Le roman de Violette/04

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(Auteur présumé)
Antonio Da Boa-Vista (p. 55-97).
Chapitre IV

Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre
Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE IV



L a douleur qu’avait éprouvée la pauvre Violette n’était pas grave ; mais elle était irritante quand elle n’était pas dominée par le plaisir. Je lui recommandai avant de la quitter un bain de son et l’application entre les petites lèvres d’une éponge grosse comme une noix et imprégnée d’une décoction de guimauve.

Il fallut lui expliquer ce que c’étaient que les grandes lèvres et les petites lèvres, besogne charmante pour un professeur et dont à l’aide d’un miroir, de sa bonne volonté et de sa souplesse de reins, je pus faire la démonstration sur elle-même.

Jamais, dans son innocence, Violette n’avait eu l’idée de se regarder et ce qu’elle voyait lui était aussi nouveau et aussi inconnu que ce qu’elle avait rencontré la veille au moment où elle s’y attendait le moins.

Elle avait pris pendant la nuit que nous venions de passer ensemble quelques vagues notions sur la façon dont se faisaient les enfants ; mais il faut dire que la partie invisible était bien autrement considérable que la partie découverte. Je commençai par lui expliquer le but général et matériel de la nature qui est la reproduction de l’espèce, ne faisant de la perfection de cette espèce qu’une affaire secondaire, qu’un détail de société.

Je lui expliquai que c’était dans ce but unique que le Créateur avait mis dans la réunion des deux sexes la suprême jouissance et dans cette attraction qui s’étend de l’homme jusqu’aux plantes que reposait la certitude de l’éternelle victoire de la vie sur la mort.

Puis je passai aux détails et lui expliquai l’emploi et le concours de chaque organe. Je commençai par le clitoris, siège du plaisir chez la jeune fille et dont la proéminence était à peine sensible chez elle. Je passai de là aux grandes et aux petites lèvres, cette double enveloppe du sanctuaire de l’amour. Puis à la membrane de l’hymen jetée comme un voile pudique sur la voie virginale du vagin, qui deviendra un jour la voie maternelle. Je lui dis que si cette membrane n’avait pas été rompue chez elle, elle pourrait y sentir avec le bout du petit doigt l’ouverture par laquelle s’écoule la perte menstruelle, dont l’apparition lui avait fait si grand peur. Je lui racontai ce que c’était que la matrice et le grand œuvre que cet organe remplit dans l’acte de la génération et de la gestation. Je lui expliquai ce que les travaux modernes et la science nous ont appris sur le grand mystère de la génération, création et formation de l’homme. Comment outre la matrice la femme possède deux ovaires qui se rattachent à l’utérus par deux trompes et comment ces ovaires contiennent des globules que vont féconder des animalcules invisibles renfermés dans la liqueur séminale de l’homme et que de là on a appelés Zoospermes.

Je lui montrai, le crayon à la main, comment le fœtus enfermé dans un œuf se développe par son contact direct avec le placenta et respire au moyen du trou de Batal. Puis j’étendis la démonstration aux animaux ovipares, aux mollusques et aux plantes trop éloignées les unes des autres pour qu’il y ait contact amoureux et chez lesquelles les étamines remplissent les fonctions des organes sexuels mâles et les pistils le rôle des organes femelles. Je lui montrai le vent chargé de porter le pollen des étamines aux pistils qui s’ouvrent pour les recevoir et à défaut du vent, les abeilles, les papillons, les cantharides, tous les insectes enfin qui fouillent les fleurs et vivent de leur suc se faisant messagers d’amour et portant sur leurs ailes, sur leurs pattes, sur le duvet qui les couvre, la poussière fécondante, qui est une partie de l’âme de la nature.

Et l’enfant, pleine d’aptitude à l’éducabilité, dévorait mes paroles qui se clichaient pour ainsi dire une à une dans sa mémoire.

Je la quittai toute rêveuse qu’il y eût tant de choses cachées derrière le voile de son innocence.

J’avais résolu de faire de Violette une charmante distraction mais non un obstacle à mes travaux ordinaires. Mes cours à l’École de médecine, mes études aux différents musées étaient des séances de jour, je pouvais donc parfaitement les concilier avec mes séances nocturnes rue Saint-Augustin.

Quand le même soir je revins chez Violette, je trouvai mon thé tout préparé, la table dressée avec de la crème et des gâteaux. En mon absence Violette avait fait la maîtresse de maison. Aussi n’eûmes-nous qu’à dire à Léonie que nous n’avions plus besoin d’elle pour en être débarrassés.

Nous nous retrouvâmes seuls. J’avais laissé la veille à Violette un modèle de lettre pour M. Béruchet. Elle l’avait écrite et envoyée ; nous étions donc tranquilles de ce côté ; sa disparition ne ferait point faire des recherches désagréables.

Elle n’avait pas eu le temps de s’ennuyer, tout ce que je lui avais dit s’était emparé de son esprit et y avait germé.

