Le royaume merveilleux/Chapitre III

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Édition Herman Wolf (p. 32-41).

CHAPITRE III.

LA CAMPAGNE DU GRAND CHACO


Bataille de Parral


Vers une heure du matin les éclaireurs et sentinelles argentines signalèrent l’avance de l’ennemi qui, en rangs serrés, s’avançait vers le centre argentin. En outre les vigies des deux ailes annoncèrent le même mouvement vers les deux extrémités.

L’obscurité de la nuit empêchait de se rendre compte du nombre approximatif d’hommes qui prenaient part au mouvement, mais le généralissime, d’accord avec le général Torres qui commandait le centre, supposa que l’ennemi essayait un mouvement tournant et avait par conséquent mis beaucoup plus d’hommes aux extrémités qu’au centre.

Il fit donc déplacer l’artillerie vers les deux bouts en conservant mille mitrailleuses pour soutenir l’attaque de front.

En outre, et pour riposter par une contre-attaque, il fit opérer à sa cavalerie un vaste mouvement destiné à envelopper lui-même l’ennemi. Il savait que celui-ci ne disposait pas de chevaux et il présuma ainsi pouvoir gagner de vitesse sur lui.

Ces ordres donnés, il s’avança vers le centre avec son état-major. Quand il y parvint, les premiers coups de feu commençaient à être tirés, les mitrailleuses commençaient à crépiter.

Les Araucans ne tiraient qu’à balles de fusil, mais dès qu’un projectile atteignait un argentin, l’effet en était terrible : l’homme touché était un homme mort, les chairs s’éparpillaient déchiquetées par la violence de l’explosion. Toute blessure était mortelle.

Ils parvinrent ainsi à deux cents mètres des Argentins ; à ce moment-là une nuée d’avions ennemis, armés de projecteurs, qui lançaient une lueur aveuglante, fit son apparition au dessus du champ de bataille ; il y en avait des centaines qui évoluaient entre 3 à 400 mètres de hauteur. Le général Torrès donna ordre aux mitrailleuses de tirer sur eux, la distance lui semblant propice.

Malgré la violence du feu, pas un ne fut abattu, bien au contraire ils descendirent jusqu’à 200 mètres et commencèrent à tirer des coups de fusil sur les Argentins, de préférence sur les servants des mitrailleuses, qui tombaient à tour de rôle, mortellement blessés ou morts sur le coup.

Les Araucans avançaient par bonds et se trouvèrent bientôt à 100 mètres de distance. Les hommes qui tombaient étaient immédiatement recueillis et portés vers l’arrière, d’où des avions les transportaient à 100 kilomètres plus loin ; des médecins indiens, maîtres dans l’art de guérir les blessures par les plantes, les soignaient immédiatement.

Une heure après le début de la bataille, les mitrailleuses ne crépitaient plus, presque tous ses servants gisaient morts sur le champ de bataille ; seule l’infanterie continuait à tenir. Au fur et à mesure que les hommes tombaient, ils étaient remplacés par d’autres.

Le front de bataille avait 2000 mètres au centre. Dans cet espace on pouvait compter, deux heures après le début de l’action, des milliers de cadavres. Les Argentins se servaient de ceux-ci pour s’abriter contre les balles mais, bien qu’ils ne fussent qu’à 50 mètres de l’ennemi, ils tiraient au hasard, aveuglés par les projecteurs des avions. Devant l’intervention de ceux-ci le général Torres avait fait monter cent avions argentins mais les Araucans leur avaient fait la chasse et les avaient abattus. Une heure avant le lever du jour, Lucien donna l’ordre d’assaut : les Araucans se précipitèrent à la baïonnette et mirent en fuite les Argentins, mille mitrailleuses tombèrent en leur pouvoir ; poursuivant leur offensive, ils parvinrent à couper en deux l’armée argentine qui se replia en désordre vers ses deux extrémités. Quand l’aube apparut on put contempler le carnage de la nuit.

30.000 cadavres Argentins jonchaient le champ de bataille. De son côté, Lucien avait eu 400 tués et 5000 blessés.

La situation se présentait alors ainsi :

Le généralissime, le général Torres et le restant des troupes du centre s’étaient repliés vers leur aile gauche pour garder le chemin de fer. Elle comprenait le corps d’armée du général Alvarado, presque, intact soit 50.000 hommes auxquels il fallait ajouter 20.000 hommes, restant du corps d’armée Torres, soit 70.000 hommes, 500 canons et 1000 mitrailleuses.

