Les écoles publiques à Londres et le conseil des écoles

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Revue pédagogique1, premier semestre (p. 36-46).

LES ÉCOLES PUBLIQUES À LONDRES
et le
conseil des écoles
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Au moment où l’Administration française a pris à tâche d’assurer à tous les enfants en âge de fréquenter l’école les bienfaits de l’instruction primaire, en multipliant ou en améliorant les bâtiments scolaires, il sera utile d’examiner et de suivre le mouvement qui s’est opéré dans le même sens en Angleterre, et particulièrement dans la capitale du Royaume.

Londres occupe un territoire très-vaste qui n’a pas moins de 122 milles ; sa population est aujourd’hui de 3,500,000 âmes ; une semblable agglomération fait de la grande cité un centre d’action comme il n’en existe nulle part ailleurs. Aussi l’instruction des enfants dans une ville de cette importance excite-t-elle à un haut degré l’intérêt de tous ceux qui se préoccupent de l’amélioration physique et morale du peuple.

En 1870, à la suite d’un recensement de la population scolaire qui eut lieu à Londres, on constata ce fait que 150,000 enfants en âge de fréquenter l’école étaient privés de toute instruction, parce qu’ils ne pouvaient trouver place dans les écoles existantes. Le Conseil des Écoles (School Board) résolut de remédier au plus tôt à ce lamentable état de choses, en construisant des bâtiments en nombre suffisant pour recevoir à la fois 112,000 enfants. La ville fut partagée en districts, ou circonscriptions scolaires, et dans chaque district on ouvrit un registre sur lequel furent inscrits nominativement tous les enfants auxquels l’instruction devait être donnée. Par ce moyen on arriva à se rendre un compte exact de la situation, et il fut décidé qu’une école serait établie en chaque endroit où le besoin en aurait été révélé. Il fallut tout d’abord s’assurer de l’emplacement à donner à chacune des écoles, ce qui fut une cause de difficultés parfois très-grandes, soit à raison des formalités légales à observer, soit parce que le directeur d’une école voisine formait opposition, alléguant que l’ouverture de l’école nouvelle serait préjudiciable à celle qui lui était confiée. Ces réclamations étaient toujours prises en sérieuse considération par le Conseil, qui ne se proposait d’autre but que de compléter le système scolaire, et non de compromettre la prospérité des écoles existantes ou de les remplacer par d’autres. Le Conseil eut à édifier en même temps 134 maisons d’école dans les divers quartiers de la métropole. On se mit à l’œuvre sans désemparer, et dans l’espace de quatre années l’entreprise avait fait de si rapides progrès qu’au mois de septembre 1874, 65 écoles nouvelles étaient ouvertes pour 61,987 enfants, que 35 écoles étaient en cours de construction pour 26,736 enfants, et que l’emplacement était assuré pour 34 écoles destinées à recevoir 20,207 enfants. C’était dans un temps prochain un nombre total de 134 écoles où pourraient trouver place 108,930 enfants.

Ces écoles furent d’abord établies dans les quartiers déshérités, et si, à l’expiration du délai de quatre, ans il y eut encore un certain nombre d’enfants privés d’instruction, on ne put du moins s’en prendre à la sollicitude et au zèle du Conseil d’administration. La dépense occasionnée par la construction des 65 premières écoles n’excéda guère 240 francs par élève, somme inférieure à celle que coûtèrent les écoles de Bradford et d’autres villes importantes. Les salles de classe furent aménagées de manière à pouvoir contenir 50, 60, 70, et même 80 enfants, suivant l’importance de l’école, et l’on prit soi de donner à chaque enfant un espace plus grand que ne l’exigent les instructions du Département d’éducation. Parmi les écoles établies ou projetées, dans ces dernières années, par le School Board, 6 sont disposées pour recevoir 250 enfants ; 95 peuvent en recevoir 500 ; 25, 750 ; 43, 1000 ; 32, 1250 ; et 3, 1500 enfants,

Ce n’est pas tout, il faut ajouter aux écoles nouvelles dont il vient d’être question, 84 écoles recevant une population de 24,000 enfants et pouvant donner encore place à 15,000 enfants ; ces écoles dont l’existence était déjà antienne ont été transférées au Conseil d’administration et installées provisoirement dans des maisons prises à location. Elles ne servent pas seulement pour les classes du jour ; on y fait aussi le soir aux adultes des cours de sciences et d’arts appliqués.

Toutes ces écoles ont leur administration propre, Celles dont la surveillance a été transférée au School Board continuent à être administrées pat les anciens directeurs auxquels sont adjoints d’autres membres désignés par le Conseil. Ce sont autant de comités distincts qui ont en mains les intérêts de chaque école sans lien commun, désignent les candidats aux emplois vacants et les proposent à la nomination du Conseil. Un personnel d’inspecteurs, relevant seulement du School Board, visite les écoles à des époques déterminées et les prépare à la grande inspection prescrite chaque année par le Département d’éducation. Le personnel enseignant attaché à ces établissements compte 243 maîtres pourvus du diplôme, 341 maîtresses également diplômées, 791 élèves maîtres et élèves maîtresses, et environ 300 candidats.

