Les Éblouissements/Lune, rose d’argent…

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 353-354).
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LUNE, ROSE D’ARGENT…


Lune, rose d’argent du pâle paysage,
Que ton trouble charmant, que ton ardent visage,
Que ton faible flambeau me plaisent cette nuit !
L’azur étincelant, le soleil qui reluit
Touchent moins la secrète audace de mon âme,
Que ton front vaporeux de sainte qui se pâme…
Le jeune jour, couleur d’églantine et de sang,
Courait sur les chemins comme un enfant dansant
Qui rit de voir bondir ses pieds nus sur le sable ;
Mais le désir divin, l’ardeur inexprimable,
Le besoin de mêler les sanglots aux baisers,
Les rêves infinis, les cœurs inapaisés,
L’Amour enfin, fougueux et languissant vampire
Qui se nourrit du sang que sa morsure aspire,
Ose mieux confier à ton sein défaillant,
À tes bras alanguis de nymphe d’Orient,
Ses rêves sans espoir, ses fureurs haletantes,
Ô la plus langoureuse et pâle des bacchantes !…
— Rien n’est secret pour toi du désir des humains ;
Que malgré les regards, les genoux et les mains,
Nulle âme n’est jamais à l’autre âme mêlée,
Tu le sais, ô plaintive et sublime exilée ;

Ô blanche solitude, île des mers d’en haut,
Ô marbre aérien, ô pierre du tombeau,
Toi qui silencieuse, éparse, taciturne,
Guettes tous les ébats dans la forêt nocturne,
Ainsi ce n’est donc pas l’instinct farouche et doux
Qui chante, se déchire et se lamente en nous.
Puisque les animaux, joyeux, puissants, agiles,
Goûtent sans désespoir leurs unions fragiles,
Et se quittant après l’enlacement sacré
Poursuivent doucement leur songe séparé…
Mais comme un flot glissant du bord des deux rivages,
Comme un appel montant de l’abîme des âges,
Comme un écho qui vient à l’autre écho s’unir,
Les cœurs voluptueux veulent s’évanouir.
Pourquoi ce goût divin du suprême mélange,
Pourquoi le corps de Pan et les ailes de l’ange,
Pourquoi ce vain espoir, ce délire obstiné,
Le sais-tu, pâle fleur, divine Séléné ?
— Combien de cœurs brûlants, combien d’amants sans joie
Qu’un plus amer désir, tente, tourmente et ploie,
Qui refusant la paix ou le plaisir païen,
Souhaitant un plus sombre et plus puissant lien,
S’écartant de l’azur mais ne pouvant descendre
Dans la terre suave où se mêlent les cendres,
Cherchent à composer, par leur regard profond,
Par l’esprit ébloui qui dans l’autre se fond,
— Ô volupté divine aux humains interdite —
Le fils paisible et beau d’Hermès et d’Aphrodite !…