Les Éblouissements/Enchantement

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 252-254).

ENCHANTEMENT


Mon Dieu, je ne sais rien, je sais que c’est l’été
Sur ma province coutumière,
Je sais que je revois, ô jardin de clarté,
Vos beaux matins pleins de lumière !

Je sais que ma maison, fraîche et peinte à la chaux,
Si douce sous son toit qui penche,
Est légère et gonflée au cœur du jardin chaud,
Comme une housse en toile blanche.

Je sais que quand le soir voilé, qui vient de biais,
Assombrit les ronces ruchées,
L’odeur des seringas et des lis de juillet
Est sur le vent toute couchée.

Je sais que l’air est lent pendant ces mois d’azur,
Et tout tremblant d’abeilles noires,
Et que l’univers est, – si liquide, si pur ! –
Une belle eau qu’on voudrait boire.


Un rosier, ce matin, donne au jardin luisant
Son amoureuse et fine essence,
Le coeur de chaque fleur répand un tiède sang,
Je meurs de cette complaisance.

Je meurs de vous, beauté, langueur, ardeur d’été,
Senteur de ma rose étouffante !
Douceur du prunier bleu, dont les fruits éclatés
Ont du soleil à chaque fente.

Tout ce qui vit ici, la fontaine, le banc,
La cloche du jardin qui sonne,
Le délicat cerfeuil qui frise sous le vent,
Sont pour moi de douces personnes.

– Jet d’eau triste et chantant, verger, touffes d’odeur
Petit gazon nouveau qui pousse,
Comme vous disjoignez et défaites mon cœur,
Par vos faibles, fortes secousses !

Je tords les fils de l’air, les franges de l’été
Dans ma bouche amoureuse et tendre ;
Je ne sais si le jour me donne sa beauté,
Ou sur mon âme vient la prendre.

– Ah comme j’ai tenté, pendant de longs printemps,
Avec des phrases parfumées,
De fixer la tiédeur, l’ardeur, le goût flottant
Des choses que j’ai tant aimées,


Mais maintenant, quand luit l’azur triple de Mai,
Mon coeur ébloui veut se taire.
Mourrai-je sans pouvoir dire combien j’aimais
La douce douceur de la terre ?