Le roman de Violette/05

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(Auteur présumé)
Antonio Da Boa-Vista (p. 99-112).
Chapitre V

Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre
Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE V



I ngrate enfant ! Quoique j’ai juré en vous quittant, de ne jamais vous revoir et de ne jamais vous écrire, mon amour pour vous, ma folie, dois-je dire, est si forte que je ne puis y résister. Écoutez, je suis riche, je suis veuve, je suis libre ; très malheureuse avec mon mari, j’ai juré à sa mort haine éternelle aux hommes et j’ai tenu mon serment. Si vous voulez m’aimer, mais là m’aimer exclusivement, j’oublierai que vous avez été souillée par le contact d’un homme. Vous me l’avez dit ; vous ignoriez mon amour ; et ma passion pour vous est si grande qu’elle s’accroche à ce mot-là : Vous ignoriez ! et s’en fait une épave. Si vous étiez encore pure !… Mais une félicité parfaite n’est pas de ce monde ; il faut bien que je vous accepte telle que mon mauvais destin vous a faite.

Eh bien ! si vous voulez m’aimer, si vous consentez à le quitter, si vous promettez de ne le revoir jamais, je ne dis pas que je vous donnerai telle ou telle chose ; je vous dis : ce que j’ai sera à vous, nous vivrons à deux ; ma maison, ma voiture, mes domestiques seront les vôtres. Nous ne nous quitterons plus, vous serez mon amie, ma sœur, mon enfant chérie, vous serez plus que tout cela, vous serez ma maîtresse adorée ! Mais pas de partage, j’en serais trop jalouse, j’en mourrais !

Réponds-moi au nom dont ma lettre est signée. J’attendrai ta lettre comme la créature en danger de mort attend la vie.

Odette.

Nous nous regardâmes Violette et moi, riant tous les deux.

— Eh bien ! lui dis-je, elle y va carrément, tu vois.

— Elle est folle !

— De toi, c’est clair comme le jour. Que vas-tu faire ?

— Pardine, je ne lui répondrai pas.

— Au contraire, réponds-lui.

— Pourquoi faire ?

— Mais quand ça ne serait que pour ne pas avoir sa mort à te reprocher.

— Hein ! monsieur Christian, vous avez envie de voir la comtesse moins que dans le simple appareil.

— Tu vois bien qu’elle déteste les hommes.

— Oui, mais vous la ferez revenir de ses préventions.

— Écoute, ma petite Violette, si cela te contrarie…

— Non ; seulement promets-moi une chose ?

— Laquelle ?

— C’est que tu ne feras jamais complètement l’amour !

— Qu’appelles-tu faire complètement l’amour ?

— Je te laisse la liberté des yeux, des mains, de la bouche même, mais je me réserve le reste.

— Je te le jure !

— Sur quoi ?

— Sur notre amour !

— Alors, revenons à la lettre de la comtesse, réfléchis-y, la position qu’elle te propose est belle.

— Moi, te quitter, jamais ! Tu me chasseras peut-être, puisque c’est moi qui suis venue à toi, tu en as le droit, mais te quitter, j’aime mieux mourir.

— Il faut donc mettre de côté ce moyen-là.

— Je crois bien.

— Il faut lui écrire ceci :

— Quoi ?

— Prends la plume.

— Et si je fais des fautes d’orthographe ?

— Laisse donc. Des fautes d’orthographe de toi, la Comtesse les paierait un louis la pièce.

— Alors, si je lui écris vingt-cinq lignes, elle en aura pour vingt-cinq louis.

— Ne t’inquiète pas de cela. Écris.

— J’écris.

Violette prit la plume et je dictai.


Madame la comtesse,

Je comprends parfaitement qu’une existence comme celle que vous m’offrez serait le bonheur, mais je me suis trop hâtée et si ce n’est pas le bonheur, j’en ai trouvé l’ombre dans les bras de l’homme que j’aime. Pour rien au monde, je ne voudrais le quitter. Il s’en consolerait peut-être, car on dit que les hommes sont constants, mais moi, je ne m’en consolerais jamais.

Cela me fait bien de la peine de vous répondre ainsi, vous avez été si bonne pour moi que je vous aime de tout mon cœur et que si il n’y avait pas une distance sociale entre nous, je voudrais être votre amie ; mais je comprends qu’on ne veuille pas faire son amie d’une femme dont on eût volontiers fait sa maîtresse.