Puis la curiosité d’elle-même lui était venue, elle s’était mise toute nue, avait allumé les bougies et s’était regardée de tous les côtés. Seulement n’ayant jamais vu d’autres femmes, elle ne savait pas ce qu’elle avait de bien, ni ce qu’elle avait de mal. Comme penser toujours à la même chose et comme l’inspection qu’elle faisait d’elle-même, loin de délasser sa pensée, la fatiguait, elle s’était mise à lire, mais justement le livre qu’elle avait pris avait été pour elle une source de conjectures qu’elle n’avait pu tirer au clair. Ce livre était de Théophile Gauthier et s’appelait Mlle de Maupin.

Or, Mlle de Maupin habillée en cavalier poursuivait une jeune fille et finissait par avoir avec elle une de ces scènes ambiguës dont la parfaite connaissance de la civilisation antique pouvait seule donner l’explication.

C’était cette scène qui préoccupait Violette outre mesure. Je lui expliquai que de même que chez les mollusques et chez les plantes il y avait des individus hermaphrodites c’est-à-dire réunissant les deux sexes, il y avait dans le règne animal, chez la femme surtout, la réunion des deux sexes, sinon réels du moins grâce à un prolongement du clitoris ayant cette apparence. Je lui racontai que les Grecs, adorateurs de la forme, fanatiques de la beauté, avaient eu l’idée de créer une beauté qui ne fût pas dans la nature. Ils avaient supposé que le fils de Mercure et de Vénus avait été vu se baignant dans l’eau d’une fontaine, par la nymphe Salmacis qui avait prié les Dieux de réunir son corps à celui de son amant. Les Dieux l’ayant exaucée, de cette réunion de la beauté masculine et de la beauté féminine était résulté une créature ayant les deux sexes, atteinte de pareils désirs près de l’homme et près de la femme et pouvant les satisfaire des deux côtés.

Je lui promis de lui faire voir au Musée l’Hermaphrodite de Farnèse qui, couchée mollement sur un matelas, combine les beauté de l’homme et de la femme.

Mais je lui expliquai que cette distinction parfaite des deux sexes n’existait point dans la nature, quoique presque toujours les femmes au clitoris prolongé éprouvassent une vive attraction pour les femmes. C’était le moment de placer l’histoire de Sapho, c’est-dire de la fondatrice de cette religion qui, quoique fondée plus de 170 ans avant J.-C. compte encore tant de disciples dans la société moderne.

Je lui dis qu’il y avait deux Sapho. Une d’Erésas, une de Mytylène ; l’une courtisane, l’autre prêtresse ; l’une d’une beauté parfaite, l’autre d’une beauté médiocre. Le culte des Grecs pour la beauté était si grand, qu’ils frappèrent comme pour une reine des médailles qui représentaient la courtisane d’Erésas.

L’autre Sapho de Mitylène, la prêtresse. la moins belle, étant arrivée à l’âge nubile sans aimer, ni être aimée, résolut de faire comme les amazones antiques une ligue contre les hommes, seulement cette ligue était encore plus complète en ce qu’une fois par an, les amazones permettaient à leur mari de venir dans leur île, tandis que les disciples de Sapho juraient d’écarter entièrement les hommes de leurs bras et de n’avoir que des femmes pour maîtresses et pour amants.

— Mais, demanda naïvement Violette, que peuvent elles faire des femmes entr’elles.

— Elles peuvent se faire mutuellement ce que je t’ai fait hier avec le doigt et avant-hier avec la bouche ; d’ailleurs, le nom même par lequel on les désigne indique l’action qu’elles accomplissent. On les appelle Tribades, d’un verbe qui veut dire frotter.

Sapho inventa en outre l’adjonction d’un instrument fait avec la sève du gommier, auquel on donnait les apparences sexuelles de l’homme…

Ézéchiel qui vivait 300 ans après Sapho reproche aux femmes de Jérusalem de se servir de ces images en or ou en argent.

Le scandale causé par Sapho devint si grand que Vénus pensa qu’il était temps de le faire cesser, attendu que la religion lesbienne s’étendant aux autres îles de la Grèce, ses autels couraient grands risques d’être désertés.

Il y avait, passant les voyageurs d’une rive à l’autre du port de Mitylène, un beau passeur nommé Phon. Elle se déguisa en vieille mendiante et pria le conducteur de la passer gratis. Touché de pitié, celui-ci y consentit. Mais en abordant à la rive opposée, il se trouva qu’au lieu d’avoir passé dans sa barque une vieille mendiante, Phon avait passé la déesse de la beauté.

L’apparition de Vénus sous sa figure naturelle produisit un effet si visible sur le beau batelier, qu’il y eût eu de l’ingratitude à ne pas l’en récompenser. Vénus souffle et de son souffle naquit un nuage qui les enveloppa tous deux.

Au bout d’une heure le nuage se dissipa. Phon était seul, mais Vénus lui avait donné une huile parfumée dont il n’avait qu’à se frotter pour être aimé par toutes les femmes. Phon ne se fit point faute de faire usage de son huile et comme Sapho en passant près de lui par hasard avait respiré le parfum que répandait sa chevelure, elle aima le beau Phon comme elle était capable de le faire, c’est-à-dire avec frénésie.

Phon la dédaigna. Ce fut la vengeance divine. Voyant que Phon demeurait invincible et ne pouvant renouveler le miracle de Samalies, elle se rendit à Leucade pour faire le saut du rocher.

