Le vingtième siècle/Partie I/Chapitre 2

La bibliothèque libre.



ii


Père pratique et tuteur pratique.
Une victime des Tubes. — La grande réforme de l’instruction.
Les classiques concentrés. — Le choix d’une carrière.



M. Ponto.
M. Raphaël Ponto, excellent père, avait résolu de consacrer entièrement sa soirée à ses enfants ; renonçant même à l’audition téléphonoscopique d’un acte ou deux de l’Opéra français, allemand ou italien, qu’il s’offrait quotidiennement après dîner pour faciliter la digestion, il sommeilla dans son fauteuil en faisant causer les jeunes filles.

On était tout à fait en famille. Il n’y avait là que le caissier principal de la banque, deux ou trois amis et un oncle du banquier, très antique, très ridé, très cassé et même quelque peu tombé en enfance. — « Mon oncle Casse-Noisette ! », disait en parlant de lui l’estimable banquier, en faisant allusion au nez et au menton du digne oncle que l’âge et une sympathie mutuelle portaient à se rapprocher.

Cet homme vénérable, enfoncé dans une bergère, adressait du fond de son faux-col quelques questions à ses petites-nièces sur le voyage qu’elles venaient de faire.

— Alors, mes enfants, vous êtes arrivées à Paris à quatre heures ?… et parties de Plougadec à ?…

— Oui, mon oncle, parties de Plougadec à trois heures un quart… je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, vous savez bien…

— Vous croyez ?… trois quarts d’heure seulement pour venir du fond de la Bretagne à Paris ! … Les heures n’ont toujours que soixante minutes, n’est-ce pas ? … On change tout, maintenant ! … trois quarts d’heure ! … et quand je pense que de mon temps…

— Allons, dit Ponto, voilà que ça lui reprend ! … nos tubes lui mettent la cervelle à l’envers ! … Voyons, mon oncle Casse-Noisette, laissez là vos vieux souvenirs ! …

— Quand je pense que dans ma jeunesse, en 1890, avec les chemins de fer, on mettait dix heures pour aller de Paris à Bordeaux ! … et grand-papa… vous ne l’avez pas connu grand-papa ? … Non… vous êtes trop jeunes… grand-papa me disait qu’avec les diligences, il fallait quatre jours ! … et maintenant le tube vous jette en trois quarts d’heure du fond de la Bretagne à Paris ! …

— Trois quarts d’heure de tube, par train omnibus ! dit Barnabette en riant ; l’express met vingt-huit minutes ! le temps de s’embarquer à Brest ; et vlan ! l’électricité et l’air comprimé vous lancent dans le tube avec une vitesse foudroyante !
L’oncle
Casse-Noisette
.
— Horrible ! » gémit l’oncle vénérable en s’enfonçant dans le collet de sa redingote.

M. Ponto éclata de rire.

— Notre pauvre oncle Casse-Noisette, dit-il à ses amis, rabâche continuellement de ses chemins de fer ! vous ne savez pas pourquoi ? … C’était un des plus forts actionnaires du chemin de fer du Nord et l’invention des tubes électriques et pneumatiques venant, vers 1915, remplacer les antiques voies ferrées, l’a ruiné complètement… le brave homme n’a jamais pu prendre son parti de cette catastrophe et il poursuit à toute occasion de ses malédictions l’infernal tube, cause de ses malheurs !

« Il a toujours eu depuis la tête dérangée, dit le caissier de M. Ponto, il n’est pas possible qu’on ait jamais mis dix heures pour aller à Bordeaux…

— Je ne crois pas, dit Ponto, il exagère !

— C’est comme ce qu’il nous raconte des omnibus et des tramways du temps jadis…

— Pourtant il y a des vers célèbres là-dessus, dit Ponto, je ne sais plus de qui ; voyons si je me les rappelle…


Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le bourgeois indolent !

— C’était le tramway d’il y a cent ans ! c’est inimaginable ! exclama le caissier.


plougadec-les-cormorans.

