Le vol sans battement/Aéroplane à moteur

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Édition Aérienne (p. 336-351).

AÉROPLANE A MOTEUR


Poussé d’un côté par mon inactivité et de l’autre par le désir de pratiquer l’aviation, je reprends à nouveau le chapitre Aéroplane à moteur, de l’Empire de l’Air, seul moyen qu’il me reste de produire le vol à la voile. Je le simplifie et je dis qu’il est bien difficile de concevoir la possibilité de faire ramer des ailes de 25 à 30 mètres d’envergure. Le battement produirait sur une pareille longueur des mouvements élastiques bien intempestifs, qui assurément seraient d’un grand danger pour la solidité. Arrivé à cette grandeur, l’élasticité des corps d’une part, la charge de l’appareil qui fait levier de l’autre, produisent des effets qu’il faut avoir vus pour s’en rendre compte.

Il convient donc de ne pas penser au battement, le problème de la construction d’un aéroplane fixe, c’est-à-dire dont les ailes sont immobilisées, est déjà assez compliqué pour commencer.

J’ai déjà dit que le battement des ailes n’est pas obligatoire pour enlever un appareil, la force du vent suffit à produire ce départ. Seulement il faut un courant d’air très vif, qui ne se rencontre pas tous les jours, surtout à la surface du sol. Je pense donc qu’en procurant un instant à un grand appareil qui peut flotter une vitesse de 10 mètres à la seconde, les ailes quoique fixes pour- ront enlever l’aéronef au moyen d’un simple changement de place du centre de gravité qu’on recule en portant les pointes des ailes en avant.

Ce départ insolite sur lequel est basée cette expérience, peut être observé en Europe, malgré la rareté des voiliers. L’aviateur qui voudra le voir se produire, pourra étudier les goélands et les mouettes posés sur l’eau, quand il fait un grand vent. Dans Paris même, on peut voir l’enlèvement sans élancé. Il faut pour cela, un jour où le vent est très actif, monter à la tour Notre-Dame. Cette tour où sont les cloches n’est pas habitée par les oiseaux, mais l’autre avait de mon temps, le beau temps où j’étais étudiant, beaucoup de choucas. En 1881, ils y étaient encore. Par les grands vents, tous les oiseaux du genre corvus semblent jouer. Cette activité de l’air leur procure une gaîté folle ; ils se livrent à des exercices bizarres, montent, descendent, se poursuivent, semblent jouer aux barres, et très souvent, dans ce cas, ce genre de départ se produit. L’oiseau est perché, le bec au vent, se retenant fortement avec lies griffes, afin de n’être pas emporté, et pour se mettre au vol, il se contente d’ouvrir légèrement les ailes. L’élancé des pattes est dans ce cas très souvent nul. L’oiseau s’élève sans frapper l’air et est à l’instant en plein vol.

J’ai encore observé le même fait aux ruines de la Cour des Comptes où il y avait également des choucas.

C’est un spectacle que je ne manquais jamais de m’offrir autrefois. Je demeurais dans l’Ile ; de mes fenêtres je voyais les tours, et à chaque grand vent du Nord, je faisais l’ascension dans le seul but d’aller voir exécuter cet exercice qui est très rare par d’autres temps.

L’aviateur, qui est prévenu, verra de suite cet acte de vol. Il ne sera pas exécuté d’une manière rigoureusement précise, parce que le choucas est trop léger, mais enfin, il se convaincra que, dès que l’air a une rapidité suffisante et qu’il agit sur un aéroplane pesant, ce genre d’ascension peut se faire.

Plus tard, quand il se trouvera en face d’un voilier lourd, il pourra se délecter à la vue de cette ascension majestueuse dans sa singulière lenteur. L’aigle, ce grand maître, non seulement s’y livre assez souvent, mais même y ajoute parfois le coup de pouce : il s’élève et avance lentement contre le vent.