L’aile droite comprenait le corps d’armée Buendia, 500 canons et 1000 mitrailleuses. Ces troupes étaient complètement séparées du reste de l’armée car Lucien avait poussé son avance à 12 kilomètres plus loin. De son côté il disposait de 175.000 hommes, avec les renforts reçus pendant la nuit, de 1500 canons et 5000 mitrailleuses. Pour éviter l’arrivée de renforts argentins, il donna depuis le bord de son dirigeable, l’ordre d’attaquer l’aile gauche argentine et d’engager à cet effet 100.000 hommes, 1000 canons et 3000 mitrailleuses, le reste soit 75.000 hommes, 500 canons et 2000 mitrailleuses, devait foncer sur l’aile droite commandée par Buendia, et l’anéantir.

La tactique de la nuit, simuler un mouvement tournant pour anéantir le centre, devait être abandonnée.

Il fallait attaquer de front vu sa supériorité numérique en hommes et bouches à feu.

Mais le généralissime Pellegrini n’accepta pas la bataille dans des conditions aussi défavorables et ordonna de se replier en arrière, à 25 kilomètres de là, escomptant à nouveau l’arrivée de renforts demandés d’urgence, qui lui rendraient sa supériorité numérique.

Dès que Lucien capta ses ordres il ordonna une attaque aérienne avec 1500 avions qui ne devaient s’occuper que de l’artillerie ; abattre les servants, tel était l’ordre formel.

Puis il fit déployer son artillerie et commença le duel.

La configuration du terrain, rien que des plaines, ne permettait ni aux uns ni aux autres de cacher les canons.

Force fut donc aux argentins de faire face aux ennemis ; leurs avions furent forcés, dès le début, de s’abstenir car ils étaient pourchassés par les avions araucans.

Vers six heures du matin, après deux heures de combat, les argentins ne tiraient presque plus avec leurs canons.

Par contre l’artillerie araucane tonnait toujours ; ses obus, chargés à l’haguenite, faisaient des ravages terribles dans les rangs argentins, l’évacuation de l’infanterie se faisait péniblement, gênée par les obus qui la pourchassaient.

Voyant le désordre s’introduire dans les rangs ennemis, Lucien fit avancer son infanterie.

Entre ces deux sorts : être fusillé par derrière ou périr en combattant, le généralissime ne pouvait pas choisir. Il fit donc aligner ses troupes sur un front de dix kilomètres ainsi que ses mitrailleuses.

L’artillerie araucane se borna dès lors à bombarder les renforts qui affluaient et les empêcher de prendre part à la bataille.

Les avions, de leur côté, continuaient à empêcher les canons de tirer. Comme le front était assez vaste, Lucien commanda à son infanterie de se déployer et d’avancer en tirailleurs.

C’est ainsi que vers dix heures, ne se trouvant plus qu’à 50 mètres de l’ennemi, il donna l’ordre d’attaque générale.

Les fusiliers des avions, tirant de 200 mètres de haut, visaient les servants des mitrailleuses et les abattaient en masse. Le corps à corps fut terrible. Les Araucans, commandés par leurs officiers japonais, enfonçaient tout, culbutaient les obstacles, sautaient comme des tigres par dessus les cadavres et avançaient toujours. La débandade commença, les hommes, les officiers étant impuissants à les retenir, fuyaient.

L’état-major et le généralissime durent prendre la fuite pour éviter d’être capturés.

À midi le chemin de fer avait été dépassé et les fuyards s’éloignaient, la plupart sans armes, vers le Sud c’est-à-dire en Patagonie. Le butin était de 500 canons et 1000 mitrailleuses, des munitions et tout le matériel de guerre.

45.000 cadavres jonchaient à nouveau le champ de bataille, pas de blessés, car les blessures à l’haguenite étaient mortelles.

De son côté, Lucien eut 1500 morts et 7000 blessés recueillis aussitôt par ses avions d’ambulance.

Du côté du corps d’armée Buendia, les choses n’avaient pas marché mieux. Dès le début il avait commencé à se replier en arrière comme l’avait commandé le généralissime.

Mais Lucien l’avait forcé au combat. Toutefois ce corps d’armée avait résisté plus longtemps car l’effort principal de Lucien s’était porté vers l’aile gauche argentine.

En outre le terrain était plus favorable à l’artillerie argentine ; à midi elle tenait encore.

Lucien voulut en finir. Reportant le gros de ses forces contre Buendia, il fit pleuvoir sur ses troupes la pluie de fer de ses 1500 canons et 3000 mitrailleuses.

