Les Éblouissements/Le conseil

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 355-356).

LE CONSEIL


Vous qui n’avez aimé que l’été qui vous blesse,
Les larmes et l’amour,
Comment avez-vous cru que la claire sagesse
Conseillerait vos jours ?

Vous ne fûtes jamais, sous l’arbre de science,
Que l’Ève aux cheveux longs,
Qui soupire et qui pleure et chante sa romance
Comme un beau violon.

Que vous importe, hélas, l’humaine connaissance,
L’effort et la raison,
Vous qui ne demandiez à l’univers immense
Que quelques pamoisons !

Vous qui n’avez voulu qu’être chaude et contente
Pendant les soirs de mai,
Et qui cherchiez parfois, au cœur de la nuit lente,
Quel astre vous aimait.

Vous qui riiez avec de si brûlantes lèvres
Sous les midis d’été,
Que vous ressembliez à quelque ardente chèvre
Mordant la volupté !

Âme pleine d’amour, vivez votre jeunesse,
On est morte si tôt,
On meurt dès qu’on n’a plus ce qu’il faut de caresse
À l’orgueil triste et beau.

On meurt dès que le rêve, ô promesse divine !
N’est plus tendre et vermeil,
Comme la rose en feu, comme les mers de Chine
Où traîne du soleil ;

Quand l’avenir n’est plus un jardin qui s’avance
Plein de douces odeurs,
Et que le jeune rire et la dansante chance
S’éloignent de nos cœurs.

— Quel mal vous nous ferez, ô futures journées !
Que de larmes de sang !
Ô regrets éperdus ! ô douleur d’être née !
Ô tombeau complaisant !