Je me souviens d’une observation de ce genre d’enlèvement qui m’a fortement irrité. Je suivais en plein été un canal de la Basse-Egypte ; j’allais de l’autre côté, en face, à quelques centaines de mètres et il me fallait faire encore une grande heure de route pour traverser l’eau à l’écluse, et autant pour revenir. Il était onze heures, l’astre, infiniment trop radieux, inondait le pays de ses rayons d’un éclat insoutenable. La chaleur était torride, mais était cependant presque soutenable grâce à la brise de mer qui était très active. Je suivais donc avec une philosophie forcée cet interminable canal, quand je fis lever un grand faucon qui était posé sur la berge que je suivais. Il partit presque de mes pieds, ouvrit simplement un peu les ailes au vent qui venait de l’autre bord, avança contre le courant avec une lenteur de moins d’un mètre à la seconde et aborda paisiblement sur l’autre côté du canal sans avoir produit l’ombre d’un battement.

La manœuvre était splendide de simplicité. Dans cette traversée, le faucon faisait l’acte impossible, l’avancement, contre le vent, sans élancé et sans effort ; c’était un remarquable exemple de ce qu’on nomme l’aspiration. Mais ce qui me rendit furieux c’était de comparer ma course pénible et sans fin à cette traversée d’un bord à l’autre faite avec si peu d’effort.

Qu’avait fait l’oiseau en somme ? Rien qu’étendre les ailes, tenir tout à fait ses pointes a l’arrière, se soutenir, et l’attraction, en lutte avec le vent, avait fait le reste. Il n’avait assurément pas pris chaud à exécuter ce passage, et moi, je n’en pouvais pas dire autant.

Aussi, comme tout le long de la route je maugréais contre l’ineptie de l’homme qui n’ose pas songer à l’aéroplane, parce qu’il est effrayé par l’énorme force qu’il se figure être nécessaire pour s’enlever et se diriger surtout contre le vent.

Toutes ces leçons de l’oiseau, nous permettent de dire qu’un aéroplane fixe, animé sur l’eau d’une vitesse de 10 mètres environ à la seconde, ne pourra réussir cette manœuvre qu’à la condition d’avoir les pointes des ailes portées exactement à l’arrière, et que le transport des ailes à l’avant, dans la position du vol ordinaire moyen, suffira, non seulement pour l’enlever de l’eau, mais même pour le projeter assez haut en l’air pour que l’appareil se trouve dans des conditions rationnelles de planement.

Le tout est d’avoir un appareil pouvant être propulsé avec une vitesse de 10 mètres à la seconde contre un vent moyen.

Voici une ébauche de cet aéronef, tel que je le conçois. Je vais essayer de la présenter sous sa forme la plus simple[1].

Je conserve cette carcasse d’osier sous laquelle est fixée une feuille d’aluminium. L’ensemble de ce bateau ressemble à une grande carapace de tortue de mer dont le côté arrière fait l’avant du flotteur. Le tout est presque plat et n’enfonce que de 0ᵐ10 au plus dans l’eau ; la surface de flottaison est grande, c’est 4 mètres de longueur sur 3 mètres de largeur ; cela fait l’effet d’un grand bouclier flottant.

Au milieu de ce bateau plat est fixé un bâti puissant.

Là, j’hésite entre deux corps pour le construire : l’aluminium et le nambag (Ambatch) (herminiera) Schweinfurth.

Avec des feuilles d’aluminium de 0ᵐ03 d’épaisseur on ferait un bâti creux très solide et assez léger. Avec des troncs de nambag collés ensemble, puis le tout verni avec un vernis sec et dur comme celui des Chinois, on aurait un assemblage très fort aussi et bien léger. Là, je crois qu’il est prudent d’essayer les deux manières et de choisir la meilleure.

Ce bâti a pour mission de porter :

1° Une machine rotative excessivement simple et légère. L’aluminium est tout indiqué. Cette rotative est quelque chose comme la machine de ce genre de Wath, mais plus simple encore. Elle actionne les pattes qui sont deux barres d’acier aux bouts desquels sont les pieds palmés qui font office de rames.

2° Un réservoir à gaz comprimé.

3° L’organe dans lequel fonctionnent les barreaux d’acier pour produire les pas. C’est une douille très fortement enclavée dans le bâti, car c’est ce point qui supporte tout l’effort que produit la machine.

