Le secret de Zilda/05

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Mon Magazine (paru dans Mon Magazine de février 1926p. 9-11).

V


Les semaines qui suivirent furent employées par la jeune fiancée à la confection de son trousseau, car, à cette époque, ces demoiselles tenaient à honneur de coudre elles-mêmes le beau linge de toile durable qu’elles emportaient de la maison paternelle à celle de leur mari.

Sans abandonner la direction de la maison de son oncle, Zilda s’appliqua à confectionner diverses pièces de son trousseau.

Enfin, la noce fut célébrée, fort simplement — car l’oncle riche mais avare — n’aimait pas le luxe.

Le jeune couple alla s’établir dans une paroisse de la province de Québec, où Hermas avait déjà ouvert un bureau de médecin.

Une vie bien différente commença alors pour Zilda, qui avait vécu à l’écart de la société dans la maison de son oncle. Elle devint le centre d’un petit monde élégant, fut de toutes les fêtes, où elle se fit surtout remarquer par son inaltérable bonté. En toute occasion, elle était d’une charité exemplaire, mais on la voyait rarement gaie.

Hermas, qui continuait à adorer sa femme, s’inquiétait, parfois de la persistante mélancolie qu’il lisait dans ses yeux. Elle répondait, alors : « Puisque je vous aime et que vous m’aimez, soyons heureux sans aller chercher dans le mystère des âmes des sujets de tristesse. »

Deux années passèrent ainsi dans la sereine monotonie d’une existence sans tragédie et sans événement marquant, puis, un jour, Zilda annonça à son mari une nouvelle qui le combla de joie. Ils auraient donc un enfant à chérir. En effet, Zilda devint mère, et pendant quelque temps, Hermas fut si aveuglé de son bonheur nouveau, qu’il ne remarqua pas que la vue même de son enfant ne parvenait pas à distraire sa femme de son incurable mélancolie. Pourtant, la vigilante tendresse qu’il avait vouée à sa compagne ne pouvait longtemps se désintéresser. Mais, incapable de diagnostiquer le mal qui mettait de la pâleur à ses joues et de la tristesse dans ses yeux, il en avait conclu que Zilda, lors du criminel attentat dont elle avait été victime, avait reçu un choc qui avait détruit à jamais l’équilibre nerveux et exaspéré son extrême sensibilité. Le seul remède, pensait-il, était de la distraire. Et il s’y employait de son mieux, redoublant de soins et d’attention.

La jeune mère entièrement dévouée aux soins de sa fille, était heureuse de trouver dans ses devoirs nouveaux un prétexte à s’isoler un peu du monde ; elle sortait rarement, et lorsque la petite lui laissait quelque répit, on pouvait être certain de la trouver dans un coin du petit salon, gravement occupée à écrire.


Zilda fit prestement disparaître le cahier dans un tiroir

Hermas entrant, un jour à l’improviste, s’approcha sans façon pour l’embrasser. Mais en le voyant venir à elle Zilda fit prestement disparaître au fond d’un tiroir le cahier sur lequel elle était en train de griffonner. Ce geste inattendu surprit son mari, qui ne put s’empêcher de lui dire, sans colère, mais avec quelque inquiétude : « Pourquoi as-tu caché ce cahier. Ne dois-je pas savoir ce qu’il contient ? »

— « Je ne veux pas que tu lises maintenant », répondit sa femme.

— « Alors, plus tard, je pourrai le lire ? »

— « Oui, je veux que tu sois le premier à la lire cette histoire, cette histoire triste. »

— « Ah ! c’est une histoire, tu as donc des ambitions d’auteur, ma petite femme, » dit-il en la prenant dans ses bras.

Elle sourit mélancoliquement et répondit : « Oh je n’ambitionne pas la gloire, je ne demande que de l’indulgence, beaucoup d’indulgence. »

Hermas se mit à rire : « Voilà madame qui rédige sa préface, je crois ; indulgence, c’est le mot à la mode chez les écrivains ; ils réclament tous de l’« indulgence, beaucoup d’indulgence » mais le lecteur qui y voit clair, traduit à sa manière par « Admiration ». Et dire que je serai le premier critique de ma chère auteur, comme si le rôle de mari et de père ne suffisait pas à mon bonheur ».

Et Hermas riait de tout son cœur.

— « Mais dis-moi, est-ce en prose ou en poésie que tu écris ce mystérieux ouvrage ? »

Il vit qu’elle demeurait sérieuse, malgré sa gaîté à lui, et il ajouta, railleur toujours : « Oui, je devine que c’est de la poésie, car ma petite femme a déjà la légendaire susceptibilité des poètes. »