Les registres matricules du Conseil des Écoles constatent un effectif de 79,700 enfants inscrits ; il y avait, dès le mois de janvier 4875, place pour 75,125 enfants, mais la moyenne des présences n’était encore que de 58,507. Disons cependant que nombre d’enfants, entre trois et six ans, avaient été admis dans les Board Schools ; la plupart d’entre eux n’ayant pas encore, à cause de leur âge, fréquenté l’école, eurent à se plier peu à peu aux habitudes de régularité exigées de leurs aînés ; il s’ensuivit que l’enfant qui arrivait à dix heures au lieu de neuf heures, était noté comme absent, bien qu’il fût effectivement présent pendant la journée presque entière. Ces habitudes irrégulières, qu’il faut attribuer à la négligence des parents, plutôt qu’à la disposition naturelle des enfants, sont une cause de trouble dans les classes dont se plaignent vivement les instituteurs. Aussi des mesures furent-elles prises à l’égard des familles négligentes ou réfractaires, et ces mesures eurent pour effet de réduire de moitié le nombre des absences. Dans tous les quartiers de Londres, le Conseil eut des agents chargés de veiller à l’exactitude des enfants, et tous ces visiteurs s’acquittèrent de leur tâche avec conscience et zèle. Un autre résultat heureux de l’action exercée par le School Board fut de faire monter le nombre des inscriptions, dans toutes les écoles de la ville, de 208, 520 à 343,102, et de porter la fréquentation moyenne de 174,169 à 256,391.

En Angleterre, le principe de la concurrence est généralement admis, dans un intérêt d’émulation et de progrès. Eh bien, dans un espace de quatre ans, le Board a pu recevoir chaque année dans ses écoles 79,000 enfants, et dans la même période, on n’a pas vu s’ouvrir une seule école libre. Cependant, tous les enfants admis dans les Board Schools doivent payer une rétribution, et presque tous l’acquittent avec régularité. Un fait digne de remarque, c’est que 15,000 enfants ayant appartenu autrefois aux écoles des pauvres, versent aujourd’hui, le lundi de chaque semaine, leur penny aussi exactement que le font les autres enfants.

Pour obtenir un pareil résultat, le Board dut adopter un taux de rétribution très-faible, et encore le taux moyen n’est-il pas d’un penny, mais de 2 pence. — La rétribution, mesurée aux facultés de chacun, fut établie comme suit :

28,000 enfants payèrent ...... 1 penny.
48,000 enfants payèrent ...... 2 et 3 pence.
3,000 enfants payèrent ...... 4 pence.
1,000 enfants payèrent ...... 6 pence.

Tout le monde fut d’accord pour reconnaître que les familles pauvres, qui ont souci de l’éducation de leurs enfants, peuvent et doivent payer un penny, et il convient de dire à leur honneur qu’elles tiennent généralement à le payer. 1,327 familles seulement interrompirent les versements, et, parmi celles-ci, 500 les reprirent peu de temps après. Le Board eut à dispenser de la rétribution 998 enfants déclarés incapables de payer.

Le principe de l’obligation est en faveur parmi les pauvres, qui ne demandent qu’une chose, c’est que la loi soit également appliquée à tous. L’opposition vient surtout de la part des petits commerçants et des populations rurales, qui entendent tirer profit du travail des enfants. Un acte du Parlement a conféré au Conseil des Écoles le pouvoir d’assurer la fréquentation et de sévir contre les irrégularités. Investi de cette autorité, le Board s’est fait à lui-même son règlement, et ses efforts n’ont cessé de tendre à le faire entrer dans la pratique. Ainsi que nous l’avons vu, des agents, répartis entre les différents quartiers de la ville, ont le devoir de faire donner l’instruction à tous les enfants en âge de fréquenter l’école. Ces agents ou visiteurs sont choisis parmi les habitants qui ont une connaissance entière de leur district, et plus particulièrement parmi ceux qui se sont acquis la confiance des pauvres par leur honorabilité et leur caractère discret. Ils ont pour instruction, en premier lieu, de faire connaître aux parents les obligations que la loi leur impose à l’égard des enfants, en second lieu de les engager, par tous les moyens de persuasion, à se conformer aux prescriptions légales, en troisième lieu de les prévenir des conséquences d’un refus obstiné de leur part, et, au cas d’absolue nécessité, de les menacer des mesures de rigueur édictées par la loi. Les infractions sont déférées à un Comité, qui informe sur chaque cas en particulier, se met en rapport avec les parents, et après avoir fait toutes les démarches requises, porte la plainte devant un magistrat du School Board. Ce Comité se compose de contribuables et de personnes qui se recommandent par leur situation personnelle et par des services rendus ; un pareil tribunal présente toutes les garanties désirables, et personne encore n’a osé contester l’autorité de ses décisions. Liberté entière est laissée aux parents sur le choix de l’école, et jamais on n’eut à reprocher aux visiteurs d’exercer à cet égard la moindre contrainte. « Votre enfant va-t-il à l’école ? » — Telle est la question faite aux parents. Si la réponse est négative, la famille est invitée à choisir telle école qui lui paraît préférable ; elle doit en désigner une, et le choix étant fait, elle doit y envoyer régulièrement l’enfant. À l’origine, lorsque les écoles étaient encore peu nombreuses, le Conseil se préoccupait de savoir si dans le district les écoles existantes offraient tous les moyens d’instruction, et le principe de l’obligation n’était appliqué que là où il y avait place pour les enfants.