4° Enfin, de porter les deux bras des ailes qui sont fixés en position de vol et aux extrémités desquels sont liées par des charnières les deux grandes surfaces mobiles qui représentent les mains de l’oiseau. C’est cet organe variable de position et de courbure qui produit les deux directions qui permettent le vol des voiliers.

Reprenons donc en détail cet aéronef intéressant pour tout individu qui ne peut se livrer aux exercices relativement violents que demande l’aéroplane simple.

Le danger dans cet appareil est bien moindre que dans l’aéroplane personnel à grande surface. Le départ et l’abordage sur l’eau évitent les chocs et le départ effrayant par la plongée dans le vide, exercice obligatoire toutes les fois que le vent est insuffisant. L’enlèvement et l’atterrissement sont progressifs et c’est là un fait heureux au point de vue de l’accoutumance de nos nerfs.

Nous sommes donc sur l’eau, dans un grand bouclier plat qui a des pattes de palmipède pour le mouvoir et deux grandes et vastes ailes suffisantes comme surface pour porter l’appareil, mais qui ne peuvent pas frapper l’air. Pour faire planer un aéronef aussi impotent, nous avons vu qu’il faut lui procurer, par un temps calme, au moyen des pattes, une vitesse de 10 mètres à la seconde. Une fois cette vitesse acquise, la surface porte, l’appareil peut, au moyen d’un avancement plus ou moins grand des pointes, du bout des mains si on peut s’exprimer ainsi, produire les évolutions suivantes : Un léger avancement plus accentué produit un relèvement plus fort, et ainsi de suite, jusqu’à l’ascension verticale, et si ce transport à l’avant est suffisant, par cette vitesse de 10 mètres, l’évolution peut aller jusqu’au tour complet de l’appareil sur lui même.

C’est tout ce que peut faire cet aéroplane sans battement par le calme. L’acte de vol le plus heureux, dans cette circonstance d’atmosphère sans mouvement, est un léger enlèvement de l’appareil qui n’use pas toute la vitesse produite par les pattes. Dans ce cas il se produit une glissade descendante, sous un angle très minime, qui va en progressant jusqu’à atteindre 10 degrés sur l’horizontale, et qui finit sous cet angle par l’affleurement de la surface de l’eau.

C’est la manœuvre la plus heureuse. L’ascension verticale produit une chute presque verticale ; le parcours est donc nul. Le tour complet sur lui-même est une fausse manœuvre qui doit être très dangeureuse.

Mais qu’au lieu du calme, il y ait un mouvement de l’air de 5 mètres environ, l’effet produit est complètement différent. Cet appareil sous l’action de la puissance de ce courant vivificateur, de cette force qui est un apport étranger à lui-même, arrive à être en plein acte de vol. Non seulement il est supporté par l’air, mais il peut puiser dans cette source de puissance la force qui l’élèvera et lui permettra de reproduire les manœuvres qui sont analysées au chapitre « Aspiration » qui sont le nec plus ultra des actes de vol des voiliers. C’est le vol sans battement qui s’établit.

Pour que ce fait fût faux, il faudrait que l’observation fût fausse, ce qui est impossible ; son explication serait-elle absolument erronnée que le fait n’en resterait pas moins un jalon absolument fixe et exact auquel on peut se fier bien plus sûrement qu’à toutes les analyses possibles.

L’expérience, la preuve à donner que l’aéroplane peut voler consiste donc à construire l’appareil que je décris : qu’on arrive à produire cette vitesse de translation de dix mètres contre le plus léger vent, qu’on porte les pointes en avant et on verra bien si la preuve se fait, si l’enlèvement se produit. Les dangers sont nuls ; il n’est pas nécessaire de s’élever beaucoup : deux ou trois mètres sont suffisants, on verra bien, et sans rien risquer, si on peut arriver à neutraliser, au moyen de l’utilisation adroite de la force du courant, cette chute inéluctable par le calme d’un angle de dix degrés.

