Le secret de l’orpheline/9

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Éditions Édouard Garand (p. 26-30).

IV


— Maintenant, allons chez Charlotte.

— « La perfide ! songe Jacques. C’est donc sérieux puisqu’elle a calculé jusqu’aux moindres détails ? Elle s’est dit que lorsque la conversation deviendrait trop embarrassante, elle n’aurait qu’à parler de la sortie à faire. »

Et, tout haut :

— Eh bien, déclare-t-il, nous n’y allons plus chez Charlotte.

Georgine lève sur lui ce regard chargé qu’il ne lui a jamais vu, encore, et qui l’oppresse.

— Vous avez promis, reproche-t-elle simplement.

— Georgine, qu’avez-vous ? Vous devez me le dire. Sachez que votre manque de confiance me blesse profondément. Il me semble que je n’ai pas mérité d’être traité avec cette rigueur.

— S’il m’était permis de le faire, croyez-vous que je refuserais de m’ouvrir à vous ? À votre tour, ayez confiance. Faites crédit à mes paroles.

— De quoi me punissez-vous, Georgine ? C’est après tout ce que je vous ai confié de mes souffrances de sans-patrie que vous me rejetez de la sorte ? Vous avez mis le bonheur à ma portée, meilleur encore que je n’eusse pu le pressentir et maintenant, vous jouez ce jeu cruel de me le retirer ? Je ne vous connaissais pas ainsi. Non, je n’aurais jamais prévu ce moment.

— Vous êtes assez jeune pour refaire votre vie.

Il eut son rire facilement sarcastique.

— Parlez pour vous, riposta-t-il.

Georgine tressaillit et elle crut que des larmes allaient paraître à ses paupières.

— Ai-je donc l’air, se plaignit-elle, de quelqu’un qui songe à refaire sa vie dans le sens qui nous occupe ?

— Alors ?…

— Je vous répète que j’ai compris des choses… Quand je le désirerais avec toute mon énergie, je ne pourrais plus faire votre bonheur. Je me trompais et vous aussi, Jacques, vous faites fausse route en vous obstinant de la sorte. Croyez-moi. Il vaut mieux trancher tout de suite la situation.

— C’est cela, gouailla-t-il, décidez vous-même. Vous savez mieux que moi ce qui me convient.

— Pour peu que vous le désiriez, reprenait Georgine, de la même voix lasse, Mme  Lépée pourrait vous introduire dans quelques familles de compatriotes. Ses relations sont peu nombreuses mais choisies.

— Et moi je vous dirai que je vous apportais ce soir un mot bien sérieux, un mot qui lie. Ah ! je suis bien tombé… Mais supposons que ce mot, je l’aie prononcé et que vous y ayez répondu ; supposons que nous ayons prêté serment tous deux, au pied de l’autel. Vous voyez-vous, un beau jour, m’annonçant que vous ne pouvez plus faire mon bonheur, comme vous dites, et vous refusant même à m’expliquer pourquoi et en quoi… ?

— Rien ne nous lie encore, heureusement.

Les veines se gonflèrent en V sur le front de Jacques dont la figure prit une teinte rose-vif.

— De mieux en mieux, s’écria-t-il, ma chère, vous êtes délicieuse. Mais moi, je suis bien bon de discuter avec un roc. Je devrais plutôt m’incliner et, après vous avoir remerciée de votre sollicitude pour mon bonheur, me retirer et disparaître à jamais de votre entourage. Admirez ma sottise puisque je ne l’ai pas encore fait. Au moins, c’est bien ce que vous désirez, me voir disparaître ?

La réponse arriva, faible comme un souffle, mais ferme tout de même :

— Oui.

