Le talent de voir

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LE TALENT DE VOIR.

Prairial an ix (1801).

On était à la campagne ; c’était le soir.

Un grand jeune homme à figure insignifiante revint en bâillant d’une très-longue promenade. Il s’était ennuyé le matin ; il s’était ennuyé pendant le dîner ; toujours au moment de s’endormir, il ne s’endormait point ; on lui avait dit : Froidure, un peu d’exercice vous fera du bien ; promenez-vous.

Alors, après avoir étendu deux ou trois fois les bras, il avait pris le parti de marcher.

Le voilà de retour ; mais non pas plus amusé.

Il va prendre son violon et joue languissamment deux ou trois airs gais qui l’endorment.

Sur ces entrefaites, et comme on se promenait encore au jardin, Vertage, autre personnage de la même société, revient de son côté, essuyant son front, essuyant son chapeau. On était assis sous des tilleuls. Il vient s’asseoir avec les autres. « Par ma foi, je suis fatigué, dit-il, d’un air content. » Il avait fait aussi sa promenade.

« Vous êtes-vous amusé dehors ? lui demanda-t-on. — Moi ! jamais je ne m’ennuie. — Qu’avez-vous donc rencontré ? — Une foule de choses. — Contez-nous cela. — Ce que j’ai vu ? — Sans doute. — Vous vous moqueriez de moi. — Pourquoi donc ? — C’est que ce sont de ces choses que tout le monde voit tous les jours. — Lors un vieux bonhomme qui n’avait encore rien dit : « Et s’ils voient sans voir ? dit-il d’un air innocemment malin. — Comme M. Froidure, par exemple, ajouta une jeune personne. — Oh ! contez-nous ce que vous avez rencontré sur votre chemin. — Vous le voulez ? — Sans doute. — J’y consens ; mais c’est bien le voyage le moins extraordinaire dont on ait jamais fait la relation. »

« Mon histoire commencera comme celle de Don-Quichotte, par une aventure d’hôtellerie. Cette hôtellerie n’est autre que le Soleil levant, qui est au bout du village. À peine suis-je parvenu à cet endroit de mes voyages, que soudain frappé de ce qui s’offrait à mes regards, je me suis appuyé sur ce court et solide bâton, fidèle compagnon de toutes mes courses, et j’ai considéré à loisir une inscription…

— Une inscription ! Était-elle grecque, romaine, ou bien du moyen âge ?

— Je ne sais de quel âge ; mais, à coup sûr, d’un fort sot âge. Elle s’étendait sur une seule ligne dans toute la largeur de la maison. Les lettres étaient d’un blanc sale, le fond d’un rouge sang-de-bœuf. Voici textuellement ce qu’elle contenait : Brisemiche, aubergiste, donne à boire et à manger ; il y a des cabinets pour. Elle s’arrêtait à ce mot.

— Ah ! il y a des cabinets pour ! s’écria-t-on ! — Oui, il y a cela en propres termes. Surpris, comme vous pouvez penser, de voir une phrase terminée par une préposition, j’ai réfléchi, j’ai songé, j’ai examiné ; et comme l’examen est le fondement de toute science, j’ai enfin découvert deux mots de contrebande qui restaient à placer, lorsqu’il ne restait plus un seul bout de maison pour les recevoir. Les grosses lettres de l’inscription tenant presque toute la hauteur de la moulure saillante qui séparait le rez-de-chaussée du premier étage, le peintre, homme de lettres, s’était vu contraint de mettre, en très-petits caractères, au-dessus de la fin de sa ligne, ces deux mots-ci : les compagnies particulières. Et après un peu de réflexion, il me fut démontré que le mot POUR et les trois petits mots :


Les compagnies particulières,


formaient ensemble un membre complet de la même phrase.

Vous savez tous que le célèbre Machiavel fut nommé, à une certaine époque, ambassadeur de la Toscane, alors république, auprès de la France, alors monarchie. Tout cela est bien changé, c’est le caractère des peuples. Machiavel, l’observateur Machiavel, a fait un Mémoire sur cette ambassade, pendant laquelle il étudia les mœurs de la nation. Or, savez-vous ce qu’il a écrit de nous dans son Mémoire ? L’avenir n’est rien pour les Français.