On ne pourra arguer dans ce cas des dangers à courir, de la non suffisance de l’activité humaine, la manœuvre est simple et lente. Il y aura assurément à acquérir le tour de main juste ; on ne réussira pas du premier coup, mais en procédant avec douceur, en portant successivement, et de plus en plus les pointes en avant, on obtiendra : d’abord un soulagement de l’appareil, puis son enlèvement d’une quantité aussi minime qu’on le voudra, puis, s’enhardissant petit à petit, on s’élèvera davantage, et tout cela progressivement, sans rien brusquer, ni rien risquer.

Il n’y a donc aucun danger, en expérimentant avec prudence ; ceci est indiscutable. Reste à savoir si on s’enlèvera. Si on ne s’enlève pas, le danger n’existe pas et j’ai dit faux ! Si on s’enlève avec prudence, j’ai dit vrai et on ne court aucun danger.

Que ceux qui sont en position de construire cet appareil le fassent, ils n’ont à risquer qu’une perte de temps et d’argent. Il est beaucoup de gens pour qui ces deux pertes sont négligeables, je puis leur assurer, que les oiseaux ne mentent pas, que j’ai bien vu, et qu’ils réussiront.

Voici les détails de cet aéronef.

Cherchons d’abord la machine propulsive, qui procurera à l’appareil ce mouvement en avant de 10 mètres à la seconde, car la question aviation est hors de cause, ou l’Empire de l’Air et le Vol sans battement sont des œuvres creuses et insensées.

A quel moteur nous adresserons-nous ?

Pour répondre il faut auparavant bien se persuader, bien comprendre la nature de l’effort à produire. Ce que nous désirons, c’est faire faire aux pattes palmées une quinzaine de pas au plus ; davantage est inutile. Ce vaste bouclier doit être d’abord propulsé, puis peu à peu non seulement poussé en avant mais soulevé par les pattes. (L’appareil dessiné fig. 31 de l’Empire de l’air, peut produire ces deux effets). Nous y reviendrons au reste, ici nous cherchons le moteur de ces pieds palmés.

Que nous donnerait l’électricité, si à la mode aujourd’hui ?

Rien de ce que nous désirons assurément. Les accumulateurs Renard, Demazure et ceux qu’on cherche ont précisément les propriétés contraires de ce que nous désirons. Leur action est lente, la restitution de l’électricité emmagasinée, est combinée pour pouvoir se faire en un nombre d’heures fixé, et nous voulons n’agir qu’une demi-minute ; ce n’est donc pas cela qu’il nous faut. Puis il faut songer au poids formidable de ces accumulateurs, et surtout à l’impossibilité absolue de les recharger hors du voisinage de certaines usines. Il n’y a donc pas à insister plus longtemps sur ce moteur.

Les machines à vapeur légères seraient déjà un peu mieux ce que nous désirons, mais là encore le poids intervient d’une façon désastreuse. La machine est légère assurément, mais le combustible, houille ou pétrole, et tous les accessoires sont lourds. Puis son action est encore de longue durée et il nous faut presque l’explosion.

A ce compte, les moteurs à poudre sont tout indiqués ; malheureusement, ils n’ont pas encore été trouvés pratiquement.

En leur absence, bien regrettable assurément, car là est la vraie machine que nous désirons, il ne nous reste que les gaz comprimés.

L’acide carbonique, ce gaz peu coûteux, qu’on peut se procurer dans le commerce, liquéfié dans des tubes, qui peut se produire rapidement, de toutes pièces, et donne des pressions formidables, est, faute de mieux, ce qu’il nous faut.

Il s’agit donc de pouvoir emmagasiner assez de gaz acide carbonique ou autre, d’air même si on y tient, au moyen d’une pompe de compression, pour pouvoir produire les quinze pas nécessaires à la production d’un départ d’essai.

Ce gaz quelconque demande un récipient pour le contenir ; là est le point délicat. Il doit avoir capacité et résistance, par conséquent il doit être, comme tout ce dont on a besoin en aviation, fort et léger. Ce sera donc une chaudière en acier le plus résistant possible, d’une épaisseur de 0,015, formé d’un cylindre de 0,25 de hauteur et de 0,50 de diamètre fermé par deux calottes demi-sphériques.

