Le roman de Violette/03

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(Auteur présumé)
Antonio Da Boa-Vista (p. 43-54).
Chapitre III

Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre
Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE III



C hère enfant, c’était en effet la nature et une nature adorable qui parlait en elle.

J’avais dans ma bibliothèque une collection d’excellents livres ; elle avait lu toute la journée.

— T’es-tu ennuyée ? lui demandai-je.

— De toi, oui ; de moi, non.

— Qu’as-tu lu ?

— J’ai lu Valentine.

— Alors, cela ne m’étonne pas, lui répondis-je. Tu sais que c’est un chef-d’œuvre, tout simplement !

— Non, je ne sais pas ; mais je sais que j’ai beaucoup pleuré.

Je sonnai : madame Léonie entra.

— Préparez-nous le thé ; lui dis-je.

Puis à Violette.

— Aimes-tu le thé ?

— Je ne sais pas, je n’en ai jamais bu.

Léonie avait dressé une petite table ; mis dessus un tapis de Turquie, deux fines tasses de porcelaine et un sucrier du Japon.

La crême était dans un petit pot de métal pareil à celui de la théière.

La femme de chambre nous apporta le thé tout préparé dans la théière et de l’eau bouillante dans un savonnier en argent.

— As-tu encore besoin de Léonie ? demandai-je à Violette.

— Pourquoi faire ?

— Pour te déshabiller.

— Oh ! dit-elle, en dénouant sa cordelière, je n’ai que ma robe de chambre et ma chemise.

— Alors nous pouvons la renvoyer ?

— Je crois bien.

— Cela fait que personne ne nous dérangera plus. Et comme elle était sortie, j’allai fermer la porte à clef.

— Alors tu restes, toi ?

— Si tu le permets.

— Toute la nuit ?

— Toute la nuit.

— Ah, quel bonheur ! Alors nous allons nous coucher ensemble comme deux bonnes amies ?

— Exactement. Est-ce que tu as couché quelquefois avec de bonnes amies ?

— À la pension, quand j’étais toute petite, pas depuis ; excepté une fois ou deux quand j’ai couché chez ma sœur.

— Et que faisais-tu quand tu étais couchée avec ta sœur ?

— Je lui disais bonsoir, je l’embrassais et nous nous endormions.

— C’est tout ?

— Oui, tout.

— Et si nous étions couchés ensemble, crois-tu que ce serait tout ?

— Je ne sais pas, mais il me semble que non.

— Mais, alors que ferions-nous ?

Elle haussa les épaules.

— Peut-être, ce que tu m’as fait ce matin, dit-elle en se jetant à mon cou.

Je la pris dans mes bras, je l’assis sur mes genoux ; je lui versai une tasse de thé, j’y laissai tomber quelques gouttes de crème, le sucrai, puis je la lui fis boire.

— Aimes-tu cela, lui demandai-je ?

Elle fit un petit signe de tête qui ne trahissait pas l’enthousiasme. C’est bon, dit-elle, mais…

— Mais ?

— J’aime mieux le lait pur, le lait chaud, mousseux, sortant du pis de la vache.

Son indifférence pour le thé ne m’étonnait pas, j’ai toujours remarqué qu’il y avait dans la liqueur chinoise une saveur aristocratique qui n’allait pas aux palais plébéiens.

— Demain matin, tu auras du lait chaud.

Il y eut un moment de silence, pendant lequel je la regardai et pendant lequel elle sourit.

— Tu ne sais pas ce que je voudrais, dit-elle ?

— Non.

— Je voudrais être savante.

— Savante ! Et pourquoi faire, mon Dieu !

— Pour comprendre ce que je ne comprends pas.

— Et que ne comprends-tu pas ?

— Une foule de choses, par exemple : tu m’as demandé si j’étais vierge ?

— Oui.

— Et bien je t’ai dit que je ne savais pas et tu t’es mis à rire.

— C’est vrai.

— Et bien, qu’est-ce que c’est que d’être vierge ?

— C’est de n’avoir jamais été caressée par un homme.

— Alors je ne suis plus vierge aujourd’hui ?

— Pourquoi cela ?

— C’est qu’il me semble que tu m’as caressée ce matin.

— Il y a caresse et caresse, chère enfant ; la caresse que je t’ai faite ce matin quoique bien douce…

— Oh oui !

— N’est pas de celles qui enlèvent la virginité.

— Et quelles sont celles qui enlèvent la virginité ?

— Il faudrait d’abord que je t’explique ce que c’est que la virginité.

— Explique-le moi alors.

— C’est difficile.

— Oh ! tu as tant d’esprit.

— La virginité est l’état physique et moral dans lequel se trouve une jeune fille qui comme toi n’a jamais eu d’amant.

— Mais qu’est-ce que c’est que d’avoir un amant ?

— C’est faire avec un homme l’acte d’amour à l’aide duquel la race humaine se perpétue.

— Et cet acte-là, nous ne l’avons pas fait, nous ?

— Non.

— Alors tu n’es pas mon amant ?

— Je ne suis encore que ton amoureux.

— Et quand seras-tu mon amant ?

— Le plus tard que je pourrai.

— Cela te sera donc bien désagréable ?

— C’est au contraire la chose que je désire le plus au monde.

— Oh mon Dieu ! Que c’est ennuyeux ! voilà encore que je ne comprends plus.

— Être l’amant d’une femme, ma belle petite Violette, c’est être dans l’alphabet du bonheur à la lettre Z de l’alphabet ordinaire. Eh bien, il y a vingt-quatre lettres à apprendre auparavant dont le baiser sur la main est la lettre A.