En 1871, le nombre des visiteurs était de 73 seulement ; en 1873, il fut porté à 194 ; en 1875, il s’éleva à 153. Tel fut le zèle de ces fonctionnaires, que le nombre des inscriptions pour toutes les écoles de Londres dépassa de 134, 000 celui qui existait quatre ans auparavant. Un fait qui donne plus de prix au service rendu par les Board Schools, c’est que presque tous les enfants y ont été amenés sans contrainte. On a eu le tort de croire un instant que ces écoles avaient été ouvertes spécialement pour les enfants pauvres ; elles sont maintenant mieux appréciées et jouissent d’une popularité méritée, parce qu’elles reçoivent tous les enfants, sans distinction de fortune ou de position.

Si le principe de l’obligation est en général admis, il rencontre parfois dans l’application de sérieuses difficultés.

Tel individu, père de six enfants, gagne 50 schellings par semaine ; au lieu de faire profiter sa famille du fruit de son travail, il dissipe son argent à la taverne ou le perd au jeu. La malheureuse mère se voit obligée de travailler hors de chez elle, et la fille aînée est retirée de l’école pour garder les plus jeunes enfants dont quelques-uns sont eux aussi en âge d’école. S’étonnera-t-on que cet individu, comme tous les gens de son espèce, se plaigne de l’ingérence du Board dans le gouvernement de la famille ? On reconnaîtra du moins que cet homme a un devoir à remplir envers la société, celui de faire donner l’instruction à ses enfants, et que pouvant gagner 50 schellings par semaine, ce devoir s’impose plus impérieusement encore !

Une autre cause de difficultés naît de la cupidité de certains parents qui veulent bien que leurs enfants travaillent, mais ne veulent pas les faire instruire. Le Conseil prend sous sa protection l’enfance et la défend contre les abus de la famille. Il y a encore une force de résistance plus redoutable que les deux premières ; celle-là tient à la négligence des parents. Trop souvent il arrive que des parents, dans le but de soustraire leurs enfants à l’obligation de la présence régulière, les retirent des Board Schools pour les placer dans des écoles libres où ils paient une rétribution plus élevée, mais où ils ont par contre la facilité de les envoyer quand il leur convient. Ces parents n’échappent pas aux sévérités du Conseil, et ils s’en vengent en qualifiant de tyranniques les poursuites auxquelles les expose leur conduite coupable.

Sans doute il existe encore à Londres un “grand nombre d’écoles installées dans des locaux qui ne conviennent pas à cette destination et dont l’organisation est tout à fait défectueuse. Il faut déplorer que ces écoles existent ; mais elles tendent à disparaître, et d’ailleurs elles ne participent pas aux subsides du gouvernement. En 1871, sur les instances du School Board, il fut décidé qu’un délai de tolérance serait accordé à ces écoles pour se mettre au niveau des exigences nouvelles, au double point de vue de l’installation des services et de l’enseignement donné aux enfants. Beaucoup d’écoles prolifèrent de ce délai pour s’améliorer, beaucoup aussi ne changèrent rien à leur organisation défectueuse. Au cours de l’année 1874, le Conseil d’Éducation, avec l’approbation du gouvernement, donna à un inspecteur la mission spéciale de visiter toutes ces écoles, d’indiquer aux administrateurs les points sur lesquels elles laissaient à désirer, ainsi que les mesures qui lui paraîtraient utiles pour compléter les moyens d’instruction. Grâce à la bienfaisante intervention du Conseil, de notables progrès furent réalisés dans ces écoles qui, en 1875, ne reçurent pas moins de 85,000 enfants.

