu ! —
Ciel ! perdue, enfouie, en cette boue immonde,
La seule chose sainte où je crusse en ce monde !
Que vais-je devenir, après ce coup fatal,
Moi qui dans cette cour, prostituée au mal,
Hors de moi comme en moi, ne voyais sur la terre
Que vice, effronterie, impudeur, adultère,
Infamie et débauche, et n’avais sous les cieux
Que ta virginité pour reposer mes yeux ! —
Je m’étais résigné, j’acceptais ma misère.
Les pleurs, l’abjection profonde et nécessaire,
L’orgueil qui toujours saigne au fond du cœur brisé,
Le rire du mépris sur mes maux aiguisé,
Oui, toutes ces douleurs où la honte se mêle,
J’en voulais bien pour moi, mon Dieu, mais non pour elle !
Plus j’étais tombé bas, plus je la voulais haut.
Il faut bien un autel auprès d’un échafaud.
L’autel est renversé ! — cache ton front, — oui, pleure ;
Chère enfant ! je t’ai fait trop parler tout à l’heure,
N’est-ce pas ? pleure bien. — Une part des douleurs,
À ton âge, parfois, s’écoule avec les pleurs. —
Verse tout, si tu peux, dans le cœur de ton père !
Rêvant.
Blanche, quand j’aurai fait ce qui me reste à faire,
Nous quitterons Paris. — Si j’échappe pourtant !
Rêvant toujours.
Quoi, suffit-il d’un jour pour que tout change tant !
Se relevant avec fureur.
Ô malédiction ! qui donc m’aurait pu dire
Que cette cour infâme, effrénée, en délire,
Qui va, qui court, broyant et la femme et l’enfant,
Échappée à travers tout ce que Dieu défend,
N’effaçant un forfait que par un plus étrange,
Éparpillant au loin du sang et de la fange,
Irait, jusque dans l’ombre où tu fuyais leurs yeux,
Éclabousser ce front chaste et religieux !
Se tournant vers la chambre du roi.
Ô roi François Premier ! puisse Dieu qui m’écoute
Te faire trébucher bientôt dans cette route !
Puisse s’ouvrir demain le sépulcre où tu cours !
À part.
Ô Dieu ! n’écoutez pas, car je l’aime toujours !
Monsieur de Montchenu, faites ouvrir la grille
Au sieur de Saint-Vallier qu’on mène à la Bastille.
Puisque, par votre roi d’outrages abreuvé,
Ma malédiction n’a pas encor trouvé
Ici-bas ni là-haut de voix qui me réponde,
Pas une foudre au ciel, pas un bras d’homme au monde,
Je n’espère plus rien. Ce roi prospérera.
Comte ! vous vous trompez. — Quelqu’un vous vengera !