Pourquoi faire le saut du rocher ? demanda Violette.

— Parce que les amants malheureux qui sautaient du haut du rocher dans la mer, s’ils regagnaient le bord étaient guéris et s’ils se noyaient, bien mieux guéris encore.

— Et tu dis qu’il y a de ces femmes-là ?

— Beaucoup.

— Attends donc.

— Quoi ?

— Je me rappelle…

— Bon ! Voilà que tu vas avoir fait une passion.

— Eh bien, écoute, dit-elle, cela se pourrait.

— Ah pardieu ! ce serait amusant, conte-moi cela.

Elle vint s’asseoir sur mes genoux.

— Imagine-toi, dit-elle, qu’il venait chez Mme Béruchet, dans une belle voiture à deux chevaux, avec un domestique nègre, une grande dame que l’on appelait Mme la comtesse. Quand elle achetait soit des corsets, soit des peignoirs, soit des pantalons, elle voulait toujours que ce fût moi qui passasse avec elle dans la chambre au fond et qui les lui essayasse. D’abord elle n’avait pas plus fait attention à moi qu’aux autres, puis peu à peu, rien n’était plus bien que ce qui sortait de mes mains. C’était au point que des objets que je n’avais jamais touchés, on lui disait que c’était moi qui les avait faits, elle les prenait les yeux fermés.

Il y a quatre jours, oh mais tu vas voir, je n’y avais pas pensé dans le moment, maintenant cela me revient, on avait une commande à lui livrer, elle envoya sa voiture pour me chercher disant que c’était moi qu’elle voulait et non pas une autre. J’y allai, elle était seule dans un petit boudoir tendu en satin broché, avec une foule de vases et de porcelaines chargés de fleurs et d’oiseaux : la femme de chambre qui était là, lui offrit ses services, mais elle la renvoya en lui disant qu’elle et moi nous suffirions. En effet, quand nous fûmes seules, elle me dit que ce n’était pas le tout, qu’il fallait essayer les objets commandés pour elle et qu’en les essayant sur soi-même on ne savait jamais comment les choses allaient, mais à moi !

Je lui fis observer que j’avais la tête de moins qu’elle et que, par conséquent, il était impossible de rien juger sur une pareille épreuve ; mais elle s’obstina et commença à me déshabiller.

Je me laissai faire, toute honteuse et sans oser dire un seul mot et au fur et à mesure qu’elle ôtait ma robe, mon fichu, mon corsage, elle s’écriait : oh, le joli cou ! Ah, les belles épaules ! les charmants petits tétons, et elle me baisait le cou, la gorge, la poitrine me passant sur tout cela les mains après les lèvres et les lèvres après les mains. Tout à coup elle me dit : Mais c’est le pantalon qu’il faut essayer !

C’était un joli pantalon de batiste avec de la dentelle ; elle fit tomber le mien, me le tira par-dessus mes souliers, passa ses mains sous ma chemise en disant : Ah mais ! c’est qu’elle a vraiment une peau de satin.

Il faudra que vous preniez un bain, un jour avec moi, n’est-ce pas, ma petite chérie, et je vous frotterai avec de la pâte d’amandes et vous serez blanche comme l’hermine ; sans compter, ajouta-t-elle en riant, que comme l’hermine elle aura une jolie petite queue noire, et elle voulait mettre la main sur mes poils mais je fis un bon en arrière.

— Eh bien ! dit-elle, petite farouche, qu’avons-nous donc, qu’est-ce que c’est et pourquoi vous éloignez-vous de moi, est-ce que je vous fais peur ? Alors elle me prit à bras le corps et m’embrassa ; mais voyant ma rougeur et me sentant toute tremblante, sans doute elle n’osa pas aller plus avant, car me passant le pantalon : Voyons, dit-elle, essayez cela vous-même et j’essayai le pantalon. Il était trop large, trop grand pour moi, cela lui donna l’occasion de passer sa main entre mes cuisses pour le remonter. Pendant un instant sa main resta immobile ou plutôt si doucement agitée, qu’on eût dit que c’était elle qui tremblait.

Enfin quand elle m’eût bien embrassée, carressée, touchée de tous côtés : Oh ? dit-elle cela ira à merveille, j’en suis sûre.

Puis elle m’habilla elle-même, me faisant en me rhabillant les mêmes caresses qu’en me déshabillant. Enfin au moment de la quitter, elle me dit tout bas : Je vous préviens que dimanche vous passerez toute la journée avec moi, que nous prenons un bain ensemble, que nous dînons ensemble et que nous allons ensemble au spectacle. Faites-vous belle, j’irai vous prendre vers les deux heures de l’après-midi.

— Mais dimanche c’est demain !

— Et bien elle ne me trouvera pas au magasin, voilà tout !

— Comment, ne m’avais-tu pas encore dit un mot de tout cela ?

— Il m’est arrivé tant de choses depuis trois jours, que je n’ai pas pensé à la comtesse. Va-t-elle être attrapée ! Et la folle enfant frappa dans ses mains.

Une idée me passa par l’esprit.

— Est-ce que tu aurais bien peur de voir une femme te faire la cour, lui dis-je ?

