Les Éblouissements/La Malmaison

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 236-238).

LA MALMAISON


Quelle paix à la Malmaison
Dans un jour de chaude saison :
Un jour vaste, ouvert, qui s’épanche
Sur la sensible maison blanche…
Deux longues écharpes de fleurs
Déroulent leurs fortes couleurs
Jusqu’au clair portail, qui s’étale
Comme une tente triomphale…
Et puis c’est la paix tout autour,
L’humble action d’un calme jour
J’entends une faux qu’on aiguise,
Le chant des cigales se brise
Sur la pelouse au gazon haut.
Devant la porte du château
Montent, dans l’azur qui haletto,
Deux colonnettes violettes,
Petits cyprès de marbre ancien,
Ifs bleus du ciel égyptien,

Si fins dans le soir qui va naître…
Je vois luire à cette fenêtre
Des rideaux de tulle, un fil d’or
Y met un net, un vif décor ;
Mousseline semblable aux treilles,
Sœur du manteau brodé d’abeilles !
Je vois encor, furtivement,
Dans le secret appartement,
Des flambeaux, des muses de bronze,
Doux objets de mil-huit-cent-onze
Que le silence fait languir…
La Malmaison n’est qu’un soupir,
Tout s’y courbe, tout s’y désole
A la douce façon créole ;
C’est un lieu de grande langueur,
Urne pour la cendre d’un cœur,
Élégie, églogue, romance !…
Le soir pulvérisé commence ;
Des vapeurs d’argent, en arceaux,
S’élèvent des fleurs et des eaux.
Parfum de musc, d’héliotrope…
– Ainsi, le maître de l’Europe,
Le Capitaine aux dieux pareil
A vu descendre le soleil
Sur cette petite prairie !
Que l’âme est grave, est attendrie,
Comme l’on accepte son sort
Dans le jardin d’un héros mort ;
Malmaison, hameau de l’Empire,

 
Où le temps sommeille et soupire,
Où passe, le cœur languissant,
– Aigle morte perdant son sang,
Fantôme de ces verts asiles –
Une Impératrice des iles !…
– Ah ! ces charmilles de lauriers,
Où vous rôdiez, où vous erriez,
Où traînait votre rouge écharpe
Ô reine, ô joueuse de harpe !
Ah ! ces lauriers où vous veniez
Égarer vos pas dédaignés,
Lasse et plaintive Joséphine,
A l’heure où le jour qui décline
Frissonne comme un vert lézard.
– Ce laurier frôlé par hasard,
Laurier luisant, tendre, champêtre,
Qui rappelait à tout votre être
Le front couronné de César…