Les Éblouissements/Journée à Saint-Cloud

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 234-235).

JOURNÉE À SAINT-CLOUD


Les cieux sont écumeux, azur voilé d’azur,
Mêlé de lait, de lin, de brume, d’argent pur.
Dans le lointain léger, des usines fumantes
Sont les volcans d’encens des collines charmantes !
Sur la terrasse, épais, éployés en arceaux,
Si près de l’infini qu’ils vont y faire un saut,
Portant leurs frondaisons comme une charge auguste,
Guerriers verts dont le cœur est calme, ardent, robuste,
Les marronniers taillés, les ormes fabuleux
Font des arcs de triomphe en l’honneur des cieux bleus !
Ici des bassins noirs et leurs rives de marbre.
L’azur fasciné roule et tombe dans les arbres,
Et l’espace est partout un dôme épanoui.
– Mais quel pesant silence, et quel calme inouï
Dans ces parcs où la brise a ses ailes fanées
Les roses sont sans joie et semblent surannées.
Des étangs aux coteaux, de l’allée aux talus,
Ce ne sont que secrets et rigides saluts,

Gestes des jours anciens et des pompes cessées…
– Que d’époques d’amour, que de cendre entassées
Dans ces vivants tombeaux, dans ces tombeaux ouverts
Que sont les chemins blancs sous les ombrages verts !
De tant de cœurs fameux, de tant de voix éteintes
Rien ne s’est échappé de ces vastes enceintes.
Le passé rôde au creux des sentiers indécis.
Je respire le temps des sombres Médicis,
De Pierre de Ronsard, du Cardinal de Guise ;
Un amoureux orgueil en mon âme s’aiguise ;
Et je vois doucement, dans ce jardin des rois,
Le soleil se coucher comme au temps d’Henri trois
Sur le feuillage frais, les pelouses et l’onde.
Ô verdure française, ô noblesse du monde !…