— Moi, peur de quoi ?

— Je ne sais pas.

— Non, surtout maintenant que je suis prévenue et que je sais ce que c’est. Voyons, tu as une idée ?

— Moi ? Non. J’avoue cependant que cela m’amuserait de voir comment une femme s’y prend pour faire la cour à une autre femme.

— Comme si tu n’avais jamais vu cela !… libertin !

— Non. J’ai vu une fois des filles qui se livraient à des exercices entre elles pour de l’argent, mais tu comprends que cela n’avait rien de réel.

— Ah ! que veux-tu, c’est un malheur.

— Il y aurait peut-être un moyen de renouer cela.

— Comment ?

— Tu sais son adresse ?

— Non.

— Puisque tu as été chez elle ?

— La voiture m’y a conduit, mais je n’ai regardé ni la rue, ni le numéro.

— En ce cas, n’y pensons plus. Tu feras une autre passion, elles ne manqueront pas, sois tranquille.

— Ah çà ! mais j’y pense, vous n’êtes donc pas jaloux, monsieur.

— D’une femme ! Pourquoi serais-je jaloux d’une femme ! Elle te laissera toujours sur tes désirs et je n’en serai que mieux reçu quand j’arriverai pour la compléter.

— Mais si c’était un homme ?

— Ah ! lui dis-je, le plus sérieusement que je pus, cela, c’est autre chose ; si tu me trompais avec un homme, je te tuerais !

— À la bonne heure, dit-elle, je commençais à craindre que tu ne m’aimasses point.

— Moi ! ne pas t’aimer ? tu vas voir !

Heureusement la preuve de mon amour était facile à lui donner, je la pris dans mes bras, je l’emportai sur le lit. En un clin d’œil nous fûmes nus tous deux. J’avais oublié jusqu’alors de tirer le rideau qui couvrait la glace. Je lâchai le cordon de la glace qui réfléchit la lumière de deux candélabres.

Violette poussa un cri de joie.

— Ah ! dit-elle, que c’est charmant ! Nous allons nous voir !

— Oui, tant que tu pourras regarder.

— Je parie que je regarderai jusqu’au bout.

— Je parie que non.

— Je fis glisser un long baiser qui descendit de ses lèvres à cette colline qu’on appelle le Mont de Vénus.

— Ah ! me dit-elle, tu as la tête là où tu ne pourras plus regarder.

— Tu regarderas pour nous deux et je devinerai, moi !

— À propos, dis-je, comment allons-nous là ?

— Clopin, clopant. Quand je marche cela me fait un peu mal.

— Je t’avais dit d’humecter tes petites lèvres en y appliquant une éponge grosse comme une noix et imbibée d’eau de guimauve.

— Je l’ai fait.

— Et cela te fait du bien ?

— Beaucoup.

— Eh bien, je vais achever de te guérir. Elle vit que je prenais le pot au lait et que je le portais à ma bouche.

— Mon Dieu, que fais-tu donc ?

Je lui fis signe de ne pas s’inquiéter, mais en même temps de regarder dans la glace.

Pendant ce temps, le lait avait tiédi dans ma bouche, j’approchai mes lèvres contre la petite cloison brisée et je poussai dans un baiser un jet de lait à plusieurs reprises à travers des corolles de ce nymphéa qu’on appelle le vagin.

Au premier jet, elle poussa un petit cri.

Ah ! dit-elle, que me fais-tu donc ? Ah ! comme c’est bon, comme c’est tiède, on dirait que cela pénètre jusqu’au cœur. Tu ne m’avais pas encore fait cela. Tu m’apprendras ainsi une foule d’excellentes choses, n’est-ce pas ? Je changeai d’exercice : j’avais la bouche vide.

— Ah ! cela, dit-elle, c’est autre chose, tu me l’as déjà fait, je le reconnais. Ah ! comme c’est bien meilleur encore que l’autre jour.

Oh ! ta langue, où la mets-tu donc pour me faire une pareille jouissance ? Mon Dieu !… mon Dieu !… Voilà encore que je vais mourir… mais non, je ne veux pas me laisser aller, je lutterai… je… je… ah !… j’ai perdu… Cher bien-aimé, mes yeux se ferment, je ne vois plus rien… mon âme s’en va… je me meurs !…

Il n’y a que pour les amoureux que les nuits se suivent et ne se ressemblent pas, mais comme pour le lecteur, celle-ci pourrait bien à peu de chose près être la reproduction de celle d’hier, nous nous abstiendrons de la raconter.

Le lendemain vers midi, je faisais de souvenir un croquis de Violette, lorsque vers les deux heures de l’après-midi on sonna à ma porte et mon domestique m’annonça la comtesse de Mainfroy. J’eus un pressentiment. Faites entrer, dis-je vivement ; et allant jusqu’à la porte de la salle à manger, j’introduisis moi-même la comtesse dans ma chambre à coucher, qui me servait en même temps de cabinet de travail et de chambre de peinture.

