Les Étrennes du Gros-Guillaume à Perrine

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Les estrennes du Gros Guillaume à Perrine, presentées aux dames de Paris et aux amateurs de la vertu.

vers 1620



Les estrennes du Gros Guillaume à Perrine1, presentées aux
dames de Paris et aux amateurs de la vertu
.

Perrine,

Estant ces jours passez proche voisin de nos chenets, croquetant le marmouset2, pensant tromper la rigueur de l’hyver par l’humble radication d’une chaleur ignée qui me donnoit sur la place Maubert (au moins, dis-je, à la Grève3 de mes jambes), il me souvint que ceste année commençoit à prendre fin, et que le dernier jour d’icelle servoit de veille au premier de l’année prochaine, et que pareil jour la coustume, autant ancienne que louable et bonne, estoit d’estrener ses amis, et qu’entre tous ceux que j’ayme en ce monde tu as pris le supresme degré ; toutefois ces considerations, assemblées comme une botte d’allumettes ou de carottes, m’ont fait resoudre de t’estreiner à ce beau jour de l’an. Mais ceste resolution ne m’a de rien servy, d’autant que, quand j’ay songé à ce que je te donnerois, ç’a bien esté le mal : car mon imaginative chancelloit (sans tomber toutes fois) tantost deçà tantost delà, car je meditois ainsi que de presenter des poids succrés, du pain d’espice, un petit chou, un pain de mouton4, une rissolle, un bissecuit ou un macaron, cela ne te convenoit point, n’estant point friande.

De te donner une pirouette de bois, un bilboquet de sureau5, une poupée de platre, un chiflet de terre et un demy-seinct de plomb, rien de tout cela, car tu n’es plus un enfant. De te donner de l’argent monnoyé, non, car c’est en manière d’aumosne à des pauvres gens.

De t’estrener aussi d’abits, demy-ceint d’argent, d’anneaux, de bagues et joyaux, tout beau ! je n’y vois goutte en ceste grande perplexité d’esprit. Je me suis advisé que, si je te faisois estreine, il falloit qu’elle fust pour toute ta vie, sans recommencer si souvent : car je te diray en passant que ce n’est guère ma coustume de donner ; toutesfois, ma bource en est toute grasse et usée.

Mais aussi de te faire un don si signallé que je te donnasse tout ce que tu aurois besoin tout le long de ta vie, hé ! il me faudroit aller aux Indes querir de la terre à Bertran6 pour y satisfaire. Joint que, quand j’aurois le Mont-Senis en ma possession aussi couvert d’or comme est de neige cest yver, cela n’y feroit rien.

Car pour tout l’or du monde l’on ne peut acheter la santé, le bonheur, l’amitié et autres choses necessaires à la vie. Hé ! quoy doncques ! seray-je frustré de mon dessein ? Non, ce dit ma raison ; d’autant que tout ce qui ne se peut effectuer par nostre pouvoir, sans le pouvoir d’autruy, se doit parfaire par prières et souhaits. C’est pourquoy je t’ay composé ceste estreine, toute pleine de prières, de desirs et souhaits que j’adresse à celuy qui te peut donner tout ce qu’auras de besoin en toute ta vie. Par ainsi, je crois avoir satisfait à ma pretention. Que si quelqu’un dit que cela ne t’enrichira guère, je respons que ce sont les meilleures estreines : on en void la pratique pour exemple.

On dit au jour de l’an : Bonjour et bon an ; esternuë-on, Dieu vous croisse, Dieu vous face bonne fille ; au matin, bon jour ; la nuict, bonsoir ; après midy, bon vespre ; au repas, prou-face ; aux rencontres, Dieu te gard ; si quelqu’un s’en va, Dieu te conduise, et plusieurs comme cela. Ce sont les meilleures estrennes.

Il ne reste plus maintenant de te prier de les avoir pour agreables, et de croire que je les ay faites du mieux qu’il m’a esté possible. Toutesfois, si par la vivacité de ton bel esprit tu recognois quelque chose y manquer, je te prie d’y suppleer par ta diligence et de façonner tes desirs à ta volonté : car les desirs sont de telle nature qu’ils prennent telle nature que l’on veut.

Or, ainsi comme je me suis tenu fort heureux depuis le jour que j’eus fait ta cognoissance, quand tu estois de Barisienne Parisienne, aussi m’estimerois-je heureux si tu loges ce present seulement dans quelque trou de soury du cabinet de tes bonnes graces, et, pour me combler de felicité, de m’accepter à ceste qualité,

Perrine,ur..