Ce trait de satire, que certaines gens auront la bonhomie de prendre pour un éloge, m’est venu sur-le-champ à l’esprit, pendant que je considérais l’écriteau de l’auberge. Voilà un homme, me suis-je dit, qui a commencé sa ligne avant de savoir comment il la finirait. Cela ne serait rien, ai-je ajouté tout bas, cela ne serait rien, s’il n’y avait que l’écriteau de ce village commencé de cette façon ; mais il n’y a pas de village où il ne se rencontre quelque chose d’approchant ; cela même ne serait rien encore, si l’on ne commençait un palais, un canal, que dis-je ? une guerre ! comme le peintre a commencé son écriteau.

Plongé dans ces belles réflexions, je n’apercevais pas que M. Brisemiche, en personne, était campé, avec son bonnet de coton, sa serviette en tablier, et son tranchelard au côté, sur le seuil de la porte de sa cuisine, et qu’il me regardait. À la fin je l’ai aperçu ; et, ce qui m’a frappé d’abord, ce n’est pas tant sa barbe noire et ses joues enflammées, que son bonnet de coton, lequel était élégamment posé sur une frisure enfarinée, et laissait apercevoir des oreilles enfarinées, un chignon et une queue enfarinés, toutes choses de quoi il semblait excessivement fier.

Il n’y avait pas de quoi sans doute ; et je me disais (toujours en moi-même ; car il ne convient pas de penser tout haut sur le compte des aubergistes, non plus que sur celui des potentats) je me disais : Voilà un homme qui perd tous les jours une demi-heure de sa matinée, qui paie un perruquier, fait de la dépense en poudre et en pommade, et use un bonnet de coton dans la plus belle saison de l’année, le tout pour se faire la plus laide et la plus ridicule figure qu’il soit possible d’imaginer.

Il y a apparence que tandis que j’étais appuyé sur ma canne, droit en face de la porte de M. Brisemiche, ces réflexions, ou une partie de ces réflexions ont percé malgré moi sur ma figure ; toujours est-il certain que M. Brisemiche, sans se déranger, s’est mis à me faire une des plus laides grimaces qui se puissent voir.

Ce qui m’a déterminé à poursuivre mon chemin.

Quelques centaines de pas plus loin, passant au bord d’un jardin bien cultivé, j’en ai vu le jardinier qui arrosait une plate-bande de fraises. Oh ! oh ! voilà un brave homme qui se donne bien de la peine inutilement ; il pleuvra cette nuit, sans aucun doute. Quand son arrosoir a été épuisé, je lui ai fait compliment sur la tenue de son jardin : mais je m’étonne, ai-je ajouté, que vous arrosiez ce soir. Ne voyez-vous pas tous ces nuages épais qui roulent dans le ciel ? nous aurons de l’eau.

De l’eau ? a-t-il repris, en branlant la tête ; oh ! que nenni, j’avons caressé notre chat tantôt.

J’ai longtemps cherché quel rapport il pouvait y avoir entre les caresses que cet homme avait données à son chat et la pluie. Il a employé le temps de mes méditations à remplir et à vider de nouveau ses arrosoirs ; alors mettant de côté l’amour-propre, je lui ai humblement demandé ce que je ne pouvais deviner.

Voyez-vous, m’a-t-il dit, quand je caressons notre matou et que son poil pétille, je disons, il n’y aura pas d’eau.

Il ne m’a pas été possible de tirer de lui d’autre renseignement : il a donc fallu continuer ma route, non sans rêver au phénomène de mon jardinier.

Je regardais ce vaste amas de nuages variés dans leurs formes, variés dans leurs couleurs, dont l’ensemble représente si bien le vague des imaginations déréglées. Que d’objets tantôt riants, tantôt effrayants, et toujours bizarres, se succèdent dans ces têtes-là comme dans le ciel ! Tout n’est pourtant que vapeur.

Le chat m’occupait toujours, et je remontais ensuite du chat aux nuages. Si cet homme a observé plusieurs fois le même fait, il y a grande apparence qu’il tient à une même cause, me disais-je. Lors, rassemblant quelques connaissances physiques éparses dans ma tête, j’ai fait ce raisonnement.