Elle parut d’abord un peu embarrassée, accepta un fauteuil, et après une légère hésitation, finit par lever son voile. C’était une femme de vingt-huit ans, de grande taille avec des cheveux magnifiques et qui se portant bouclés à cette époque tombaient jusque sur ses épaules ; ses sourcils, ses cils et ses yeux étaient d’un noir de jais, son nez droit, ses lèvres rouges comme du corail, son menton fortement dessiné, sa gorge et ses hanches étaient indiquées, mais n’avaient pas le développement que l’on aurait attendu de sa taille.

Voyant que j’attendais l’explication de la visite :

— Monsieur, dit-elle, vous trouverez peut-être un peu étrange la démarche que je fais près de vous, mais vous seule pouvez me donner le renseignement que je désire.

Je m’inclinai.

— Trop heureux, madame, lui répondis-je, si je puis vous être bon à quelque chose.

— Monsieur, il y avait chez la marchande de lingerie qui demeure au rez-de-chaussée de la maison que vous habitez, une jeune fille connue sous le nom de Violette.

— Oui, madame.

— Elle a disparu, il y a trois jours. Quand je me suis adressée à ses jeunes amies et à la maîtresse de la maison, elles m’ont répondu unanimement qu’elles ignoraient ce qu’elle était devenue. Mais quand je me suis adressée au patron et que je lui eus dit que je portais un assez grand intérêt à cette enfant pour charger la police de la retrouver, le patron m’a dit qu’il avait tout lieu de croire que si je m’adressais à vous, vous pourriez me donner le renseignement que je désire. J’espère donc que vous voudrez bien me dire où elle est.

— Je n’ai aucun motif de tenir cette enfant cachée, à vous surtout qui lui voulez du bien, mais j’en ai eu un tort grave de la tenir cachée au yeux de M. Béruchet qui avait dévissé le verrou de sa chambre afin d’y entrer à l’heure qui lui conviendrait. À deux heures du matin, l’enfant est venu chercher un refuge, je le lui ai donné, voilà tout.

— Comment, elle est ici ? s’écria vivement la comtesse.

— Ici, non madame, c’était impossible ; mais par bonheur j’avais un appartement de garçon où je l’ai conduite.

— Est-ce que vous me donnerez l’adresse ?

— Avec le plus grand plaisir, madame. Violette m’a beaucoup parlé de vous.

— Elle vous a parlé de moi ?

— Oui, madame. Elle m’a dit combien vous avez été bonne pour elle, et dans le moment où la pauvre enfant a le plus besoin de protection, je ne voudrais pour rien au monde la priver de la vôtre.

— Je ne puis que vous remercier de mon côté et dire combien je suis heureuse, monsieur, que ne s’étant pas adressée à moi, la pauvre enfant se soit adressée à vous. Pendant ce temps, j’écrivais l’adresse : rue Neuve-Saint-Augustin, au premier, la double porte garnie de velours vert, de ma part et je signai : Christian.

On ne me connaissait pas sous un autre nom dans la maison.

— Pardon de la question, me dit la comtesse, mais quand comptez-vous la voir ?

— Ce soir, madame.

— Elle ne sera pas sortie cet après midi ?

— J’en suis sûr, vous la trouverez lisant, et j’appuyai sur le titre de l’ouvrage, Mademoiselle de Maupin.

— Est-ce vous qui lui faites lire ce livre ?

— Oh ! non, madame. Elle lit ce qu’elle veut.

— J’ai une petite course à faire rue de la Paix, et je me rendrai chez elle.

Je saluai la comtesse et la reconduisis jusqu’à l’escalier. Puis je courus au balcon et je vis sa voiture suivre la rue de Rivoli et tourner la place Vendôme.

Je pris aussitôt mon chapeau, je me jetai dans l’escalier et fus en un instant rue Saint-Augustin. J’avais la clef du couloir, je tournai autour de la chambre, j’entrai sans bruit dans le cabinet de toilette et par un jour ménagé exprès, je vis Violette sur une espèce de chaise longue, n’ayant d’autres vêtements que sa robe de chambre et sa chemise, entr’ouvertes toutes les deux, son livre posé sur ses genoux et jouant distraitement du doigt, avec le petit bouton rose de son téton, qu’elle s’amusait à faire sortir comme une fraise de sa forêt de cheveux noirs répandus sur sa poitrine. À peine étais-je installé dans mon observatoire, qu’un mouvement de Violette me prouva qu’elle avait entendu du bruit du côté de la porte de l’escalier. En effet on frappa à la porte.

La jeune fille étendit le bras pour tirer le cordon de la sonnette de la femme de chambre, mais sans doute elle se souvint qu’elle était sortie et se levant elle-même, elle alla à petits pas et doucement vers la porte.

On continuait à frapper.

— Qui est là ? demanda Violette.

— Moi, votre amie.

— Mon amie ?

— Oui, la comtesse. Je viens avec l’autorisation de Christian et porteur d’un mot de lui.

— Ah ! alors ! dit Violette reconnaissant la voix et se rappelant notre conversation, soyez la bienvenue. Et elle lui ouvrit.

La comtesse entra et son premier soin fut de refermer la porte.

— Vous êtes seule ? dit-elle.

— Parfaitement seule.

— Et votre femme de chambre ?

— Est chez la couturière.

— Ah ! tant mieux, car certaine de vous trouver ici et voulant passer quelques instants avec vous, j’ai renvoyé ma voiture ; je m’en irai en fiacre.