Un comité spécial fut constitué par les soins du School Board et préposé à la surveillance des écoles d’enseignement industriel. La loi dispose que les enfants ayant atteint un certain âge, dans des conditions déterminées, et par ordre d’un magistrat, seront envoyés d’office dans des écoles industrielles ou placés sur des vaisseaux instructeurs ; ces recrues se font parmi les enfants que l’on rencontre se livrant à la mendicité dans les rues, parmi ceux dont l’abandon est bien établi ou sur lesquels les parents n’exercent aucun contrôle. On a souvent demandé pourquoi le Conseil des Écoles n’avait pas encore délivré les rues de Londres de la présence de tous ces enfants abandonnés ou pris en état de vagabondage. La réponse à cette question est bien simple : le Conseil des Écoles n’a qu’un pouvoir très-limité, il n’a aucune surveillance à exercer sur les enfants qui n’ont pas atteint à ans ou qui ont dépassé 13 ans. Les enfants pauvres relèvent d’une autorité essentiellement municipale, et les agents du Board n’ont pas le droit d’arrêter un enfant sur la voie publique. Personne ne met en doute leur sollicitude pour tout ce qui touche aux intérêts de l’enfance, mais leur action est toute scolaire ; ils ne sont pas revêtus du caractère de constable ; tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de rechercher les délinquants ou les égarés en âge d’école, de les suivre à leur demeure, et de s’assurer de la possibilité pour les parents de les surveiller et de les envoyer à l’école. À défaut de la famille, le Conseil recueille l’enfant, lui fait donner l’instruction, et ne demande en retour aux parents que des sacrifices médiocres et toujours en rapport avec leurs ressources. Le Conseil ne manque à aucune de ses obligations ; il y aurait injustice à nier qu’il s’en acquitte toujours avec une extrême prudence et sans jamais porter atteinte à la liberté de la famille ou de l’individu ; mais il n’entre pas dans ses obligations de faire la chasse à tous les vagabonds répandus dans les rues de Londres. On sait qu’il y a des parents qui ne sont que trop disposés à abandonner dans les rues les enfants, dans le but de les faire rechercher et envoyer par l’autorité sur les vaisseaux de l’État. A coup sûr les contribuables ne donneraient pas leur appui à des mesures qui auraient pour effet d’encourager de semblables abus. La dépense d’installation est en moyenne de 9 à 10 livres st. par enfant ; il importe donc que les enquêtes soient suivies avec le plus grand soin pour éviter aux contribuables toute imposition abusive. Le Comité des écoles industrielles, depuis l’époque de sa fondation, a eu à s’occuper de la situation de 3,114 jeunes gens, sur lesquels 1,591 garçons et filles ont été placés dans les écoles industrielles ou à bord des bâtiments de l’État.

Lorsque la loi de1870 sur l’éducation élémentaire fut mise en discussion, on avait évalué approximativement à 6 pence par livre l’imposition scolaire que les contribuables auraient à supporter. La dépense, dans la période des 3 années qui suivirent, n’a pas atteint un demi-penny par an, tout compris, dépenses courantes, intérêts des emprunts contractés tant pour l’acquisition des emplacements que pour la construction des bâtiments. L’argent fut prêté par les Public Works Commissionners, moyennant un intérêt de 3 1/2 pour cent avec remboursement en 50 ans, de sorte que les générations auxquelles profiteront ces constructions auront à supporter, elles aussi, une part de la dépense. Les habitants de Londres qui vivront en 1999, verront la dette s’éteindre, et vénéreront la mémoire des bienfaiteurs de l’enfance qui auront posé les fondements du système d’éducation populaire inauguré en 1870.

Les résultats obtenus par le Conseil des Écoles, dans un laps de quelques années seulement, donnent la mesure de ce que peut la volonté humaine et tiennent vraiment du prodige. Mais comme l’a déclaré M. Reed, l’éminent président du School Board, à qui nous avons emprunté les éléments de notre travail, le Conseil est loin encore d’avoir accompli son œuvre, et les hommes qui le composent ne sont pas gens à se soustraire aux responsabilités. Leur constante préoccupation est maintenant de compléter les moyens d’instruction pour une population de 190,000 enfants, les uns abandonnés ou livrés au vagabondage, les autres recueillis provisoirement dans des écoles mal installées ou mal dirigées. Ils ne désespèrent pas de voir l’effectif scolaire s’augmenter de 7,000 enfants chaque année, ce qui nécessitera la construction de dix écoles nouvelles chaque année. Fort des résultats acquis, le Conseil des Écoles regarde l’avenir avec confiance ; il a le ferme espoir que, Dieu aidant, et avec l’appui de l’opinion, il aura réalisé dans un temps prochain le vœu contenu dans la loi de 1870 sur l’éducation élémentaire, celui d’assurer sur des bases solides à tous les enfants de la ville de Londres, sans exception, un système d’instruction primaire complet et peu onéreux pour les familles.