— Mon pauvre oncle, reprit Ponto, a donc été ruiné de fond en comble par la faillite des chemins de fer à la création des tubes ; il m’a raconté jadis les péripéties de l’affaire… les chemins de fer ont essayé pendant quelque temps de lutter contre les tubes, mais les avantages immenses de cette concurrence — la concurrence ! comme disait mon oncle avec des imprécations, — le bon marché des voyages, la rapidité, ont bien vite fait abandonner la vapeur ; les locomotives se sont rouillées dans l’inaction, on a vendu les rails au vieux fer et tout a été dit !… Avez-vous vu la dernière locomotive qui fonctionna entre Paris et Calais sur la ligne du Nord, en 1915 ? Elle est au musée de Cluny, la pauvre vieille, avec toutes les reliques du moyen âge ! Mon oncle va de temps en temps contempler ce vieux débris d’un autre âge et causer avec elle de la baisse épouvantable des actions survenue l’année des tubes…

— De 3,175 francs à 1 fr. 25 ! gémit l’oncle avec un accent désespéré.

— Il a été ruiné par les tubes comme son grand-père, actionnaire des Compagnies de diligences l’avait été par les chemins de fer… c’est dans la destinée de la famille… Il m’arrivera la même mésaventure quand on remplacera les tubes et l’électricité par quelque moyen de locomotion meilleur et plus rapide !

L’oncle Casse-Noisette, après avoir poussé quelques gémissements inarticulés, ne parla plus et se contenta de protester contre le siècle par des hochements de tête réguliers qui le conduisirent rapidement au sommeil.

— Voyons, mes petites, reprit M. Raphaël Ponto en s’adressant à ses filles, causons de choses plus sérieuses que les antiques chemins de fer et les fabuleuses diligences de notre vénérable oncle ! Voyons, dites-moi, suis-je un homme pratique ?

— Certainement, papa, répondirent Barbe et Barnabette, vous êtes un homme pratique.

— Excessivement pratique ! dit le banquier ; père pratique, tuteur pratique ! je vous ai fait donner une éducation pratique ! La vie de collège, il n’y a que cela pour retremper la jeunesse ; je regarde l’éducation de la famille comme trop amollissante et je pense qu’elle ne donne pas aux jeunes gens le nerf nécessaire pour se lancer dans la vie avec des chances de réussite ; oui, vraiment, le lycée était avantageux pour vous et pour moi… C’est vous surtout, ma chère Hélène, qui devez vous applaudir d’avoir reçu une éducation pratique ! En ma double qualité d’homme et de tuteur pratique, je vous ai flanquée au lycée quand vous avez eu dix ans… dans un lycée éloigné, sur les côtes de Bretagne… bonne situation, air salubre, brises marines fortifiantes, vacances très limitées, ce qui est excellent pour la tranquillité !!… Vous étiez très bien à Plougadec-les-Cormorans…

— La réforme universitaire d’il y a vingt ans a porté d’excellents fruits, dit un des amis de M. Ponto ; l’éducation est maintenant exclusivement pratique !

— Un peu trop de sciences exactes, fit Hélène avec un sourire.

— Jamais trop, mademoiselle, dit sentencieusement Ponto.

— De la physique, de la chimie, des mathématiques transcendantes toujours et toujours… jusqu’à donner le cauchemar ! dit Hélène en esquissant une moue qui prouvait qu’elle n’appréciait que très faiblement les agréments du lycée de Plougadec-les-Cormorans.

— Des mathématiques jusqu’à indigestion ! ajouta irrévérencieusement Barnabette.

— Et le cours de droit, grand Dieu ! reprit Hélène, voilà encore quelque chose de délicieux ! Deux après-midi par semaine consacrées à l’étude des Institutes et des Pandectes… et nos Codes, et Dupin, et Mourlon et Sirey… ah grand Dieu ! si jamais je souffre de l’insomnie, je n’aurai qu’à me rappeler le cours de jurisprudence pour m’endormir !…


la leçon de séparation.

— Vos notes n’étaient pas toujours très bonnes, ma chère Hélène, je l’ai constaté avec chagrin… et vous n’avez jamais obtenu qu’un simple accessit de jurisprudence !