Vostre très humble serviteur.

Guillaume le Gros.r..

Les biens dont le ciel m’a fait part
Je vous presente en bonne estreine :
C’est le corps et l’esprit gaillard
Qui à vous servir prendra peine ;
Quant est de richesse mondaine,
Sans mentir, ne vous puis faire offre,
Car ma personne, chose certaine,
Ne mit jamais escus en coffre.




1. Ce n’est pas ordinairement avec Gros-Guillaume, mais avec Gauthier Garguille, que Perrine est mise en scène. Dans les pièces ou ils figurent ensemble, elle est donnée pour femme de ce dernier. V. surtout l’une des plus curieuses, déjà citée par l’abbé de Marolles (Mémoires, 1656, in-fol., p. 31), et réimprimée par Caron dans son recueil de facéties : La farce de la querelle de Gauthier Garguille et de Perrine, sa femme, avec la sentence de séparation entre eux rendue à Vaugirard, par a, e, i, o, u, à l’enseigne des Trois-Raves. — V. sur ces farceurs notre édition des Caquets de l’Accouchée, p. 277–282, notes.

2. Peut-être est-ce le cas d’adopter, pour la locution croquer le marmot, dont celle-ci n’est qu’une variante, l’étymologie qu’on trouve dans le Ducatiana, t. 2, p. 489. Croquer le marmot, ce seroit, d’après cette explication, charbonner des bonshommes sur les murs en attendant quelqu’un, ou par désœuvrement. D’autres veulent y voir une allusion aux amants morfondus qui, faisant le pied de grue à la porte de leur maîtresse, se consoloient à baiser le marteau sculpté en marmot grotesque. Cette opinion peut se justifier par la miniature d’un roman du XVIe siècle, reproduite dans le Bibliographical Decameron de Diddin, t. 1, p. 216, où l’on voit un jeune homme baisant ainsi le marteau de la porte de la maison où demeure sa dame ; et aussi par plus d’un passage des auteurs du XVIe et du XVIIe siècle, notamment par une phrase de la comédie des Petits maîtres d’été (1696), qui nous représente ces Narcisses modernes passant l’hiver « à se morfondre sous les fenêtres des dames et à baiser les marteaux des portes. » — Dans la Comédie des proverbes (acte 2, scène 5), Fierebras dit : « Je leur feray croquer le marmouset. »

3. Il n’est pas besoin de faire remarquer le jeu de mots qu’il y a ici sur l’espèce de grandes bottes, ou guêtres de cuir, qu’on appeloit grèves.

4. Le pain mouton, dont Le Grand d’Aussy a oublié de parler dans le chapitre qu’il consacre au pain (Vie privée des François, 3e section), étoit, suivant Furetière, une sorte de petits pains saupoudrés de grains de blé que les pâtissiers faisoient le jour des étrennes et que les valets donnoient aux petits enfants. Les auteurs du Dictionnaire de Trévoux trouvent dans ce mot une altération du mot panis mutuatus, qui se lit dans quelques vieux cartulaires. « Ce sont, disent-ils, de petits présents que les pauvres font aux riches, qui tiennent moins du don que de l’emprunt. Il (ce pain) est semé de petits grains de blé, qui sont le symbole de la multiplication, pour figurer le profit qu’on espère d’en tirer. » L’abbé de Marolles, dans sa traduction des Quinze livres des Deipnosophistes d’Athénée (Paris, 1680, in-4), ouvrage où l’on ne s’attendoit certes pas à trouver pareil renseignement, parle (p. 39) d’une femme qui couroit de son temps les rues de Paris en vendant du pain mouton, et qui s’étoit fait, pour le crier, « un air tout particulier ».

5. Depuis Henri III, dont ce fut, connue on sait, le jouet favori (V. Journal de l’Estoille, juillet 1585), le bilboquet étoit resté de mode, si bien qu’en 1626, le duc de Nemours, fort expert en tous les amusements, régla pour les fêtes du Louvre un Ballet des bilboquets (Mémoires de Michel de Marolles, t. 1, p. 134).

6. L’or. — Ne l’appeloit-on pas ainsi parceque l’Inde, contrée de l’or, étoit aussi le pays des singes, auxquels, selon Ménage, on étoit d’usage de donner le nom de Bertrand ?