Le tambour du régiment/11

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Éditions Albert Lévesque (p. 114-119).


XI



CHATAKOIN À LA RESCOUSSE



LORSQUE le Sioux s’éveilla de son profond sommeil, il s’aperçut avec rage que sa prisonnière avait été enlevée et il ne douta pas un seul instant que ce fut par le jeune soldat qui avait essayé de la lui arracher.

Outré de colère, il suivit les traces du militaire et finit par le découvrir couché par terre et privé de connaissance… Il chercha rapidement dans les broussailles, nulle trace de la petite Anglaise… Sa rage alors ne connut plus de bornes ; il s’empara du jeune tambour, le jeta sur son épaule et s’enfuit dans le bois !

Il venait de disparaître lorsque le sergent arriva avec les brancardiers.

Le sauvage porta Daniel jusqu’à une cache qu’il connaissait dans la forêt, le posa par terre et l’attacha solidement. Voyant que le sang coulait de sa blessure, il la pansa, voulant conserver la vie à son prisonnier afin de l’amener en cachette dans sa bourgade et le torturer avant de le brûler vif. Il fallait le cacher aux Français surtout, qui ne pardonneraient pas le mal fait à un des leurs…

Il restait encore un peu de boisson au fond de sa gourde, il en versa quelques gouttes dans le gosier du jeune soldat… celui-ci ouvrit les yeux :

— Où suis-je ? dit-il faiblement.

— Dans ma cache, Visage-Pâle et tu n’en sortiras que pour te rendre prisonnier à ma tribu !

— L’enfant ? murmura le blessé.

— Je l’ai reprise, rusa l’Indien ; je l’ai bien cachée, tu ne la retrouveras plus !

Pendant ce temps, le sergent avait averti les autorités, du camp que le tambour de Royal-Roussillon, blessé, évanoui, avait été enlevé. On questionna la petite Anglaise mais elle était si énervée qu’elle ne put leur donner que peu de détails ; cependant on apprit qu’elle avait été enlevée par un Sioux, qu’un soldat l’avait sauvée et qu’il s’était affaissé tout à coup dans le sentier en la ramenant.

Un des officiers suggéra :

— Faites donc venir Joseph Chatakoin, son ami. Ce Huron saura sans doute où il faut se diriger !

Le sergent savait où le trouver et se hâta de lui apprendre les faits.

Petit-Cerf réfléchit un peu avant de répondre, puis il dit gravement :

— Ma nation a honte de ses frères des autres tribus ! Ils ont manqué à la parole jurée à Ononthio.

Je pense que pour retrouver La Flèche, il ne faut pas laisser voir qu’on le cherche. Qu’on se cache pour faire le guet aux alentours du bois… et j’irai seul dans la forêt le chercher !

— Penses-tu qu’il ait été tué ? questionna Duperrier.

— Je ne crois pas. On l’eut retrouvé à la même place, mort et scalpé… non, l’homme rouge est vindicatif, le Sioux plus encore que les autres… La Flèche lui a enlevé sa prisonnière, il veut se venger, et le torturer avant de le faire mourir !

— Alors, que faire ? demanda le sergent avec angoisse ?

— Attendre… guetter sans bruit… et Petit-Cerf le ramènera mort ou vif. Prêtez l’oreille : si vous entendez trois fois le cri du hibou, venez au-devant de moi dans le sentier !

Le Huron partit immédiatement et sans prendre le chemin battu, il s’enfonça dans le bois…

Il marchait sans bruit, écoutant, flairant ; il se doutait bien qu’il devait y avoir des caches ici comme dans les autres forêts et que le Sioux avait dû y porter le jeune soldat. Il vit soudain, à ses pieds, une petite baguette tombée dans la brousse. Il savait que Daniel en portait toujours deux à sa ceinture ; plus loin, il vit des traces de sang… il était donc sur la bonne piste, la blessure avait dû saigner lorsque l’Indien avait transporté le soldat !

Il s’étendit sur le sol et attendit longtemps. Une source coulait à quelques pas de sa cachette, il s’y désaltéra et se cacha de nouveau.

Avant le coucher du soleil il vit poindre un peu plus loin la silhouette d’un Indien. Celui-ci regarda de tous côtés, puis marcha lentement vers la source, son tomahawk à la main… Chatakoin ne bougeait pas mais le suivait des yeux… rendu à la source, l’Indien se coucha sur le sol et se mit à boire l’eau rafraîchissante… il ne se releva pas… une flèche fendit l’air et lui traversa la nuque !

Petit-Cerf bondit auprès de lui, s’empara de son tomahawk, et voyant que le Sioux bougeait encore il l’acheva d’un coup de la terrible hache entre les deux épaules.

Retrouver la cache était chose facile, puisque le Huron avait vu l’autre Indien en sortir…

Daniel, solidement ligotté, était couché sur la mousse ; les yeux fermés, il semblait dormir. Petit-Cerf coupa les liens, passa sa main sous son gilet… le cœur battait ! Il vit que l’épaule avait été pansée :

— C’est comme je pensais, murmura-t-il, il le réservait pour la torture !

Le Huron prit le pauvre blessé entre ses bras vigoureux et repartit vers le campement, suivant cette fois le sentier. Arrivé en vue du fort, il fit entendre trois fois le cri du hibou, tel que convenu… À l’instant, une bande de soldats s’élança vers lui et on porta le rescapé jusqu’à l’infirmerie du camp où un chirurgien se mit en devoir de défaire le pansement du sauvage et de le remplacer par un autre plus conforme à l’hygiène, tandis que le sergent, ému, serrait la main du brave Huron et le félicitait de son adresse et de son dévouement.

Le lendemain, pendant que dans son lit d’hôpital, le blessé commençait à donner de vagues signes de connaissance, Chatakoin se dirigeait avec un message vers le camp retranché. En route, il vit un officier anglais subitement attaqué par un Iroquois et en grand danger de se faire massacrer. Il se lança sur l’agresseur pour l’arrêter, mais celui-ci, lâchant l’officier, se retourna contre le Huron et lui plongea son tomahawk dans le cœur !

Ainsi périt un des plus braves guerriers de la nation huronne.

L’Anglais et deux soldats français qui venaient d’accourir, s’emparèrent de l’Iroquois, tandis que d’autres militaires ramenaient au campement le corps du loyal et brave Petit-Cerf.