Voulez-vous me donner une heure ou deux ?

— Ah ! bien volontiers.

— Est-ce que cela vous fait plaisir de me voir ?

— Beaucoup.

— Petite ingrate !

Et pendant ce temps-là, la comtesse se débarrassait de son chapeau, de son voile. de son cachemire et restait avec une grande robe de satin noir boutonnée du haut en bas avec des boutons de corail rose. Elle portait les mêmes boutons aux oreilles.

— Ingrate ! répéta Violette. Et pourquoi suis-je ingrate ?

— Aller vous confier à un jeune homme, au lieu de venir me trouver.

— Je ne savais ni votre nom, ni votre adresse, ni votre numéro. Vous rappelez-vous que vous deviez aujourd’hui, à deux heures, venir me trouver au magasin ?

— J’y suis venue aussi, mais l’oiseau était envolé ; il est vrai que c’était pour changer avantageusement de cage, je vous fais mon compliment de celle-ci ?

— La trouvez-vous jolie, celle-ci ? demanda Violette.

— Ravissante ! Quand ils se mettent à décorer un appartement, ces peintres ont un goût exquis !

Puis s’approchant de Violette : Ah çà ! chère petite, dit-elle, savez-vous que je ne vous ai pas encore embrassée.

Elle lui prit la tête à deux mains et la baisa ardemment sur les lèvres. Violette fit un mouvement involontaire pour fuir ce baiser, mais la comtesse la retint.

— Vois donc, dit-elle, commençant à la tutoyer, comme ta charmante tête fait bien sur ta robe de satin noir ? Et elle la conduisit devant la glace placée entre les deux fenêtres ; les beaux cheveux blonds de la comtesse tombaient sur le visage de Violette et se mêlaient à ses cheveux noirs.

— Ah ! que j’aurais voulu être blonde, Violette.

— Pourquoi cela ?

— Parce que je trouve les blondes bien plus jolies que les brunes.

— Est-ce vrai, ce que tu dis-là, bijou ?

— Oh ! oui, dit Violette en regardant la comtesse avec plus de curiosité que de désirs.

— Oh ! moi, je ne suis qu’une demi-blonde, dit la comtesse.

— Comment cela ?

— J’ai les yeux noirs et les sourcils noirs.

— Mais c’est très beau, dit naïvement Violette.

— Tu me trouves donc belle ?

— Superbe !

— Flatteuse, dit la comtesse, enveloppant Violette de son bras et en s’asseyant sur la chaise longue, tout en l’entraînant sur ses genoux.

— Mais je vais vous fatiguer, dit Violette.

— Jamais. Comme il fait chaud chez toi, petite !

— Vous êtes boutonnée comme en hiver.

— Tu as raison, j’étouffe. Si j’étais sûre qu’il ne vînt personne, j’ôterais mon corset.

— Vous pouvez être tranquille, personne ne viendra.

— Alors… fit la comtesse ; et d’un coup de main rapide, elle ouvrit toute sa robe, fit craquer les quatre ou cinq agrafes de son corset, le tira violemment à elle, le jeta sur une chaise et respira avec volupté, n’ayant plus sur elle qu’un long peignoir de batiste et sa robe de satin qu’elle reboutonna, excepté au corsage.

— Et toi, dit-elle tu n’as pas trop chaud dans ta robe de cachemire ?

— Oh ! non ! Voyez comme c’est léger.

— Et, à son tour, Violette dénoua les cordelières de sa robe de chambre et apparut avec sa petite chemise de batiste et ses pieds nus dans des pantoufles de velours. Les deux globes de ses seins se dessinaient admirablement sous sa fine taille.

— Mais voyez donc cette petite sorcière, dit la comtesse, elle n’a pas quinze ans et elle a plus de gorge que moi et elle glissa sa main dans l’ouverture de la chemise de Violette.

— Ah ! quelle merveille ! murmura-t-elle ; et le bout rose comme une blonde. Ah ! chère petite, voilà qui fait le pendant de mes yeux et de mes sourcils noirs avec des cheveux blonds. Laissez-moi baiser ce petit bouton.

Violette regarda autour d’elle, comme si elle eût voulu, quoiqu’elle ignorât que je fusse là, me demander la permission. Mais la bouche de la comtesse se colla à sa poitrine et, non seulement elle baisa le bouton, mais en le suçant le mordilla avec les dents.

Violette laissa échapper un mouvement de sensualité.

— Ah ! voyez la petite polissonne, dit la comtesse. Cela n’est pas encore au monde et déjà cela ne demande pas mieux que jouir !

À l’autre maintenant, car il serait jaloux, si je ne le baisais pas comme l’autre.

Elle prit l’autre téton qu’elle suça comme elle l’avait fait du premier.

— Ah ! madame ! Que me faites-vous donc ? dit Violette.

— Mais je te carresse, mon cher amour. Ne t’es-tu pas aperçue du premier jour où je t’ai vue que j’étais amoureuse de toi ?

— Est-ce qu’une femme peut être amoureuse d’une autre ? demanda Violette avec un air d’innocence à faire damner un saint, à plus forte raison la comtesse.