Il voulut revenir à la douceur et, ployé dans sa détresse, les doigts joints et les coudes aux genoux :

— Georgine ! supplia-t-il. Si vous pensiez un peu à moi dans tout cela… Il vous suffirait d’un bien petit effort de l’imagination pour vous représenter les souffrances de ma vie brisée. Non, elle ne se recommence pas, la vie, après qu’on s’est donné. Et si quelqu’un a été sincère en vous apportant de l’amour, ce fut bien votre Jacques, ma Georgine. Dites-le moi, ce mot d’éclaircissement que je réclame à genoux et je vous promets que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. Il est impossible qu’un obstacle sérieux nous sépare. Il y a aussi un baromètre des âmes et ce sera pour avoir négligé de le consulter que vous vous serez effrayée à tort. S’il vous semble trop pénible de tout dire, mettez-moi au moins sur la voie et je vous promets de suer sang et eau pour parvenir à la vérité. C’est de cette soirée à Viauville que date votre détermination ?

Georgine était en supplice. Depuis près d’une heure qu’ils discutaient de la sorte. Le cœur de la pauvre enfant saignait, bien plus du chagrin qu’elle causait que de sa propre souffrance. Dix fois au moins, depuis le commencement de cette détestable entrevue, elle avait failli cacher ses pauvres yeux honteux et tout avouer. Aurait-elle seulement le courage de résister jusqu’à la fin ?

Lorsque Jacques rappela cette soirée d’amis à laquelle ils avaient assisté ensemble, une dizaine de jours auparavant, elle crut avoir trouvé la diversion qui les ferait sortir de ce sujet pénible.

— La soirée de Viauville, affirma-t-elle, n’est pour rien dans cette affaire, mais vous me permettrez de vous laisser voir les instantanés qu’on y a pris. C’est la petite Katie, du journal, qui les a développés.

Sans mot dire, Jacques s’inclina.

Presque en courant, la jeune fille monta à sa chambre. Chose curieuse, c’est là, surtout, qu’elle pensa étouffer de chagrin. Éloignée de Jacques et n’ayant plus, devant les yeux, sa face désolée, elle se sentit triste à mourir. Si elle lui laissait pressentir la chose, comme il désirait ?… Pourra-t-elle, seulement, sera-t-elle en mesure de supporter le poids de cette solitude qu’elle se prépare ? Être seul, elle l’a écrit elle-même, un jour, en un moment de prescience, c’est l’affreux lot des plus déshérités. À deux, tout se supporte, mais quand on est seul… ?

Cependant, lorsqu’elle reparut au salon avec, aux doigts, les petites images noir et blanc, Georgine portait sur son front la même résolution têtue qu’au début de la soirée.

Jacques ne fut pas sans le remarquer. Il avait saisi, également, son intention de ne plus discuter et s’il acceptait d’examiner les instantanés, c’était dans l’unique but de parfaire ses observations. Ensuite, il déciderait, une fois pour toutes, du parti à adopter.

Aussi prolongea-t-il son examen, en feignant un grand intérêt.

— Très réussi, affirma-t-il enfin, en rendant à sa compagne la dernière petite carte glacée.

Il consulta sa montre et ce fut lui, cette fois, qui invita :

— Allons chez Mlle  Lépée.

Son accent était plus dégagé et on eut juré qu’il avait hâte, maintenant.

Le minuscule logis que Charlotte partageait avec sa mère était un vrai nid coquet où les arrivants se virent reçus comme des amis de vieille date. Pendant que la mère et la fille rivalisaient d’amabilité à leur égard, Jacques considérait avec mélancolie le portrait de Georgine qui souriait, en bonne place, sur le piano. Sa mémoire se raffermissait, maintenant : C’était bien ici qu’il l’avait vue pour la première fois. Se pouvait-il qu’après l’avoir connue de par un aussi heureux concours de circonstances, il la perdit sottement ? Cette conviction entrait mal dans son entendement. Il s’accusait d’avoir manqué de doigté dans l’exercice de ce rôle de magister assumé depuis peu. Surprise, froissée, Georgine avait dû se replier sur elle-même et « découvrir des choses », comme elle disait. Il en était sorti cette belle résolution de ne plus le recevoir. Mais, foi de Breton, le dernier mot restait à dire.