Le récipient aura peut-être à supporter quelques instants 40 atmosphères.

La capacité serait donc de 100 litres, et son poids d’environ 100 kilog. suivant régularité d’épaisseur et variation de densité.

Le poids de l’aéronef, homme compris serait environ 500 kilogrammes.

La machine rotative faite d’une seule roue, soit le système de Wath, compose à elle seule toute la mécanique de l’appareil ; pas de tiroir, pas de bielles, c’est donc tout à fait simple et léger, surtout si elle est construite en aluminium et bien comprise.

La section sur laquelle agit la pression sera 0,50 sur 0,05.

Le diamètre de la roue est de 0,60.

Les coudes qui actionnent les pattes ont 0,30.

Les pattes dans leur plus long allongement 1,20.

Enfin, nous supposons, pour la facilité de l’étude, que la machine rend 50 0/0.

Nous avons donc :

Capacité du récipient : 100 litres à 20 atmosphères ;

Section de pression : 0,50 sur 0,05 =250emq, qui, à 20 atmosphères, font une pression de 5.000 kilog.

Ces 5.000 kilog. sont eux-mêmes à diviser par 4, puisque la longueur de la patte est 4 fois celle du bras du levier qui l’actionne : soit 625 kilog.

L’appareil qui pèse 500 kilog. est donc enlevé.

Il le sera d’autant plus qu’il y a de fortes économies à faire sur ce poids de 500 kilog. que pèse l’appareil, puis que, chose à noter, son poids diminue à mesure que la vitesse croît, car, alors, l’action de soutènement des ailes entre en fonction et porte de plus en plus, ce qui permet l’enlèvement de l’aéronef de la surface de l’eau, évite le frottement, ce qui fait qu’à fin de course les pattes portent seules sur l’eau.

Voyons maintenant si le récipient pourra alimenter cette course de 14 pas.

Ces pas doivent se produire en 30 secondes.

Les deux premiers sont très lents ; il faut mettre l’aéronef en mouvement ; ils dépensent donc très peu de gaz. Le troisième et le quatrième, qui agissent sur un corps qui se meut, peuvent être plus actifs ; le volume de gaz dépensé est double et ainsi de suite.

Voici les dépenses de ces sept paires de pas :

1-2-5-10-20-30-30 litres de gaz à 20 atmosphères, dont le total fait 98 litres.

Le récipient est donc vidé ; nous avons fait produire 14 pas qui ont dû nous procurer 10 mètres de vitesse à la seconde, ce qui permet aux ailes de porter par le calme absolu.

Le vent serait d’un rapport d’autant plus important pour faciliter l’enlèvement, qu’il serait plus fort. S’il arrivait à avoir 10 mètres de vitesse, l’économie de gaz, au départ, pourrait être complète, puisque sa force, seule utilisée en reculant le centre de gravité, suffirait pour enlever l’aéronef.

Revenons maintenant aux pattes, cet organe si délicat et par conséquent difficile à construire.

Il faut qu’elles puissent supporter un effort rapide de 5.000 kilog. et qu’elles soient longues de lᵐ20. La résistance de l’acier damassé est peu connue ; ce que l’on sait quand on a vu beaucoup de sabres d’Orient ou encore d’anciennes lames de Tolède, c’est qu’elle est de beaucoup supérieure à nos meilleurs aciers d’Occident. Il s’agit d’économiser du poids, c’est un point auquel on doit tout sacrifier, et c’est là, à cet acier spécial, qu’il faudra s’adresser. Nous pensons donc être dans le vrai, comme résistance, qu’un barreau d’une section ovée de 0,08 sur 0,04 de diamètre pourrait supporter ce poids. Il pèserait aproximativement 15 kilog. ; soit pour deux : 30 kilog. pour les deux pieds palmés ; ce qui fait un total de 40 kilogrammes. Mettons en 50 et n’en parlons plus.

