Les Énamourées/4

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Les ÉnamouréesÉditions modernes (p. 187-192).


IV


Vers six heures du soir, nous l’avons vu, les deux bourgeoises de Genlis, jetant leur bonnet par dessus les moulins, résolurent de laisser partir sans elles le train de 7 heures 47, et en compagnie d’Ernest Flambard, dit Nénesse, elles se dirigèrent vers le bal-musette du faubourg Saint-Martin.

C’était une boutique de peu d’apparence dont les vîtres étaient soigneusement recouvertes de rideaux opaques. La porte était toujours fermée, mais elle s’ouvrait très facilement pour les initiés. À gauche, un comptoir ; à droite, quelques tables, très peu et, dans le fond, une vaste salle avec, dans un coin, des joueurs d’accordéon. Comme clientèle, rien que des souteneurs et des prostituées. Tout ce beau monde venait danser et entre deux tangos régler des affaires personnelles.

Comme chez Émile, Nénesse fut accueilli par des cris de joie et avec des poignées de mains.

Le pseudo-marquis de Réaumur-Sébastopol s’installa commodément et commanda des apéritifs variés. Il fut bientôt rejoint par un grand gaillard au visage glâbre, aux yeux petits et vrillés.

Un ami, Georges Simoen, un grand négociant de la place. Le souteneur s’inclina cérémonieusement devant les deux Genlisiennes et s’absorba quelques minutes dans la confection d’un apéritif verdâtre à odeur d’anis.

Georges Simoen était en effet un négociant, mais un négociant un peu spécial ; il dirigeait l’agence Simoen, « seule agence régulière spécialisée dans les cessions des Salons et Maisons de Société », comme il le déclarait pompeusement dans ses prospectus, il ajoutait sur les mêmes imprimés : « L’agence s’occupe également du placement des employées et de la vente de marchandises[1] ».

— Elles sont bonnes à faire, elles ont l’air frusquées, j’ vas les présenter à Gaby, c’est son genre, affirma le directeur de l’agence Simoen.

Nénesse rigola silencieusement, la blague lui paraissait fameuse et il ne doutait pas de son ascendant sur les deux commères pour les emmener là où il lui plairait.

Georges Simoen se montra très empressé, il eut des petites familiarités qui ne déplurent pas. La sous-préfète en rotait. La brune Mme de Throuardan en suffoquait.

— Vous avez peut-être des palpitations, chère Madame ? s’inquiétait Georges. Dans ce cas, je vous recommande un traitement digital, dont vous me donnerez des nouvelles.

Après un dîner bien arrosé de vins capiteux, vers minuit, les deux femmes se laissèrent très facilement emmener chez Gaby qui mit à leur disposition une chambre à deux lits.

Et, bien qu’il n’y eut pas d’explosion de bombe. « la séance continua ».

Elles voulaient des émotions fortes, de la passion, de l’amour, elles furent servies, les deux quadragénaires, et le lendemain matin, elles se trouvèrent sans volonté devant les deux souteneurs qui, sans hésiter, leur soutirèrent tout leur numéraire.

Les deux pauvresses risquaient de demeurer fort longtemps au service de cette bonne Gaby. Le destin, la fatalité en décidèrent autrement. Un inspecteur de la police exigea, en voyant les deux femmes, des papiers en règle, et, rouges de honte, les deux Genlisiennes déclinèrent leur identité. Le préfet de police, mis au courant, pour éviter un scandale, jugea prudent d’avertir personnellement les maris.

 

Et comment se termina cette bordée ? demanderont des lecteurs curieux. Tout s’arrange, disait ce bon Capus ; il avait raison. Tout s’arrangea. M. Douminey, quand il revit la coupable, entra dans une colère terrible, sa main vengeresse s’oublia sur la croupe folâtre de l’épouse infidèle. Mais la vue de tant de charmes blancs et roses, arrêta son bras vengeur et tout se termina correctement.

Quant à Victor de Throuardan, il fut superbe. Il ne fit à la coupable aucune réflexion désagréable, mais il conserva Berthe dans son lit, et la brune altière et autoritaire dut s’incliner, et depuis couche dans le petit cabinet qui était réservé à sa femme de chambre.

Et le plus curieux de l’aventure, c’est qu’elle est authentique.


FIN

  1. Rigoureusement authentique.