Les Éblouissements/Midi paisible

La bibliothèque libre.
Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 28-29).

MIDI PAISIBLE


C’est un jeune parfum d’écorce, d’eau, d’arbouse,
De sève, de pollen, dans l’espace blotti.
L’arbre, plein de soleil, en verse à la pelouse,
Et le bonheur divin est partout réparti.

Le feuillage est frisé, froncé comme des ruches,
Les herbes, les semis, le bourgeon éclaté
Ont le vert argentin et luisant des perruches,
C’est plus que le printemps et ce n’est pas l’été.

Tout donne son limpide éclat, ses douces poses !
Les fleurs de l’amandier, du pêcher transparent,
Tremblent comme un essaim pressé d’abeilles roses
Dont la bouche est pâmée et le cœur odorant.

Midi glisse et languit, la vie est assoupie,
Seul l’immense soleil meut ses élytres d’or,
Mais le saule, l’étang, la cigale, la pie
Se disent l’un à l’autre, en soupirant : « Je dors. »


Repos dans la nature ardente ! Les demeures
Ont laissé retomber les doux stores d’osier ;
Rien ne bouge, on dirait que des insectes meurent
Entre le sable chaud et l’ombre des rosiers.

On n’a pas de regrets, pas de désirs, pas d’âge,
Il semble que l’on soit un enfant libre et pur
Qui, renversant les bras, s’étend sur le rivage
Que la pelouse fait au bord du ciel d’azur.

Tout est si bon, si lent, si soumis, si paisible,
Et pourtant c’est un mol, un obsédant souci.
Longue paix, dont soudain s’enflamme un cœur sensible ;
Mon Dieu, mon Dieu ! la paix touche au délire aussi…