300 avions en outre concentrèrent le feu de leurs fusiliers sur les batteries ennemies.

120.000 hommes, la moitié de chaque côté, commencèrent un vaste mouvement pour encercler l’ennemi pendant que le reste avançait de front.

Buendia donna ordre alors de battre en retraite, mais celle-ci, sous la pression des Araucans, se convertit en défaite.

Le général ne put se sauver à temps : sur le point d’être capturé il prit son révolver et se fit sauter la cervelle.

D’autres officiers en firent de même ou se firent massacrer, pas un ne se rendit. À une heure il ne restait plus sur le champ de bataille que les canons et mitrailleuses sans servants et 40.000 cadavres, le reste s’était enfui dans toutes les directions. D’une armée de 150.000 hommes, il ne restait plus que des miettes et toute son artillerie capturée.

À une heure et quart Lucien lançait à son beau-père le radiotélégramme suivant :

« Viens de remporter une brillante victoire sur les Argentins. Ceux-ci ont eu 115.000 tués, 1000 canons et 2000 mitrailleuses capturés. Nos pertes sont de 3000 tués et 15.000 blessés peu atteints pour la plupart. Tenez ferme de votre côté car espère finir en un mois avec les Argentins pour me retourner contre le Chili ensuite ».

« Je continue ma marche en avant sur Buenos Ayres ».

Il ordonna ensuite de continuer tout le long du chemin de fer pour pouvoir se servir de celui-ci en cas de besoin.

C’est ainsi qu’en deux jours de marches forcées, il se trouvait à 100 kilomètres plus loin.

Il apprit alors par ses avions, que les Argentins concentraient à nouveau 500.000 hommes avec 1500 canons et 3000 mitrailleuses à 50 kilomètres de là. Faisant hâter ses renforts, il parvint à grouper lui aussi 500.000 hommes, 2000 canons, 4000 mitrailleuses et 1500 avions munis de 10 tirailleurs chacun.

Quand il eut fait ses préparatifs il donna l’ordre de marche en avant.


Bataille de Campo Santo


Le jour commençait seulement à poindre quand les sentinelles avancées (argentines) signalèrent l’approche des Araucans.

Ceux-ci avançaient parallèlement au chemin de fer, dont ils gardaient les deux côtés, sur un rayon de cinq kilomètres à droite et à gauche.

Aussitôt les avions argentins commencèrent à s’élever pour pouvoir repérer le tir de l’artillerie.

Lucien les laissa approcher puis, quand ils furent à proximité, il fit élever les siens qu’il n’avait pas voulu démasquer auparavant ; comme ils étaient recouverts entièrement de métal Dubois, il ne craignait nullement le tir.

Alors commença une chasse mouvementée : cinquante avions araucans pourchassèrent et anéantirent 25 avions argentins dont les occupants furent tués.

Devant cet échec, les argentins ne recommencèrent plus, se contentant de leurs ballons captifs pour régler le tir de leurs canons. Ceux-ci étaient cachés dans les replis du terrain et sur quelques monticules, s’élevant dans la plaine.

Lucien laissa tirer pour pouvoir découvrir lui-même l’endroit où étaient postées les batteries puis à son tour donna ordre aux canons de tirer et aux avions d’abattre les servants des pièces argentines.

Le dispositif de bataille était différent de celui adopté à la bataille de Parral : l’expérience aidant, on avait renforcé le centre qui comprenait 3 corps d’armée plus un à chaque extrémité. Cinq corps d’armée se tenaient à dix kilomètres de là, prêts à intervenir au moment voulu.

Par contre, toute l’artillerie se trouvait en première ligne y compris 3.000 mitrailleuses.

Comme les Argentins et leurs alliés ignoraient tout des forces et de l’artillerie de l’empire du Soleil ainsi que du royaume d’Araucanie, ils croyaient n’avoir devant eux que les troupes qui prirent part à la bataille de Parral, forcément diminuées par la lutte.

Ne voulant pas montrer dès le commencement le nombre de bouches à feu dont il disposait, Lucien fit avancer son artillerie de façon à ce qu’il n’y eut jamais plus de 1000 canons tirant à la fois.

Les mille autres, avec 200 mitrailleuses, firent une vaste mouvement tournant avec 200.000 hommes qu’il détacha du gros de son armée pour attaquer les réserves massées à 3 lieues de là.

Ainsi il pourrait entamer toute la masse d’un coup.

Dès ces ordres mis à exécution, la bataille commença. Elle débuta par un duel d’artillerie accompagné d’attaques aériennes. Au fur et à mesure que la canonnade diminuait d’intensité du côté des Argentins, il faisait progresser son infanterie.