Comme il ramenait au tramway sa belle fantasque, il proposa :

— Madame votre marraine, m’avez-vous dit, demeure dans les environs ?… N’aimeriez-vous pas lui souhaiter le bonsoir, en passant ?

— Y songez-vous ? protesta Georgine, avec une sorte d’effroi dans les yeux. Il est beaucoup trop tard, surtout pour elle, et avec votre accent et votre éloquence française, vous l’intimideriez.

Surpris de cette vivacité à refuser, son offre, Jacques songea :

— « Serait-ce sa marraine, la cause indirecte de toute cette sotte affaire ? Une tache dans la famille… ? »

Attristé, il se montra dès lors plus miséricordieux et lorsqu’il eût déposé la jeune fille à sa pension, il lui tendit la main, disant :

— Merci, Georgine, du bonheur que vous m’avez donné. À distance, nous resterons de francs amis, voulez-vous ?

— Je le veux bien, répondit-elle, d’une voix étouffée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Miss Munroe est enfin revenue de son long voyage, « chargée d’une mine de renseignements », a-t-elle assuré, au téléphone, et dans une dizaine de minutes, Georgine sera près d’elle.

À cette pensée, et tandis qu’elle achève de s’habiller, la jeune fille sent son cœur qui bat à tout rompre. Elle sait qu’elle aura beaucoup de mal à revoir cet immeuble où chaque matin, depuis quatre ans, elle entrait avec tant de vaillante allégresse.

À cette heure du midi, elle a quelque chance de rencontrer peu de monde et c’est pourquoi elle l’a choisie. Ensuite, elle et Miss Munroe iront ensemble prendre le lunch au cafeteria le plus proche.

Or, la première personne que croise Melle  Favreau, en entrant au journal, c’est son ancien patron, M. Hannett. Il tressaille, à sa vue, et c’est comme une automate qu’elle répond, par une inclinaison de la tête, à son raide salut. Voici leur bureau. La porte en est fermée. Ici, c’est chez Miss Munroe. Georgine frappe.

Comme on la reçoit ! Elle serait la mariée du matin que la réception ne serait pas plus émouvante. Mais, surtout, Miss Munroe ne la quitte pas des yeux. Son regard la scrute, la fouille et il se fait plus perçant, derrière le lorgnon aux verres bien clairs.

— Mais c’est assez parler de moi ! interrompt soudain d’autorité la vieille dame. Mon voyage n’est rien. Il devient la chose du monde la plus banale en comparaison des événements qui se sont passés ici, durant mon absence.

Georgine rougit, se sachant visée, mais son regard un peu las reste ferme.

— Je n’en croyais pas mes oreilles, reprend Miss Munroe, lorsqu’on m’a appris la chose. Miss Favreau partie ?… Mais comment ? Pourquoi ?

Et une pause invite la jeune fille à justifier elle-même sa fugue. Tant pis : Mrs Munroe en sera pour ses frais.

— J’ai donné mes raisons à M. Hannett, fait posément Georgine. Je lui ai dit que j’avais absolument besoin de repos.

La directrice de la Page féminine se met à rire.

— Il ne l’a pas cru, prononce-t-elle.

Mais aussitôt, ses sourcils se rapprochent, ses lèvres se pincent et elle incline par deux ou trois fois la tête pour énoncer enfin :

— Il est de fait que votre mine est moins fraîche. Vos yeux sont abattus. N’allez pas vous négliger. Mais, reprend-elle, s’il s’agit simplement d’un repos, vous reviendrez ?

Georgine fait un geste vague.

— M. Hannett ne peut se passer d’une secrétaire, dit-elle. Je serai vite remplacée.

— Vous l’êtes déjà.

Chose curieuse, cette nouvelle fort plausible, inévitable même, c’est elle qui venait de le dire, lui arriva comme un grand coup dans la poitrine.

— J’avais proposé Charlotte Lépée… commença-t-elle.

— M. Hannett a pris une étrangère. Mais, entre nous, je ne crois pas qu’elle reste. À mon humble avis, elle n’a pas du tout le genre lui convient à notre directeur et s’il voulait m’en croire… Voulez-vous que je vous expose mon projet ou si vous avez trop grande hâte de voir les notes que j’ai rapporté des États-Unis ?