Les étincelles qui pétillent sous la main du jardinier, sont des étincelles électriques, car il électrise le poil de son chat en le caressant ; mais elles ne pétillent ainsi que lorsque l’air est sec ; car le poil ne retiendrait aucune électricité par un temps humide.

Maintenant, pourquoi, quand l’air est sec, ne doit-on pas craindre la pluie ? Ces nuages, qui sont des amas de vapeurs humides, ne peuvent-ils pas se fondre en eau sur ma tête quand l’air est sec comme lorsqu’il est mouillé ? Non, ils ne le peuvent pas ; car un air sec, comme une terre sèche, comme une éponge sèche, peut absorber beaucoup d’humidité ; et si les nuages se condensaient en eau, cette eau serait dissoute et se répandrait, en humidité, dans l’air avant d’arriver sur la terre, en pluie. Je voyais même, tout à l’heure, un petit nuage blanc que j’ai suivi des yeux, qui ne s’est réuni à aucun autre, et qui cependant a disparu. Il s’est fondu dans l’air ; si l’atmosphère avait été déjà chargée d’humidité, il serait tombé en pluie.

Allons, je vois que j’ai chez moi un excellent baromètre dont je ne m’étais pas avisé, et ce qu’il y a de charmant un baromètre qui prend des souris.

Ces réflexions et quelques autres m’ont conduit jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges.

Oh ! le joli petit tableau que j’ai vu avant d’entrer dans ce bourg !

Est-ce un tableau d’histoire ? demanda-t-on en riant ? — Non, Madame, un tableau de genre, et qui porte pour titre : La marchande de cerises.

Elle avait un âne dont les paniers étaient pleins de cerises, et elle attendait les chalands ; mais, comme vous savez, rien n’est si ennuyeux que d’attendre. C’est alors qu’on est bien heureux de savoir lire, et la petite paysanne avait ce bonheur-là. Assise sur un banc, au pied d’un grand arbre, elle tenait un vieux bouquin qu’elle lisait avec la plus grande attention : il fallait que ce fût le Chat botté, ou toute autre histoire aussi grave, car la jeune personne ne levait pas les yeux de dessus son livre.

L’âne se désennuyait aussi de son côté, à sa manière. Campé sur ses quatre jambes devant sa maîtresse, il mangeait l’avoine qu’elle avait mise dans son tablier. Afin que l’avoine ne se perdît pas, les deux bouts du tablier avaient été noués sur le cou de l’âne, et la gentille paysanne, en écartant un peu les genoux, lui avait pratiqué une auge tout à fait commode.

En arrivant, j’ai vu ce groupe de profil ; la tête du baudet s’enfonçait pour chercher les derniers grains de son souper ; et ses deux oreilles, grandes et redressées, sortaient seules de ce réduit, et s’élevaient fièrement vers le ciel.

Demarne aurait fait de l’ensemble du groupe un charmant tableau. Il faut que je lui en parle.

J’ai traversé le bourg afin de revenir le long de la petite rivière d’Yères. Les jolis coteaux ! qu’ils sont riants ! C’est que dans ce canton chaque propriétaire ne cherche pas à s’entourer d’une triste muraille. Rien n’embellit un paysage autant que les haies vives ; j’ajouterais volontiers : rien ne défend mieux les propriétés, quand ces haies sont bonnes, et il est facile de les faire bonnes, surtout à présent que nos naturalistes nous ont procuré une foule d’arbres et d’arbustes propres à cet usage. Qu’on entoure son jardin d’acacias en buissons, ou encore mieux de féviers épineux, Gleditschia triacanthos de Linné, dont les épines dures, aiguës, dirigées en tout sens, ont trois ou quatre pouces de longueur : le plus intrépide voleur n’aura garde d’y pénétrer.

Dans un endroit où la rivière vient s’approcher du chemin, j’ai vu un pêcheur à la ligne. Je lui ai souhaité bien du plaisir et j’ai continué ma route. Ce divertissement ne sera jamais le mien : il faut avoir trop ou trop peu d’esprit, pour s’y plaire.