Trois heures s’étaient écoulées ainsi, quand lui parvint le bruit des canons envoyés contre les réserves.

Il ordonna d’accélérer l’avance des fantassins, et aux avions de se rapprocher de la terre pour que le tir fut plus efficace. De leur côté les Argentins crurent le moment opportun pour effectuer un mouvement enveloppant et à cet effet dégarnirent un peu leur centre.

Lucien en profita pour faire foncer son infanterie, laquelle parvint, comme à la bataille de Parral, à couper en deux l’armée argentine. Celle-ci demanda aux réserves d’accourir mais il était trop tard car elles étaient déjà aux prises avec l’armée envoyée contre elle.

À nouveau la bataille était gagnée par Lucien car aussitôt qu’il eut scindé l’ennemi, il fonça sur les deux extrêmes et le mit en complète déroute.

Il était alors dix heures du matin : forçant l’allure, il parvint vers deux heures de l’après-midi, au secours de son aimée, aux prises avec les réserves.

Vers cinq heures il en était maître. Outre tout le matériel d’artillerie de l’ennemi, il avait fait prisonniers 120.000 hommes, 260.000 cadavres jonchaient le terrain, le reste s’était replié sur Buenos Ayres distant de 120 kilomètres du champ de bataille.

Les pertes de Lucien consistaient en 8000 tués et 35.000 blessés, mais le coup porté à l’Argentine était mortel car il ne lui restait plus pour défendre sa capitale que 350 à 400.000 hommes, sans artillerie, sauf quelques vieux canons à demeure dans les forts.

Après avoir communiqué ce nouveau succès à l’inca Atahualpa II, il commença sa marche en avant sur Buenos Ayres.

Il disposait encore de 440.000 hommes : en en laissant 10.000 pour garder les prisonniers qu’il ne voulait pas envoyer à Légia, mais bien à Punta Arenas par chemin de fer, il entreprit par petites étapes l’investissement.

Une semaine après, il se trouvait à 15 kilomètres du but. Il y trouva les Argentins retranchés ; ne voulant pas s’attarder dans une guerre pareille, il fit creuser plusieurs mines souterraines dans lesquelles il fit déposer de grandes quantités d’haguenite.

Cet explosif formidable eut tôt fait de lui livrer passage. Il avança de 6 kilomètres en une nuit et parvint presque à la banlieue de Buenos-Ayres.

Alors commença un bombardement continuel de la ville, tantôt par avions, tantôt par son artillerie.

Entre temps il progressait avec son infanterie.

Une quinzaine s’était écoulée depuis l’investissement, quand un matin, se présenta un parlementaire qui fit part à Lucien, de ce qu’il était chargé par le gouvernement argentin, de lui demander ses conditions de paix.

Lucien les lui indiqua : Reddition sans conditions, de la ville. Occupation de celle-ci jusqu’à la fin de la guerre avec le Brésil et le Chili. Comme indemnité de guerre, il exigeait la remise de la flotte et de tout le matériel de guerre.

En outre la reconnaissance implicite et sans contestation, des territoires cédés précédemment à l’Araucanie.

Le parlementaire le quitta et revint quatre heures plus tard : on acceptait la reconnaissance des territoires, la reddition et l’occupation de la ville, mais en échange de la flotte, on offrait une quantité équivalente en espèces.

Lucien fut intraitable, mais pour calmer les craintes de l’Argentine dans le cas où, sans flotte, elle serait attaquée plus tard par le Brésil, il lui offrit une alliance défensive contre ce dernier pays. Si je tiens tant à la flotte et au matériel de guerre, ce n’est pas parce que j’en ai besoin mais parce que ainsi je vous enlève pour longtemps toute velléité de recommencer contre moi.

Le parlementaire partit à nouveau et revint deux heures après, annoncer que le gouvernement acceptait les conditions et l’alliance proposée.

Les préparatifs furent donc faits pour l’entrée solennelle des troupes araucanes pour le lendemain.

Lucien tint à frapper le peuple argentin en lui faisant montre de sa puissance. Il fit venir les prisonniers qu’il avait faits à Campo Santo car il allait les rendre à l’Argentine, puis à la tête de ses 440.000 hommes, ses milliers de canons et de mitrailleuses, il fit son entrée dans la ville.

Pendant ce temps le ciel était sillonné de ses milliers d’avions et dirigeables, ses troupes campèrent dans le parc de Belgrano, assez vaste pour les contenir.