— Je vous en prie, Mrs Munroe… Les notes, j’aurai tout le reste de ma vie pour en prendre connaissance.

— Eh bien, je ferais en effet passer Melle  Lépée chez lui. Malgré son accent qui reste terriblement français, elle possède assez bien notre langue pour faire honneur au poste que vous abandonnez. Quant à son français, n’est-ce pas, en dépit de ma propre incompétence, je sais pouvoir affirmer qu’il est de première valeur. Elle pourrait très bien, j’en suis sûre aussi, nous donner les petites chroniques qui avaient si bien pris, sous la signature de Faverol.

Encore une fois, le cœur de Georgine se contracta, puis, il se mit à battre la charge.

— Enfin, à la place de Melle  Lépée, je mettrais Maud. Je comprends que ce serait tout un branle-bas, comme vous dites, en français, mais il était impossible que Miss Favreau disparût sans qu’il ne s’ensuive un petit désarroi.

— Et par qui remplaceriez-vous Maud ?

— Bien, voilà. J’ai une jeune nièce qui termine actuellement ses études au Business College. Il ne me déplairait pas de l’avoir près de moi. Sans compter que lorsque vous reviendrez, Miss Favreau, si les autres ne sont pas en mesure d’abandonner leur position, eh bien, nous sacrifierons ma nièce. Je ferai cela bien volontiers, pour vous. Chacune pourrait ainsi reprendre son poste antérieur, à commencer par Melle  Lépée qui est votre amie, et vous auriez l’illusion de n’être jamais partie.

Les yeux perçants continuaient à la fouiller et Melle  Favreau se demandait où commençait la complaisance, dans les dispositions de Mrs  Munroe et où finissait la diplomatie.

— À moins, reprit la digne lady, à moins que vous ne teniez aucunement à retourner chez M. Hannett. On peut avoir ses raisons.

Georgine garda le silence.

— Enfin, si vous aimiez essayer ailleurs, avant de revenir ici — parfois, un changement de milieu constitue un véritable repos — je pourrais vous offrir quelques adresses que je gardais en vue de ma nièce, justement. Tenez, je les ai, ici.

Georgine se garda bien de refuser l’aubaine. Les démarches jusqu’ici tentées par elle n’avaient pas abouti et M. Hannett ne disait que trop vrai en prétendant que cela coûte cher de ne rien gagner et de tout payer.

— Et maintenant, que je vous fasse voir mes notes, auxquelles vous me permettrez d’ajouter quelques explications indispensables. Mais auparavant, dites-moi donc si vos recherches personnelles ont abouti ?… Avez-vous pu savoir si votre père vivait encore ?

La voix de Georgine s’étrangla en prononçant :

— Il… est mort.

Et ses traits, d’une pâleur mate, se creusèrent de si tragique façon que Mrs  Munroe, abandonnant sa première hypothèse qui avait pour pivot M. Hannett, pensa que le mystère partait plutôt de ce côté.

Elle risqua toutefois une question de plus :

— Et vos frères ?

— Je n’ai pas de frères.

— Voici donc mes notes. Retenez-vous toujours, Miss Favreau ?

— Plus que jamais. J’aurai le devoir d’en faire part à…

— Votre marraine ? Que je vous félicite, tout d’abord ; car votre prévision était juste, au sujet de son fils. Mais vous comprendrez sans peine qu’il m’aurait été matériellement impossible de recueillir tous les documents que vous auriez pu désirer. Je n’ai que des noms et des adresses. Mais avec cela et un peu de correspondance, vous parviendrez, sans peine à reconstituer l’histoire qui vous intéresse.

Tout en parlant, elle avait sorti d’un tiroir une liasse de papiers dont elle fit sauter la bande élastique. Durant une dizaine de minutes, Georgine écouta attentivement les explications qu’on voulut bien lui donner, mais son visage restait morne et ses lèvres gardaient, à leur commissure, un pli désabusé. Comme s’il ne s’agissait point là de ce qui, quinze jours plus tôt, la soulevait d’enthousiasme et d’espoir.