— Que je ne méritais guère… c’est Barbe qui m’a soufflé aux examens.

— Moi, dit Barbe, c’est étonnant, mais je mordais assez bien au droit ; je suis ferrée comme un avocat sur les huit codes… Dans le cours spécial traitant des séparations de corps et de biens…

— Ah ! vous suiviez un cours spécial de séparations ?… fit le caissier.

— C’est excellent et très pratique ! dit Ponto ; j’approuve fort le conseil de l’instruction publique d’avoir introduit ce cours dans le programme des études.

— Ne devons-nous pas être armées solidement pour la lutte ? reprit Barbe ; nos professeurs appellent très justement notre attention sur ce cours… Dans le cours spécial des séparations, j’ai obtenu une mention particulière !

— Enfin, ma chère Hélène, jurisprudence à part, vous voici bachelière ès lettres et ès sciences !

— Oh ! vous savez qu’il n’est pas bien lourd, le bachot ès lettres. Pour faciliter et abréger les études littéraires, on a inventé les cours de littératures concentrées… Cela ne fatigue pas beaucoup le cerveau… Les vieux classiques sont maintenant condensés en trois pages…

— Excellent ! ces vieux classiques, ces scélérats grecs et latins ont donné tant de mal à la pauvre jeunesse d’autrefois !

— L’opération qu’on leur a fait subir les a rendus inoffensifs, tout à fait inoffensifs : chaque auteur a été résumé en un quatrain mnémotechnique qui s’avale sans douleur et se retient sans effort… Voulez-vous la traduction concentrée de l’Iliade avec la notice sur l’auteur ? La voici :

Homère, auteur grec. Genre : poésie épique. Signe particulier : aveugle.

     Sous les murs d’Ilion, dix ans passés, hélas !
     Les Grecs ont combattu, conduits par Ménélas,
     Ulysse, Agamemnon et le fils de Pelée.
     Hector, fils de Priam, périt dans la mêlée.


— Bravo ! s’écria M. Ponto, c’est très suffisant ; j’ai dans ma bibliothèque une autre traduction de l’Iliade en quatre volumes, mais je préfère celle-ci ; c’est plus clair et cela se lit plus facilement… À notre époque affairée, il faut des auteurs rapides et concentrés… J’admire beaucoup l’homme de génie qui a inventé la littérature concentrée.

— Les auteurs français n’ont pas eu besoin d’être traduits en quatrains, on en a fait des condensations en vers et en prose. Nous avons Corneille condensé en quatre vers :

     La valeur n’attend pas le nombre des années.
     Prends un siège, Cinna…, etc.


les classiques concentrés.

— Cela suffit parfaitement…
j’aimerais assez voir appliquer ce système de condensation au théâtre ; on pourrait
très bien condenser tout le théâtre de Corneille en un acte, tout Racine en un acte, tout Dumas père et fils en un
acte, tout Victor Hugo en un acte, et enfin tout Dennery
également en un acte ; on pourrait imaginer
facilement une action attachante pour relier les cinq
actes. Le public aurait, de cette façon,
les cinq grands classiques en une seule soirée… ce serait un immense succès !

— Il faudrait condenser toutes les héroïnes si touchantes de ces auteurs, en une seule qui serait à la fois Phèdre, Hermione, dona Sol, Esmeralda, Anne d’Autriche, Madame de Montsoreau ou la Dame aux Camélias…

— Et faire entrer dans la pièce toutes les grandes tirades ou tous les mots célèbres : Grâce ! monseigneur, grâce !… Le danger et moi, nous sommes frères !… C’était une noble tête de vieillard ! Il est trop tard !!! etc., etc.