Le même jour il reçut la visite du président du Conseil des Ministres, pour préparer le protocole de paix.

Après quelques difficultés de détail, il fut convenu que la flotte, les dirigeables, avions et pilotes resteraient à Buenos Ayres jusqu’à la signature de la paix avec le Brésil et le Chili, que selon les circonstances, ils partiraient pour Punta Arenas ou une autre destination que Lucien indiquerait, une garnison de 40.000 hommes resterait là jusqu’à la fin des hostilités, que les armes de l’armée argentine lui seraient confiées et les hommes licenciés.

Quand tout fut discuté et accepté, le président du conseil retourna au palais de la présidence, où il devait soumettre les conditions à ses collègues et au président de la République. Ensuite il soumettrait le tout à l’assentiment des chambres législatives.

Toutes ces formalités durèrent quelques jours : Quand elles furent achevées, il fut convenu que pour fêter la signature de la paix un grand banquet serait donné au palais.

Au jour fixé, Lucien s’y rendit, ayant eu au préalable un entretien avec le président de la République ; il y fit allusion à son projet d’union entre tous les pays de l’Amérique latine y compris le Mexique.

Vous avez tort, dit-il au président, de vous chamailler entre vous et d’éparpiller vos forces. Ne voyez-vous donc pas le péril qui vous menace ? Le colosse du Nord a déjà une emprise sur Panama, il peut à sa guise remonter vers la Colombie et le Vénézuela. C’est justement pour cela que nous avions fondé L’A. B. C. répondit le président. C’est vous qui nous désunissez :

Pardon s’exclama Lucien, lors de notre première guerre, vous aviez accordé ce que nous demandions et n’aviez qu’à nous laisser tranquilles. Si je m’insurge, et je le ferai toujours, c’est parce que vous formez un triumvirat qui prétend imposer ses vues par la force aux autres nations latines.

Peut-être un jour serez-vous heureux, quand on vous aura fait sentir ce que la doctrine de Monroë a d’excessif, de me trouver là prêt à défendre vos intérêts lésés.

Ah ! ce jour-là vous ne nous traiterez plus en sauvages mais en sauveurs ! Voulez-vous, demanda le président, que je m’entremette auprès de mes collègues du Chili et du Brésil pour amener un rapprochement et éviter une effusion de sang inutile ? Avec plaisir, monsieur le président, mais je crains bien que ce sera en vain. Avec ces pays, comme du reste avec le vôtre, il n’y a que la force qui compte.

Tant qu’ils n’auront pas essayé de nous battre, ils ne céderont pas. Sur ces entrefaites on annonça que le déjeuner était servi. Lucien prit place à la droite du Président et Linda, sa femme, à sa gauche. Les autres convives s’assirent selon leur rang protocolaire. Quand vint l’heure des toasts, le président se leva et dit : Messieurs, Mesdames : Je lève mon verre à la prospérité du royaume d’Araucanie et de l’empire, de ses souverains et de son peuple.

Lucien à son tour se leva et dit : Je vous invite à lever vos verres à la prospérité de l’Argentine et à la prompte constitution de tous les peuples de l’Amérique latine, en une Fédération où chaque état sera représenté selon ses forces.

Ce toast fut applaudi avec frénésie car beaucoup des convives voyaient en Lucien le futur régénérateur des peuples et le seul capable de contenir les appétits de la grande république du nord.

Dès le banquet terminé, Lucien et son épouse furent reconduits dans l’automobile présidentielle jusqu’à leur demeure. Le lendemain matin commença l’embarquement des troupes de Lucien vers Légia, il dura quatre jours.

Il ne resta à Buenos-Ayres que les 40.000 hommes de garnison avec 250 canons et 750 mitrailleuse. Tout le reste quitta l’Argentine.

Quand Lucien fut prêt à partir, le président de la République vint à nouveau le voir. Je vous apporte, dit-il, l’acte de paix rédigé en double. Veuillez y apposer votre signature. Lucien signa et conserva l’exemplaire qui lui revenait. En outre, dit le président, je vous annonce qu’en réponse à mes offres de médiation, le Chili et le Brésil ont décliné mes bons offices.

Je le regrette, répondit Lucien, mais je m’y attendais.

Le président de la république resta déjeuner avec lui.

Après le repas, il le reconduisit vers le hangar des dirigeables. Lucien, Linda et sa suite prirent place dans celui qui leur était destiné.

Après avoir salué toute l’assistance, le gigantesque oiseau s’envola à la vitesse de 225 kilomètres à l’heure.

Le soir même il arrivait à Légia.