En tous cas, que je vous revoie ou non, je conserverai au nombre des plus douces sensations que j’aie jamais ressenties, le baiser que vous m’avez donné sur les seins et l’impression de votre souffle quand vous avez approché votre bouche de mes cuisses. Au souvenir de votre baiser, je ferme les yeux et soupire en me rappelant la chaleur de votre haleine, je me pâme… Je ne devrais pas vous dire cela, car ça ressemble tout à fait à un aveu. Mais ce n’est pas à la belle comtesse que je dis cela, c’est à ma chère Odette.

Et j’ajoutai en dictant toujours :

Votre petite Violette qui a donné son cœur, mais qui vous garde son âme.

— Non, dit Violette en jetant la plume, je ne mettrai pas cela.

— Pourquoi ?

— Parce que mon cœur et mon âme sont à toi, tu peux ne plus en vouloir, mais je ne puis te les reprendre.

— Ah ! cher amour !

Et je la pris dans mes bras et la couvris de baisers.

— Ah ! lui dis-je, je donnerais toutes les Comtesses du monde pour un de ces poils si fins qui restent dans mes moustaches quand… Violette mit la main sur mes lèvres ; j’avais déjà remarqué que, ainsi que les natures fines et nerveuses, elle laissait tout faire, jouissait de tout, mais avait instinctivement l’oreille chaste.

J’ai souvent constaté cette délicate anomalie chez les femmes qui ont la vue curieuse, la bouche complaisante, l’odorat sensuel et les mains savantes.

— Eh bien ! demanda-t-elle, que faisons-nous de la lettre ?

— Nous l’envoyons à la Comtesse.

— Par la poste ou par un commissionnaire ?

— Si tu veux avoir la réponse ce soir, envoie un commissionnaire.

— Elle ne répondra pas.

— La Comtesse ne pas répondre, allons donc ! Elle est engrenée maintenant, il faut qu’elle y passe.

— Envoie-la par un commissionnaire ; tu n’as pas idée comme cela m’amuse ; je voudrais déjà avoir la réponse.

— Je vais la faire porter. J’ai du monde à dîner chez moi. Je serai ici à neuf heures, s’il vient une lettre, n’y réponds pas sans moi.

— Je ne l’ouvrirai pas.

— Ce serait trop demander à ta vertu.

— Ma vertu te fera tous les sacrifices possibles excepté de ne plus t’aimer.

— Alors, à ce soir neuf heures, lui dis-je entre deux baisers.

— À ce soir.

Je lui fermai la bouche avec un troisième baiser et je sortis.

Au coin de la rue Vivienne, je trouvai un commissionnaire et lui remis la lettre en lui disant où il devait porter la réponse, s’il y en avait une.

J’étais moi-même si curieux de la lire, qu’à neuf heures moins un quart, j’étais rue Neuve-Saint-Augustin.

Violette vint à moi une lettre à la main.

— Tu ne diras pas que je suis en retard, lui dis-je en lui montrant la pendule.

— Est-ce pour moi ou pour la comtesse que tu es en avance, dit-elle en riant.

Je lui pris la lettre des mains et la mis dans ma poche.

— Eh bien ! Que fais-tu ?

— Bon, nous avons le temps de la lire, nous l’ouvrirons demain matin.

— Et pourquoi demain matin seulement ?

— Afin que tu sois bien persuadée que je viens pour toi et non pour la comtesse.

— Elle sauta à mon cou.

— Est-ce que j’embrasse bien ? dit-elle.

— Comme la volupté même.

— C’est toi qui m’as appris.

— Comme c’est moi qui t’ai appris, n’est-ce pas, que la langue n’était pas seulement faite pour parler.

— La mienne, à part le rôle qu’elle joue dans les baisers, n’a encore servi qu’à cela.

— La comtesse t’apprendra qu’elle peut servir à autre chose.

— Voyons la lettre.

— C’est toi qui le veux.

— C’est moi qui t’en prie.

— Eh bien, attends qu’il soit neuf heures.

— Ah ! tu sais, dit-elle, c’est que si tu mets ta main là, je n’entendrai plus sonner la pendule.

— Je crois que ce que nous avons de mieux à faire est de lire la lettre tout de suite.