Vous savez qu’après avoir traversé le village d’Yères, à deux ou trois portées de fusil plus loin, on rencontre l’abbaye, ou plutôt les ruines de l’abbaye d’Yères. C’est une belle chose que les ruines d’un monastère ? Elles inspirent au philosophe des réflexions sur l’empire inévitable du temps, l’edax rerum d’Ovide ; les personnes sensibles y puisent quelques gouttes d’une délicieuse mélancolie ; les âmes dévotes y recueillent des sentiments pieux, et le poète y trouve des sujets d’élégies. Sans être poète, j’y ai rencontré deux ou trois romans, dont je ferai quelque jour présent au public.

Dans ce qui formait le cloître, tout un mur avait été abattu, et un rang de cellules ouvertes d’un côté et suspendues en l’air, dévoilaient aux regards des profanes les mystères de leur intérieur. Debout sur une pierre de taille élevée, j’observais cela comme le diable boîteux observait l’intérieur des maisons de Madrid. Combien de nonnes mon imagination apercevait là-dedans ! et que de choses diverses je leur voyais faire !

Un peu plus loin, sous le toit de l’église, les hirondelles avaient construit une foule de nids ; elles allaient, venaient, par milliers, de leurs nids à la rivière et dans les champs, et de là revenaient à leurs nids, toujours sifflant et glissant sur les airs avec leurs longues ailes aiguës. Mais, ô crime ! des garnements, au détour d’un mur, une longue ramure à la main, en abattaient toujours quelques-unes au passage !

Quand on se promène en observateur, si l’on rencontre des plaisirs, ou rencontre aussi quelquefois des chagrins. Seul, contre tous ces mauvais petits sujets, c’est bien en vain que j’aurais voulu les empêcher de continuer leurs jeux barbares. Je me suis approché d’eux cependant ; j’en ai pris un par le bras, et je lui ai dit : — Mon ami, tu ne sais pas ? on emmène ton papa et ta maman. — Le petit garçon m’a regardé entre les deux yeux, comme pour me demander si c’était bien vrai. — Oui, ai-je continué, des soldats sont venus, et, dans ce moment, ils emmènent ton papa et ta maman sans vouloir écouter leurs raisons.

Aussitôt l’enfant s’est mis à courir à toutes jambes du côté du village.

Je me suis ensuite approché d’un autre et je lui ai fait le même conte : On est venu prendre tes parents ; et les tiens aussi, ai-je dit à un troisième ; et les petits garçons de courir.

J’ai voulu en tromper un quatrième ; mais celui-là, un peu plus grand que les autres, n’a pas été ma dupe. — Ce n’est pas vrai, ce que vous dites-là, a-t-il répondu en donnant un coup de coude.

Mais si cela était vrai, ai-je repris ? si on enlevait ton père et ta mère, que ferais-tu ? que deviendrais-tu ?… Tu ne réponds pas. Je le sais bien, moi, ce que tu deviendrais. Personne ne prendrait plus soin de toi, personne ne te donnerait plus des habits et du pain ; tu mourrais de faim.

Le jeune garçon, un peu honteux et ne sachant que me répondre, voulait s’éloigner de moi ; je l’ai arrêté par le bras, je lui ai montré le toit et les nids d’hirondelles. Qu’est-ce qu’il y a là-haut ? — Des nids. — Et dans ces nids ? — Des petits oiseaux. — Oui, c’est vrai, des enfants d’hirondelles ; et si vous abattez leurs pères et leurs mères, que deviendront-ils ?

Là mon jeune homme a voulu encore s’en aller ; mais j’ai répété ma question : « Que deviendront-ils ? — Ils mourront de faim. — Hé ! d’où vient, mon cher ami, leur fais-tu souffrir si gaiement ce que tu serais si fâché de souffrir toi-même ? Tes petits camarades qui courent au village vont être bientôt détrompés ; ils trouveront leur mère ; mais ces petits oiseaux ne verront plus revenir la leur, que tu as prise ou tuée. Je ne t’en veux pas de ce que tu as fait jusqu’à présent, parce que tu l’as fait sans réflexion ; mais je t’en voudrai pour tout de bon, si tu le fais encore.

— Je ne le ferai plus, Monsieur, m’a-t-il répondu d’un air moitié honteux, moitié attendri. — Bien sûrement ? — Oh ! oui, sûrement En ce cas, nous resterons amis ; touche-moi la main. Touche donc. Bon.