C’est l’organe le plus difficile à produire. Il faut un acier nerveux au possible, souple, pliant légèrement sous cet effort énorme, mais revenant sans se briser ni se déformer ; pouvant, en somme, avaler l’à-coup et rendre ensuite l’effort emmagasiné par son élasticité.

Les deux pieds palmés doivent être un chef-d’œuvre de mécanique. Pour modèle du tout, patte et pied, s’inspirer de la conformation du puffinus kulhii, qui est ce qu’on peut rencontrer de plus parfait comme modèle du cas présent et représente le mieux ce que nous désirons produire.

Il est à peu près inutile de chercher à se procurer cet oiseau vivant ; je n’ai eu cette chance qu’une seule fois. J’en ai vu à chaque traversée de la Méditerranée, mais en liberté et de loin. L’oiseau empaillé peut suffire ; il existe aux muséums de Paris et de Lyon. En tous cas, on en aura une idée saine en relisant le chapitre : « Action de la vitesse » de l’Empire de l’Air, la description de cette organe de locomotion y est assez exacte pour qu’on puisse se rendre compte de sa forme.

L’aéroplane n’a rien de particulier : ce sont deux bras immobiles, dirigés légèrement en avant et en l’air, aux bout desquels viennent se fixer les deux pointes d’ailes.

Les bras ont 6 mètres ; or bâti et les pointes 8 mètres. Ce qui fait comme envergure 8+6=14×2=28 plus bâti 3=31.

Largeur moyenne de l’aile : 7:1=4.43.

La surface des ailes est donc de 137mq. Si nous ajoutons celle de la queue, organe subordonné au mouvement en avant des pointes, qui se développe quand la surface est nécessaire, soit un tiers de la surface des ailes, nous avons 137+45=182mq. La charge du mètre carré est donc de 2.747 grammes.

Il faut donc absolument, arrivé à cette immense surface, abandonner la fiction de l’oiseau de petite taille ; le héron gris, qui est le gros oiseau le plus léger, a son mq chargé de 4.000 grammes.

Cette proportion de 7 : 1 donne donc la tournure de l’oiseau de mer.

Au départ, les pointes des ailes portées à fond à l’arrière toucheront l’eau. Dans cette position, par leur contact, elles régulariseront et équilibreront la course de l’aéronef, détruiront ce balancement produit par la marche des jambes très écartées, si disgracieuse chez les palmipèdes. Plus tard, au moment où elles sont étendues, le même effet se produira par la retenue qu’elles prendront sur l’air.

Cet aéronef, dont l’exécution demande l’emploi d’un capital assez important, peut être essayé en petit, à bien moins de frais. On peut s’y prendre de la manière suivante :

Le bateau plat est réduit à une feuille mince de cuivre repoussée au marteau. Le bâti, les pattes, la machine rotative ne changent pas, mais sont réduits de volume. L’aéroplane est le même, mais n’a plus que 8 mètres d’envergure : 1 mètre, pour chaque bras immobile, 2,50 pour chaque main et 1 mètre d’écartement du bâti. Le bateau plat a donc 1 mètre de largeur aux épaules, où sont fixés les bras des ailes, et 1ᵐ25 de longueur. Il semble que cette grandeur est nécessaire pour avoir des données proportionnelles sérieuses, des relations utilisables, afin de ne pas se trouver devant le cas de la machine qui fonctionne en petit et pas en grand.

La différence de ce petit appareil avec le grand est, d’abord, qu’il n’a pas à porter l’aviateur, puis, dans le récipient d’acier, organe difficile à produire et qu’on peut remplacer dans cet aéronef d’essai par une outre de caoutchouc.

Il s’agirait de produire une poire de 50 litres environ de contenance et de 2 à 3 centimètres d’épaisseur. J’ai essayé de la faire au moyen du caoutchouc dissout dans l’éther ; ce procédé n’a rien donné de bon comme résistance. Il semblerait convenir de s’adresser directement au système qu’on emploie pour faire les poires du Brésil : le liquide végétal qui produit le caoutchouc enduisant par couches successives un vase de terre qui est ensuite brisé et extrait par le col.