Rentrée chez elle, Georgine mit d’abord en sûreté les documents qu’elle apportait, puis, ouvrant la liste d’adresses que lui avait remise Mrs  Munroe, elle eut la surprise de voir figurer parmi quelques autres le nom de Gill, le photographe.

Sa propre émotion l’étonna. Qu’était pour elle cet homme, sinon un atome de ce passé qu’elle reniait, de cet heureux et insouciant passé dont elle s’apprêtait à faire bonne justice…?

Aussi, hésita-t-elle à se présenter chez lui. Il ne manquerait pas de la reconnaître ; il l’avait photographiée, moins d’un an auparavant, et elle n’était pas de celles qu’on oublie ; et puis, employée chez ce photographe en vogue, elle s’exposait à revoir des connaissances qu’elle était pourtant décidée à fuir. Mais une attraction invincible, l’étreinte désespérée, peut-être, de ce passé qu’elle s’entraînait à haïr, fit qu’elle se rendit en premier lieu chez cet homme.

C’était un beau jour ensoleillé, précurseur du printemps. Georgine n’avait pas accoutumé de promener ainsi sa liberté les jours non fériés. Dans son organisme fatigué, une légère détente se produisait. Elle allait lentement, tant pour se protéger des éclaboussures, car la neige fondante faisait les rues abominables, que pour mieux savourer la douceur de cet instant. Les étalages nouveaux, les vitrines des fleuristes, la foule plus nombreuse dont s’animait la rue, tout parlait du printemps et déjà un espoir, encore bien imprécis germait au cœur de la pauvre désemparée : qui sait ce que l’avenir lui réservait ?…

Elle arrivait bientôt chez Gill. Elle se reconnaissait si bien ! La porte était ouverte sur l’escalier de fer qu’elle gravit. Dans la salle aux innombrables photographies, la même personne était au pupitre. Son sourire aimable s’en alla de lui-même lorsque Georgine lui dit pourquoi elle venait.

— Si vous voulez attendre ? proposa-t-elle. M. Gill est en ce moment occupé.

Ce ne fut pas trop long. Gill parut. Oh ! lui aussi, elle le reconnaissait. Sa pâleur mate, son front qu’il ridait, ses cheveux de couleur indécise, cet air d’adolescent bien grave… Mais, chose étonnante, lui ne parut pas la reconnaître. Il fut très courtois, mais cette absence du souvenir mettait entre eux comme une barrière.

Oui, son employée allait la quitter. Les références que Georgine exhibait parlait en sa faveur. Quel salaire désirait-elle ? Georgine lui dit alors combien elle avait au journal. Les lèvres minces de Gill se détendirent en un ferme sourire. C’est que le travail, ici, était beaucoup plus facile que là-bas. Il convenait aussi bien à une débutante et, pour tout dire, on ne pouvait lui offrir qu’un peu moins de la moitié du chiffre qu’elle citait.

Georgine se retira, non seulement désappointée mais si peu fière d’elle-même. Pourquoi était-elle allée là ? Pourquoi, sinon parce qu’elle croyait que Gill allait la reconnaître ? Elle ne se pardonnerait jamais cette honteuse faiblesse. Avec cela que le photographe pouvait être en relation avec quelqu’un du journal dont le personnel se composait presque uniquement d’anglais. La signature de M. Hannett, au bas de la lettre de références, lui avait paru familière. Qu’allait-on penser d’elle si son aventure s’ébruitait ?

Elle devait se tenir parole. À cinq heures, comme les bureaux se fermaient, elle venait de s’engager avec un notaire canadien de la rue St-Jacques pour un salaire moins élevé qu’au journal, il est vrai, mais encore acceptable. Elle devait commencer le lundi suivant.

— Demain, se promit-elle, je me cherche une pension et la semaine prochaine, je recommence ma vie en neuf. L’ancienne Georgine Favreau aura vécu.