— Petite niaise ! répondit celle-ci, il n’y a que cela de bon !

Puis s’en prenant à sa robe : Maudite robe ? Comme elle me gêne ! dit-elle. Je vais la défaire, n’est-ce pas ?

— Comme vous voudrez, madame, la comtesse.

— Ne m’appelle donc pas respectueusement madame la comtesse, s’écria celle-ci, en ôtant sa robe si impétueusement que deux ou trois boutons sautèrent.

— Mais comment voulez-vous que je vous appelle ?

— Appelez-moi Odette, c’est mon nom de guerre.

Et comme elle n’avait plus que son peignoir de batiste, elle se jeta en arrière sur la chaise longue où Violette était restée couchée et avait croisé de nouveau sa robe de chambre, profitant pour se remettre en défense d’un moment de répit que lui avait laissé la comtesse.

— Et ! bien ! Qu’est-ce que cela, petite rebelle ? s’écrie la comtesse, auriez-vous l’intention de vous défendre par hasard ?

— Contre qui ?

— Contre moi.

— Pourquoi me défendrais-je contre vous ? Vous ne voulez point me faire du mal, n’est-ce pas ?

— Non, au contraire, dit la comtesse en la dévêtant peu à peu de sa robe de chambre. Non, je veux te faire plaisir, mais pour cela, il faut me laisser maîtresse de toi.

— Mais enfin, madame la comtesse ?

— Odette, interrompit celle-ci, Odette, Odette tout court, te dis-je.

— Mais enfin, quand vous serez…

Tu… pas vous.

— Quand tu seras… Oh ! je n’oserais jamais !

La comtesse prit la petite bouche de Violette tout entière dans la sienne, lui dardant la langue.

— Tu… tu, je te dis, lui répéta-t-elle. Ne sommes-nous pas de bonnes amies ?

— C’est-à-dire que je suis une pauvre fille du peuple et que vous êtes une grande dame, vous !

— Eh bien ! que lui faut-il faire à cette grande dame pour que vous lui pardonniez d’être comtesse, petite orgueilleuse ? Tenez, me voilà à vos genoux ; êtes-vous contente ?

Et la comtesse en effet, à genoux devant Violette assise, levait doucement sa chemise pour se mettre en contact avec certaines beautés secrètes dont l’essai du pantalon lui avait révélé la présence. Son œil ardent plongeait dans l’arche que ses deux mains faisaient décrire à la batiste.

— Oh ! le trésor d’amour ! murmurait-elle. Est-elle faite ! quelles cuisses rondes ! Quel ventre poli ! En quel marbre êtes-vous donc sculptée, ma chère Hébé ? En Paros ou en Carrare ! Et ce petit point noir ! Voyons, écarte donc les jambes, méchante et laisse-moi le baiser.

Elle passa la tête sous la chemise.

Et comme elle sent bon ! Voyez-vous la coquette, de l’Eau de Portugal !

— C’est l’odeur que Christian préfère.

— Christian ! Qu’est-ce que c’est que cela ? s’écria la comtesse.

— Mais c’est mon amant, dit Violette.

— Votre amant ! Vous avez un amant ?

— Oui.

— Et cet amant vous a eue ?

— Mais oui.

— Vous n’avez plus votre virginité ?

— Non.

— Depuis quand ?

— Depuis deux jours.

— Oh !…

La comtesse poussa un cri de rage.

— Oh ! la petite sotte ! continua-t-elle, donner sa virginité à un homme !

— Et à qui vouliez-vous que je la donnasse !

— À moi ! À moi, qui te l’aurais payée ce que tu eusses voulu.

Ah ! continua-t-elle avec un geste de désespoir. Je ne te le pardonnerai jamais !

Et d’une main, elle saisit son corset et de l’autre sa robe comme si elle allait s’habiller.

— Et que te fait-il, ton amant ? Il t’a déchirée sans pitié, ose me dire qu’il t’a fait plaisir ?

— Ah ! oui ! s’écria Violette.

— Tu mens !

— Un plaisir, dont je n’avais pas idée !

— Tu mens !

— J’ai cru que j’en deviendrais folle de bonheur !

— Tais-toi !

— Que vous importe à vous ?

— Comment, que m’importe à moi ? Mais c’est autant de bonheur qu’il m’a volé. Moi qui te croyais innocente, qui voulais t’initier peu à peu à tous les mystères de l’amour ! Moi qui chaque jour aurais inventé pour toi un plaisir nouveau ! Il t’a souillée de ses grossières jouissances. Cette peau rude, couverte de poils, c’est donc bien agréable à toucher ?

— Ah ! Mon Christian a une peau de femme !

— Allons, j’aurais tort de vouloir lutter contre lui ! Adieu !

Et d’un mouvement furieux elle ragrafa son corset.

— Vous vous en allez ? demanda Violette.

— Qu’ai-je à faire ici maintenant ! Rien. Vous avez un amant ! Oh ! Je m’en suis doutée tout de suite, à la manière dont vous vous défendiez contre moi.

Elle boutonna précipitamment sa robe.