Il a repris bien vite un air souriant et content de lui, et je lui ai recommandé, en le quittant, de raconter à ses camarades tout ce que je lui avais dit. Il me l’a promis, et j’en crois sa promesse, car en me retournant quelques instants après, je l’ai vu lâcher une hirondelle qui n’avait été qu’étourdie et qu’il tenait dans le coin d’un buisson, attachée par la patte.

J’avais quitté mes petits garçons, et pour revenir ici, je remontais la colline, plongé dans de très-graves réflexions sur l’éducation, lorsque j’ai rencontré la pension de Brunoy toute entière, maîtres et élèves, qui marchaient par groupes répandus sur un long espace de terrain avec assez peu d’ordre comme à la suite d’une longue course.

En voyant une pension, il m’a toujours semblé qu’on pouvait démêler les caractères futurs dans les habitudes présentes, et par suite le rôle que joueront ces jeunes acteurs sur le grand théâtre de la vie. En avant avec le maître marchaient deux jeunes gens qui paraissaient être ses favoris ; l’un d’eux portait son chapeau, l’autre le questionnait et recevait ses oracles, et lui répondait d’un air empressé. Voilà, me disais-je, des hommes qui s’approcheront des sources du pouvoir, qui trouveront que les gens en place et les gens riches n’ont jamais tort, et pour lesquels seront toutes les grâces.

Un élève grimpait à genoux pour attraper un scarabée sur l’escarpement qui bordait le chemin. Il l’atteint, le saisit, redescend avec sa proie, l’examine, développe avec une épingle ses antennes, ses ailes… Voilà, me dis-je, un naturaliste, que l’attrait des observations rendra étranger au monde et aux affaires.

Un groupe de rieurs venait ensuite et se tenant par le bras, sautaient plutôt qu’ils ne marchaient autour d’un conteur plaisant qui les divertissait. Le conteur, me suis-je dit, cherchera les succès de société et fera son bonheur de plaire dans le monde. Les autres, sans songer aux études, sans songer aux affaires, iront où le plaisir les appellera.

Un élève d’un air sombre, marchait seul de l’autre côté du chemin, ne s’entretenant qu’avec lui-même, il paraissait jaloux du succès des uns et du plaisir des autres. Dieu vous garde, mes bons amis ! La jaquette de celui-ci enferme un futur usurpateur qui médite sur les moyens de vous dominer et de vous amener par la force à faire attention à lui. »

Notre promeneur en était là de sa narration, lorsque Froidure ayant achevé son somme, ou bien ne l’ayant pas commencé, vint au jardin retrouver la compagnie. Je vous conterai le reste une autre fois, dit Vertage ; on insista pour avoir la suite, il ne voulut pas la donner. Aussi bien il se fait tard, ajouta-t-il.

Lors une de ces dames s’adressant au grand jeune homme : « En vérité, Monsieur Froidure, lui dit-elle, il est fâcheux que vous ayez mal choisi votre promenade ; car si vous étiez allé du même côté que Monsieur, vous vous seriez fort amusé. Par où avez-vous donc passé, pour vous ennuyer comme vous avez fait ?

— Madame, je suis allé du côté de Villeneuve-Saint-Georges, et je suis revenu par le vallon et l’abbaye d’Yères. — Tout de bon ? — Sans doute ; que trouvez-vous d’étonnant à cela ? — Et vous vous êtes ennuyé ? — On ne peut davantage.

— Comment, vous avez passé à côté de l’auberge du Soleil-Levant sans rien remarquer ?

— C’est vraiment quelque chose de beau que ce cabaret !

— Vous n’avez pas vu la marchande de cerises de Villeneuve-Saint- Georges ?

— Je ne sais seulement s’il y a, ou s’il n’y a pas, une marchande de cerises à Villeneuve-Saint-Georges.

— Vous n’avez pas vu les hirondelles de l’abbaye d’Yères ?

— Assurément non ; est-ce que je m’amuse à regarder les hirondelles ?

— Vraiment, reprit-on presqu’en chorus, nous comprenons à présent comment vous avez pu vous ennuyer. »