Nous ne nous inquiétâmes plus de l’heure, nous avions autant d’envie l’un que l’autre de voir ce qu’il y avait dans la lettre ; nous la décachetâmes et nous lûmes :

Chère petite Violette,

Je ne sais si la lettre que je reçois est de vous, ou vous a été dictée, mais si elle est de vous, vous êtes tout simplement un petit démon. En vous quittant à trois heures j’avais juré que je ne vous écrirais pas. En recevant votre lettre j’avais juré que je ne vous reverrais pas et j’en avais lu la première moitié en me promettant de tenir mon serment. Mais voilà qu’à la seconde moitié vous changez de style, petit serpent, voilà que vous parlez de sensations que vous avez éprouvées, voilà qu’au premier mot le voile que j’avais jeté sur mes souvenirs se soulève, voilà que je vous vois couchée sur votre chaise longue, voilà que je roule entre mes lèvres le frais bouton de votre sein qui vient au-devant de ma langue en se raidissant, voilà que je ne lis plus votre lettre que d’une main, voilà que mes yeux se troublent. Ah ! sotte créature que je suis ! voilà que je ne sais plus que murmurer votre nom et répéter en me pâmant, moi aussi : Violette, fleur d’ingratitude et de douleur telle que tu es je te désire… je te veux… je… je t’aime…

Mais non, ce n’est pas vrai, je vous déteste, je ne veux pas vous revoir, je ne vous reverrai pas et je maudis ma main dont je n’ai plus été la maîtresse, Je maudis le désir qui lui montre le chemin, je reprends la lettre échappée de mes doigts au moment où ils se sont cramponnés à l’oreiller de mon sofa. Je lis cette ligne où tu me parles de l’impression de mon haleine sur tes cuisses, je vois ce point noir et parfumé auquel j’aspirais et que j’allais toucher avec mes lèvres, dévorer avec mes dents, quand un mot de toi… Mais je n’entends pas ce que tu m’as dit, je ne m’en souviens pas, je ne veux pas m’en souvenir, je n’ai de mémoire que dans les yeux. Dieu ! quelles belles cuisses ! Dieu ! le beau ventre ! Que ce que je n’ai pas vu doit être beau et voilà que pour la seconde fois… Non, je ne veux pas, je suis folle, demain je serai pâle à mourir, laide à faire peur ! Ah ! charmeuse maudite ! Non, je ne le ferai pas !… Violette, ta bouche… ta gorge… ton… Ah ! mon Dieu !… Ah ! quand te reverrai-je ?…

Ton Odette, honteuse d’elle-même et qui se cache la tête je ne sais où.

— Eh ! bien ! lui dis-je, à la bonne heure, voilà de la passion ou je ne m’y connais pas. Il faudra que je prenne un croquis de vous deux au moment suprême…

— Monsieur Christian !…

— Voyons, répondons. Que vas-tu lui dire ?

— Tu sais bien que c’est toi qui dictes, je ne fais moi que tenir la plume.

— Alors, écris.

Chère Odette !

Demain à neuf heures du matin, Christian me quitte ; c’est l’heure où je prends mon bain. Vous m’avez offert de prendre un bain avec vous, je vous offre d’en prendre un avec moi quoique je ne sache pas quel plaisir vous y aurez.

Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’amour entre deux femmes ; il faudra que sous ce rapport vous m’appreniez tout. Je ne sais rien, j’en suis confuse.

Mais avec vous, j’apprendrai vite, car je vous aime.

Ta Violette.

Elle cacheta la lettre, mit l’adresse et appelant Léonie.

— Faites porter cela par un commissionnaire, dit-elle.

— Ce soir, ce soir, entendez-vous, insistai-je.

— Que monsieur soit tranquille, la lettre sera portée ce soir, répondit la femme de chambre. Et elle sortit.

Une minute après elle rentra.

Mademoiselle, dit-elle, le nègre de madame la comtesse vient voir s’il y a une réponse à la lettre de sa maîtresse ; puis-je lui donner celle que vous venez de me remettre ?

— Donnez-la-lui et bien vite.

Léonie sortit cette fois pour ne plus rentrer.

— Elle était pressée la comtesse, fis-je.

— Que faut-il que je fasse demain, demanda Violette.

— Ce que tu voudras, je te laisse à tes inspirations.

— C’est bien, dit-elle, je te donnerai le plus de plaisir que je pourrai, en attendant.


Le Roman de Violette, Bandeau de fin de chapitre
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