Les Échos (Adolphe-Basile Routhier)/13

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P.-G. Delisle (p. 142-143).


AUX CANADIENS-FRANÇAIS




l’amour de la patrie


Au chevet d’une femme encore jeune et forte
De savants médecins se trouvaient appelés :
Tombée en léthargie, elle paraissait morte
Et les hommes de l’art délibéraient, troublés.
Chacun argumentait, vantait son spécifique,
Et pendant ce temps-là la pauvre léthargique,
Froide comme un cadavre, était sans mouvement ;
Et la science enfin dit : il faut qu’elle meure !
Dans un si grave cas notre art est impuissant…
Mais soudain un jeune homme entra dans la demeure,

L’àme bouleversée et le cœur frémissant.
Il vint droit au chevet, et s’écria : ma mère !
La femme à cette voix parut se ranimer,
Une larme tremblante humecta sa paupière,
Et l’on vit dans ses yeux un éclair s’allumer :
Un seul cri de l’amour l’avait déjà guérie !

Il est une autre mère, ô Canadiens-français,
À qui nous donnons tous le doux nom de Patrie.
Quand elle s’affaiblit, n’oublions donc jamais,
Si les hommes d’État restent dans l’impuissance,
Que l’amour filial seul peut la secourir,
Et que le dévoûment, plus fort que la science,
Saura toujours, s’il veut, l’empêcher de périr !
Si donc elle tombait jamais en léthargie
Crions aux médecins : arrière, place aux fils !
Et nous verrons soudain revivre notre mère !

Ô vous qui revenez la voir en ce beau jour,
Et qui vivez hélas ! dans la terre étrangère,
S’il vous faut repartir laissez-lui votre amour.
Pour vous donner encore l’étreinte maternelle
Ses deux bras vont rester ouverts, tournés vers vous ;
Que votre absence, ô fils, ne soit pas éternelle,
Et sur le sol natal, un jour, revenez tous ![1]

  1. Fête de Saint-Jean-Baptiste, 24 juin 1880.