Les Éblouissements/Promenade en été

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 250-251).

PROMENADE EN ÉTÉ


Ô familier visage, ô douce intimité
D’un matin frais, ombreux, calme, gris, en été !
Je marche sur le sol sec et poudreux ; la brise
Fait danser et tourner la cosse du cytise.
Beauté des verts jardins près desquels nous passons,
Dans les charmants matins des plus belles saisons !
Jardins que l’on ne voit qu’au travers du grillage,
Et qui semblent soudain plus amples qu’un voyage !
– L’herbe est fraîche, effilée, et pleine de bonheur ;
Les rosiers sont sur elle aussi vivants qu’un cœur.
Douceur de ces jardins aperçus, paix légère
Sur les lierres foncés mêlés à la fougère ;
Jardins secrets où tout est heureux ; paradis
Plus près d’onze heures, semble-t-il, que de midi
Tant c’est la matinée et toute sa jeunesse !
Petit jardin silencieux, plein de paresse,
Où l’on ne voit personne, où les chaises ont l’air
De dormir sous un arbre auprès du bassin clair.

De la maison fermée aucun bruit ne se sauve,
La glycine a le poids lustré d’un raisin mauve.
Je regarde le cèdre étendu, vert perchoir
Où les petits oiseaux tournants se laissent choir.
Le toit couleur d’argent, de pigeon, de nuage,
Avance doucement une aile de vitrage,
Et les massifs sont gais comme un cœur soulevé
Par le désir, par le plaisir enfin trouvé !
Il semble que les dieux aient construit là leur tente
Et l’aient abandonnée à son humeur charmante.
Et tout est si soumis, si complaisant, si doux,
Si parfait, si paisible et si content de nous,
Si plein d’une tendresse immuable et subite,
Que je me dis : « C’est là que le bonheur habite ! »
Mais, hélas ! si j’entrais, si je m’asseyais là,
Près du feuillage mol et mince des lilas,
Si mon pied avançait sur le gravier qui glisse,
Si mes yeux pénétraient dans le secret délice,
Si je montais la marche aimable du perron,
Si je pressais cet arbre où grimpe un rosier rond
Qui tourne et fait tomber sa floraison de rêve,
Si je touchais à ce jardin d’Adam et d’Eve,
Si je posais enfin le poids de mon désir
Sur tous ces frais instants qu’il ne faut pas saisir,
Ah comme vous seriez rapidement fanée,
Volupté, dont je suis ce matin étonnée !…