— Sans oublier la voix du sang, la lettre fatale, la croix de ma mère, la porte secrète, le forçat innocent, le sabre de mon père, l’échelle de corde, le poison des Borgia

— Quelle pièce, messieurs, quelle pièce que celle qui réunirait toutes ces beautés ! J’en parlerai à un auteur dramatique de mes amis…

— Dans les classiques concentrés, reprit Hélène, Racine est en quatre vers :

     Oui, je viens dans son temple adorer l’éternel…


Et Boileau en quatre vers :

     Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
     Polissez-le sans cesse et le repolissez…


— C’est donc cela, dit M. Ponto, que les romantiques du siècle dernier l’appelaient Polisson !

— Bossuet en une ligne : Madame se meurt, Madame est morte… ! Fénelon en deux lignes : Mentor, le sage Mentor…, etc. ; Voltaire en deux vers et deux lignes ; Ponson du Terrail en trois lignes : « Non, Rocambole n’était pas mort… etc. ; Victor Hugo en quatre vers ; Émile Zola en trois lignes : « Dans le vert sombre et luisant des tas de choux, des bottes de carottes mettaient des taches rouges… etc. ; Chateaubriand en deux lignes : « L’homme, ce voyageur…… etc.

— C’est parfait ! on ne peut que féliciter le grand ministre, le rénovateur de l’instruction publique qui a si vaillamment rompu avec la tradition et si admirablement simplifié les études. De cette façon, la jeunesse achève rapidement ses études littéraires et peut consacrer tout son temps aux classes sérieuses et pratiques !… Et maintenant, ma chère Hélène, que vous avez conquis vos grades universitaires, dites-moi ce que vous comptez faire ?

— Moi ? dit Hélène en regardant son tuteur avec stupéfaction.

— Sans doute ! Le moment est venu de vous lancer dans une carrière quelconque… l’éducation pratique que je vous ai fait donner, vous a mise à même de choisir : à votre âge, une jeune fille doit songer à se créer une position sociale…

— J’avoue, mon cher tuteur, n’y avoir pas encore pensé.

— Pas pensé à cela ! pas pensé à la carrière que vous devez embrasser ! Que faisiez-vous donc au lycée de Plougadec-les-Cormorans ?

— Je m’ennuyais ! répondit Hélène.

— Vous me troublez prodigieusement ! Voyons, réfléchissez ! comme tuteur, je vous invite à vous prononcer pour une carrière quelconque ! Il le faut !


nouvelles carrières féminines. — la médecine.

— Je croyais n’y être pas forcée, balbutia Hélène ; je ne me sens de goût bien déterminé pour aucune carrière.

— Aucune carrière ! Croyez-vous donc pouvoir vous passer d’une profession ?

— Je croyais… je pensais…

— Toutes les carrières sont ouvertes maintenant à l’activité féminine : le commerce, la finance, l’administration, le barreau, la médecine… Les femmes ont conquis tous leurs droits, elles ont forcé toutes les portes… Mes filles à moi, élevées par un père pratique, entendent ne pas rester des inutilités sociales : elles entrent dans la finance ; ma maison de banque est réservée à mon fils Philippe, mais Barbe prendra la succursale de New-York et Barnabette celle de Constantinople… Vous avez reçu la même éducation pratique qu’elles, en auriez-vous moins profité ?

Hélène baissait la tête.

— J’y suis ! poursuivit M. Ponto, vous vous croyez dispensée du souci de conquérir par vous-même une position sociale, vous vous croyez riche !… Ma pauvre enfant, sachez donc que, vos frais d’éducation payés, il vous reste à peine dix mille francs de rente !

— J’ai des goûts simples, dit Hélène.

M. Ponto éclata de rire.

— Innocente ! s’écria-t-il, vous croyez pouvoir vivre avec cela ? Vous ignorez donc que vos dix mille francs de rente suffiront tout juste à payer le loyer d’un pauvre petit appartement de faubourg…
Arrivée de Mme  Ponto.
— Sans ascenseur ni électricité ! dit le caissier.

— De toute nécessité, il vous faut travailler… L’éducation pratique que je vous ai fait donner vous ouvre une foule de carrières, voulez-vous essayer de la finance ? voulez-vous devenir banquière ? agente de change ? je puis aider à vos débuts en vous trouvant une place chez une agente de change… vous vous initierez là aux grandes questions financières, et avec de l’intelligence, de la volonté, de la persévérance, de l’initiative…

— J’ai l’horreur des chiffres, gémit Hélène.

