Les Éblouissements/Adoration

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 26-27).

ADORATION


Beauté de tous les temps, ciel de tous les pays,
Printemps de la jacinthe,
Ah ! comme dans mon âme et mes yeux éblouis
Vous marquez votre empreinte !

Quels mots exprimeraient avec assez d’émoi
D’ardeur et de courage,
La force et la douleur qui s’irritent en moi
Du talon au visage !

Lorsque tout en mon sang s’émeut, puis-je choisir
D’une voix sûre et lente,
Le chant harmonieux, la strophe du désir
La syllabe odorante ?

Comment dire le poids, impétueux, amer,
De tout ce qui me touche !
Quelle ode suffirait ? Se peut-il que la mer
S’élance par ma bouche ?


Se peut-il que j’évoque avec des cris vermeils
Autant que des arbouses,
La splendeur des matins, la chaleur des soleils,
La gaîté des pelouses ?

Tant de rêve, d’amour, de désir, tant d’élans,
C’est un si grand martyre ;
Hélas ! mourir un soir, le cœur encor brûlant !
Sans avoir pu tout dire !

Mais peut-être que l’être, allégé des mots vains,
Dans la mort solitaire
Peut vous louer avec des silences divins,
Ô beauté de la terre !

Ô pouvoir vous louer avec des chênes verts,
Des parfums de corolle,
Des regards azurés et des gestes ouverts,
Comme un oiseau qui vole !

Ô vous louer avec l’or liquide et le sang
Du soleil sur la cime,
Et le rire enflammé d’une âme qui descend
Dans le Hadès sublime…