— Encore une illusion perdue, dit-elle. Ah ! que nous sommes donc malheureuses, nous autres femmes qui voulons maintenir l’orgueil et la dignité de notre sexe. Je me promettais tant de bonheur avec toi, méchante enfant ! Ah ! mon cœur se gonfle, il faut que je pleure ou j’étoufferais !

Elle tomba sur une chaise en sanglotant. Ses larmes étaient si rares, ses sanglots accusaient une si grande douleur, que Violette se releva et sans songer à remettre sa robe de chambre, en chemise, à demi nue, elle alla à son tour s’agenouiller devant elle.

— Voyons, madame la comtesse, ne pleurez pas ainsi, dit-elle.

— Madame la comtesse ! Toujours !

— Voyons Odette. Vous êtes injuste !

— Vous !

— Tu es injuste !

— Comment cela ?

— Pouvais-je savoir que vous m’aimiez ?

— Que vous m’aimiez ! répéta la comtesse en frappant du pied.

— Que tu m’aimais ?

— Tu ne l’as pas vu, n’est-ce pas, quand tu es venue chez moi ?

— Je ne me suis doutée de rien ; j’étais tellement innocente !

— Tu ne l’es plus, n’est-ce pas ?

— Je le suis moins, dit Violette en riant.

La comtesse se tordit les bras.

— Et elle se moque de ma douleur ! s’écria-t-elle.

— Non, je vous le jure… je te le jure !

La comtesse secoua la tête.

— Ah ! tout est fini ! je pardonnerais, que je ne pourrais oublier. Allons, pas de faiblesse ! Vous ne me reverrez jamais ! Adieu !

Et la comtesse, éperdue de désespoir, comme un amant qui vient d’acquérir la certitude d’une infidélité de sa maîtresse, ouvrit la porte et s’élança par les escaliers.

Violette attendit un moment, prêta l’oreille croyant qu’elle allait remonter, mais la comtesse dépitée était bien partie.

Violette referma la porte et en se retournant me vit sur le seuil du cabinet de toilette. Elle poussa un cri de surprise, j’éclatai de rire, elle se jeta dans mes bras.

— Ah ! que je suis contente d’avoir été sage ! dit-elle.

— Cela ne t’a pas coûté un peu ?

— Pas trop. Il y a eu cependant un moment, lorsqu’elle baisa mes petits tétons ! Ah ! il m’a couru une flamme par tout le corps !

— De sorte que dans ce moment-ci, dis-je, je n’aurais pas besoin de te faire violence !

— Oh ! Non !

Je la pris dans mes bras et l’assis sur la chaise longue dans la même attitude où l’avait placée la comtesse.

— Tu m’as dit que c’était l’odeur que j’aimais. Veux-tu me laisser respirer ?

— Tiens, dit-elle, en jetant ses cuisses à mon cou, respire !

Ah ? murmura-t-elle, après un instant de silence plus éloquent que toutes les paroles du monde, elle qui disait que tu ne me faisais pas jouir !

Je repris haleine à mon tour. Puis sais-tu, dis-je, que de même qu’elle avait son nom de guerre, la chère comtesse avait son habit de combat. Elle a lestement mis bas son corset et sa robe, je ne ferais pas mieux pour toi ; peu ne s’en est fallu que je ne la visse un peu moins que dans ce simple appareil.

— Cela t’aurait fait plaisir, libertin !

— J’avoue que vos deux corps à côté l’un de l’autre devaient faire un charmant contraste.

— Que vous ne verrez pas, monsieur !

— Qui sait ?

— Elle est partie !

— Bah ! Elle reviendra.

— Comme cela tout de suite !

— Non.

— Tu n’a pas vu comme elle était furieuse.

— Je parie qu’avant demain matin, tu as une lettre.

— Faudra-t-il la recevoir ?

— Oui, pourvu que tu me la donnes.

— Oh ! nous ne ferons rien qu’à nous deux.

— Tu me le promets ?

— Parole d’honneur !

— Alors, je m’en rapporte à toi.

En ce moment, on frappa doucement à la porte, Violette reconnut la manière de frapper de la femme de chambre.

— C’est Léonie, dit-elle.

J’étais tout en désordre, je me sauvai dans le cabinet de toilette.

— Ouvre, lui dis-je.

Violette ouvrit.

La femme de chambre tenait une lettre à la main.

— Mademoiselle, dit-elle, c’est le nègre qui est venu avec la dame de tout à l’heure, il apporte cette lettre pour vous.

— Y a-t-il une réponse ?

— Pas à lui, car il a recommandé qu’on vous la donne seulement quand vous seriez seule.

— Vous savez que ces recommandations-là sont inutiles, Mme Léonie, et que je n’ai rien de caché pour M. Christian.

— C’est bien, mademoiselle, en tous cas, voilà la lettre.

Violette la prit, Léonie sortit et je reparus sur le seuil de la chambre.

— Eh bien ! lui dis-je, tu vois qu’elle n’a pas attendu à demain pour t’écrire.

— Tu es prophète, dit Violette en brandissant la lettre.

Elle vint s’asseoir sur mes genoux. Nous décachetâmes la missive de la comtesse et la lûmes.


Le Roman de Violette, Bandeau de fin de chapitre
Le Roman de Violette, Bandeau de fin de chapitre