Une pareille outre de caoutchouc bien nerveux doit pouvoir supporter une pression difficile à estimer sans manomètre, mais qui assurément est très forte. Dix ou quinze atmosphères ne semblent pas exagérées. 50 litres de contenance à 10 atmosphères de pression font 500 litres, allant comme poussée de 10 atmosphères à 0. Il s’agit d’utiliser cette force restreinte pour procurer le départ.

Sur l’axe de la rotative qui actionne les pattes, il faudra greffer plusieurs organes : d’abord celui qui permet le nombre de pas nécessaires pour acquérir la vitesse utile, puis celui qui au bout de ce nombre de pas calculé d’avance transporte les pointes des ailes de l’arrière à l’avant d’une quantité permise et décidée par l’étude. Une simple corde s’enroulant sur l’axe un nombre de fois déterminé peut produire ces deux effets. Il faudra encore y fixer l’organe qui donnera la détente, c’est-à-dire qui fera que l’émission de gaz dans la rotation sera progressif, soit 1-2-4-6-9-13-15 litres.

Il conviendrait d’adjoindre à cet appareil la direction horizontale automatique. On peut y arriver à peu de frais et de poids par le moyen que j’ai indiqué au chapitre de ce livre : « Gouvernail vertical ».

On peut résumer ainsi les évolutions que peut produire cet aéronef : enlèvement de la surface de l’eau ; élévation dans l’air qui sera réglée par le plus ou moins de transport à l’avant des pointes des ailes, puis glissement plus ou moins long, et finalement abordage de la surface liquide sous l’angle de 10 degrés environ.

C’est à peu près tout ce qu’on peut demander d’un appareil d’essai ; les évolutions s’arrêteront là, car il manque la vie qui permet de pondérer les deux directions qui font le vol plané.

La vie elle-même n’est pas absolument indispensable. On peut songer à la remplacer, ou pour dire plus juste, à la déplacer.

Si, dans cet appareil ou dans le grand aéronef, on subordonne le mouvement en avant ou en arrière des pointes des ailes à l’action d’un courant électrique, l’aéronef n’aura qu’à porter l’appareil qui produit ce mouvement ; système aussi facile à trouver que long à décrire ; c’est tout à fait du domaine de la mécanique récréative sur laquelle je n’ai pas le temps de m’appesantir ; dans ce cas, le générateur du courant pourra rester à terre. Il sera alors possible de guider de loin non seulement le départ de l’aéroplane, mais encore de le diriger dans les actes de vol verticaux et horizontaux, tant que le permettront la longueur des fils conducteurs.

L’aviateur se convaincra par ce moyen que son poids est enlevé et dans quelle condition il l’est. Il se persuadera des manœuvres à produire et de leurs effets ; il fournira peut-être l’ascension, si les circonstances de vent sont favorables et si les mouvements nécessaires sont parfaitement exécutés. En tous les cas, il jouira pour les produire de toutes ses facultés, puisqu’il sera resté en terre ferme.

Il n’y a qu’un léger écueil, qui est le traînement dans l’eau du fil conducteur, traînement qui augmente avec la longueur de la course, par conséquent à mesure que l’intérêt croît. Qu’y faire ? Essayer de placer très haut ce fil, de manière à ce qu’il ne traîne pas ; disposition difficile à produire. Il faudrait un ballon captif faisant partir de très haut les fils conducteurs roulés en ressort afin de ne pas peser et ne pas tremper. Ou encore, infiniment mieux, oser supprimer l’attache ; fait qui se produira d’abord forcément à peu près à chaque expérience, puis, d’une façon bien plus sérieuse, quand le résultat viendra éclairer l’intelligence.


  1. Dans l’Empire de l’Air, p. 262, Mouillard fait de l’appareil, la description suivante :
    « Sur un bâti puissant, en ormeau, châtaignier ou bambou, le plus résistant possible, je fixerai une enveloppe légère en osier, ayant la forme du corps d’un oiseau. »
    « Cette forme d’osier serait recouverte d’une feuille d’aluminium, de manière à faire un bateau. »