Les Éblouissements/Les pins

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 369-370).

LES PINS


Tout l’espace à quinze ans par cette matinée !
C’est une aride joie, épandue, obstinée,
Un bonheur qui s’étend et se creuse sans fond,
Insaisissable ardeur qui renaît et qui fond…
Des pins montent, légers, dans la céleste écume,
Ils jettent leurs caps verts sur cet azur qui fume,
Et je contemple avec un regard transporté
Ces sublimes bacchants dispersés dans l’été !
Leur branchage léger pompe, déguste, aspire
L’éther bleu, grésillant comme une molle cire.
En vain leur tronc rougeâtre est nu, blessé, penché,
Pareil au corps saignant du satyre écorché ;
Ils logent la cigale en leur sèche mâture
Et flottent enivrés sur l’heureuse Nature !
Dans les miroitements mobiles du gazon
On croit voir haleter la moelleuse saison,

Tandis que rit au bord de l’herbe fatiguée
L’eau pleine de bonheur, l’eau si forte et si gaie…

Être pareille à vous, ô buveurs de l’azur,
Arbres dansants et vifs tournés vers le futur,
Qui malgré la plaintive et la tragique écorce
Jetez votre légère et bondissante force,
Votre allègre désir, votre candide espoir
Dans la nue éclatante, et vous penchez pour voir
Sur les coteaux sacrés de la sainte Sicile
Une chèvre enlaçant un amandier fragile…
– Bel arbre pastoral planant sur l’univers,
Colonne torturée où brûle un bouquet vert,
Ah ! que ma vie aussi comme une aile s’éploie !
Que le lait bleu du jour m’étourdisse et me noie,
Que j’élève un front clair dans les vapeurs du ciel
– Qu’importe ton destin, ton martyre ou ta joie,
Il s’agit, ô mon cœur, que tu sois éternel !