Je pris sa petite main et je la baisai.

— Et ce que tu m’as fait ce matin, quelle lettre est-ce ?

Je dus avouer qu’elle est bien près du Z et que j’avais sauté par dessus un certain nombre de consonnes et de voyelles pour en arriver là.

— Tu te moques de moi.

— Non, je te jure, vois-tu chère ange, je voudrais faire durer le plus longtemps possible cet alphabet charmant de l’amour dont chaque lettre est une caresse et chaque caresse un bonheur. Je voudrais te dépouiller petit à petit de ta robe d’innocence morale comme je te dépouillerai un à un de tous tes vêtements.

Si tu étais habillée, chaque vêtement que je t’enlèverais me laisserait voir quelque chose de nouveau, d’inconnu, de charmant : le cou, l’épaule, le sein, puis peu à peu tout le reste. Comme un brutal j’ai passé par-dessus toutes ces délicatesses, mes yeux ont dévoré ta chaste nudité ; tu ne savais pas tout ce que tu me donnais, prodigue que tu es.

— Alors j’ai eu tort ?

— Non, non, je t’aime trop vois-tu, je te désire trop, pour faire tous ces calculs-là.

Je dénouai sa cordelière, je fis glisser sa robe le long de ses bras ; elle se trouva sur mes genoux, vêtue simplement de sa chemise.

— Tu veux savoir ce que c’est que la virginité ? lui dis-je, perdant tout empire sur moi-même. Et bien je vais te le dire, plus près de moi encore, attends… tes lèvres sur mes lèvres !

De mes bras je la collai contre mon cœur ; elle de son côté m’avait jeté les siens autour du cou, soupirant de désirs, haletante de volupté.

— Sens-tu ma main ? lui demandai-je,

— Ah oui ! dit-elle en frissonnant,

— Et mon doigt, le sens-tu ?

— Oui… oui…

— Je touche là ce qu’on appelle la virginité. Je touche cette membrane de l’hymen qu’il faut rompre pour que la femme devienne mère. Cette membrane rompue, la vierge est déflorée ; la femme commence.

— Et bien, ce que je voudrais, c’est par des caresses extérieures te garder vierge, le plus longtemps possible. Comprends-tu ?

Depuis que mon doigt l’avait touchée, Violette ne répondait plus que par des carresses, des cris entrecoupés de douces plaintes. Bientôt elle se raidit, me serra à m’étouffer, balbutia des mots sans suite, puis tout à coup ses bras se détendirent, elle laissa échapper un soupir, renversa sa tête en arrière et demeura aussi immobile, aussi inerte que si elle eût été morte. J’arrachai sa chemise, je jetai mes vêtements les uns après les autres, tout jusqu’à ma chemise ; je l’emportai nue dans le lit et la posai contre ma poitrine nue.

Ce fut là qu’elle reprit ses sens : mon corps étendu sur le sien, ma bouche sur sa bouche, moi respirant sa vie, elle la mienne.

— Oh ! je suis morte… murmura-t-elle.

— Morte ! m’écriai-je. Toi morte ! C’est comme si je disais que je suis mort ! Oh non ! au contraire, nous commençons à vivre. Et je la couvrais de baisers et à chaque baiser elle bondissait comme sous une morsure. Alors à son tour elle se mit à me mordre avec de petits rugissements d’amour. Chaque fois que nos lèvres se rencontraient, il se faisait des silences d’extase et de bonheur.

Tout à coup, elle poussa un cri d’étonnement et saisit à pleines mains la chose inconnue qui avait causé sa surprise, puis comme si un voile se déchirait…

— Je comprends, dit-elle, c’est avec cela que… jamais cela ne sera possible.

— Violette, mon amour adoré, m’écriai-je, je ne suis plus maître de moi, tu me rends fou.

Je fis un geste comme pour me relever.

— Non, dit-elle, ne t’éloigne pas, si tu m’aimes, ne crains pas de me faire mal. Je veux...........

Et elle se glissait sous moi, elle m’enveloppait de ses bras, m’enlaçait de ses cuisses, se poussant elle-même contre moi.

Je veux… répétait-elle. Je veux…

Tout à coup elle poussa un cri.

Ah ! tous mes beaux projets étaient évanouis. En apprenant ce que c’était que la virginité, la pauvre Violette avait perdu la sienne.

Au cri qu’elle avait poussé, je m’arrêtai.

— Oh non, non, dit-elle, va… va… tu me fais mal, mais si tu ne me faisais pas mal, j’aurais trop de bonheur ! J’ai besoin de souffrir, va, continue, ne t’arrête pas. Va, mon Christian, mon bien-aimé, mon ami !… Oh ! c’est de la folie !

C’est de la rage ! c’est du feu !… Oh ! Oh !… je meurs… prends mon âme… tiens............

. . . . . . . . . . . . .

Ah ! que Mahomet a bien compris le rêve dont il fallait bercer l’homme, lorsqu’il a donné à ses disciples le Paradis tout sensuel, abîme sans fond de voluptés, sans cesse renouvelées.

Qu’est près de ce ciel ardent, notre ciel idéal !

Qu’est-ce que la chasteté des Anges, auprès de la provocante virginité des houris ?

Nous passâmes une nuit insensée, pleine de délices, de larmes, de folles joies, d’avides ardeurs et c’est au jour seulement que nous nous endormîmes dans les bras l’un de l’autre.

— Ah ! dit-elle en s’éveillant et en me prenant dans ses bras, j’espère bien que je ne suis plus vierge maintenant !