— Mauvais symptôme !… enfin ! Préférez-vous le barreau ? vous n’avez qu’à continuer vos études de droit… En deux ans, vous pouvez être reçue avocate… Les membres du barreau féminin ont un avenir brillant devant elles, on abandonne de plus en plus les avocats masculins…

— Je vous ai dit que je n’avais jamais pu obtenir qu’un accessit dans mes trois années de droit…

— C’est fâcheux ! si le barreau vous déplaît, vous pouvez devenir notaresse… non ? Que pensez-vous de la médecine ? Je me chargerais de pourvoir à tout pendant le cours de vos études ; en travaillant sérieusement, vous pouvez arriver au doctorat en cinq ou six ans ! Belle carrière encore pour une femme : avec nos relations, je me charge de vous donner bien vite une des plus belles clientèles de Paris…


Nouvelles carrières féminines.
Le notariat.

— Je ne me sens aucune vocation, répondit Hélène ; dans l’intérêt même des malades, j’aimerais mieux autre chose…

— Diable ! Et le commerce ?

— Le goût du commerce me manque absolument.

— L’administration, alors ? Vous n’avez pas d’ambition, vous venez de me dire que vous aviez des goûts tranquilles, ce serait votre affaire ; une place dans un ministère vous irait ; là, pas de responsabilité, pas de tracas, un avancement lent, mais sûr…

Hélène ne répondit pas.

— Cela ne vous va pas non plus ? Mais alors vous n’avez de goût pour rien ? Voyons, cherchez, réfléchissez… Comme tuteur, mon devoir m’oblige à la sévérité. Dans votre propre intérêt, il me faut secouer votre inertie… Je vous donne huit jours pour réfléchir et pour fixer définitivement votre choix sur une carrière quelconque !

Comme M. Ponto allait continuer à admonester une pupille si déplorablement douée au point de vue pratique, un tintement de sonnette électrique retentit ; en même temps, le phonographe placé sur la table, après un tintement correspondant, prononça ces mots avec l’accent alsacien du concierge de l’hôtel :

— L’aérocab de madame !

— Ah ! voilà maman ! s’écrièrent Barbe et Barnabette en se levant.

Mme  Ponto venait d’atterrir au belvédère de l’hôtel, et déjà l’on entendait le glissement de l’ascenseur qui l’amenait des hauteurs de la maison au palier du premier étage ; Barbe et Barnabette se précipitèrent et se jetèrent dans ses bras dans l’ascenseur même.

— Bonjour, mes enfants, dit Mme  Ponto en se débarassant d’une serviette d’avocat bourrée de papiers ; eh bien, vous voilà donc revenues !… j’attendais ce doux moment de la réunion avec des battements de cœur plus précipités de jour en jour !… C’est pour aujourd’hui, me suis-je dit ce matin en m’éveillant…

— Nous pensions que vous aviez oublié le jour de notre arrivée, dit Barnabette avec un accent de reproche.

— Oublier le jour de votre arrivée ? moi ! fit Mme  Ponto en redoublant de caresses, vous dites cela parce que je n’étais pas au tube… ah ! mes enfants, la politique a des exigences cruelles ! cela m’a bien chagrinée d’être obligée de refouler pendant quelques heures de plus toutes les effusions, que dis-je, toutes les explosions de ma tendresse !… mais la politique ! je dînais avec des amies politiques… nous avions la ligne de conduite du parti féminin à déterminer pour la crise prochaine, et tout un programme politique à élaborer… Vous savez que je pose ma candidature aux élections prochaines ?

— Vrai ! tu es candidate, maman ?

— Forcément, mes enfants, on m’impose mon mandat, et savez-vous quel est mon concurrent ? savez-vous contre qui, bien malgré moi, je vais avoir à lutter ? Contre votre père, mes enfants, contre mon propre mari, contre M. Ponto, candidat masculin !…