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Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeQuartLivre/33

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Comment par Pantagruel feut vn monſtrueux
Phyſetere apperceu pres l’iſle Farouche.


Chapitre XXXIII.


Sus le hault du iour approchans l’iſle Farouche, Pantagruel de loin apperceut vn grand & monſtrueux Phyſetere, venent droict vers nous bruyant, ronflant enflé enleué plus hault que les hunes des naufz, & iectant eaulx de la gueule en l’air dauant ſoy, comme ſi feuſt vne groſſe riuiere tombante de quelque montaigne. Pantagruel le monſtra au pilot, & à Xenomanes. Par le conſeil du pilot feurent ſonnees les trompettes de la Thalamege en intonation de Guare Serre[1]. A ceſtuy ſon toutes les naufz, Guallions, Ramberges, Liburnicques (ſcelon qu’eſtoit leur diſcipline nauale) ſe mirent en ordre & figure telle qu’eſt le Y Gregeois letre de Pythagoras : telle que voyez obſeruee par les Grues en leur vol : telle qu’eſt en vn angle acut : on cone & baſe laquelle eſtoit la dicte Thalamege en equippage de vertueuſement combatre.

Frere Ian on chaſteau guaillard monta guallant & bien deliberé auecques les bombardiers. Panurge commença crier & lamenter plus que iamais. Babillebabou (diſoit il) voicy pis qu’antant. Fuyons. C’eſt, par la mort bœuf, Leuiathan deſcript par le noble prophete Moſes en la vie du ſainct home Iob. Il nous auallera tous & gens & naufz, comme pillules. En ſa grande gueule infernale nous ne luy tiendrons lieu plus que feroit vn grain de dragee muſquee en la gueule d’vn aſne. Voyez le cy. Fuyons, guaignons terre. Ie croy que c’eſt le propre monſtre marin qui feut iadis deſtiné pour deuorer Andromeda. Nous ſommes tous perduz. O que pour l’occire præſentement feuſt icy quelque vaillant Perſeus[2]. Perſé ius par moy ſera, reſpondit Pantagruel. N’ayez paour. Vertus Dieu, diſt Panurge, faictez que ſoyons hors les cauſes de paour. Quand voulez vous que i’aye paour, ſinon quand le dangier eſt euident. Si telle eſt (diſt Pantagruel) voſtre deſtinee fatale, comme naguieres expoſoit frere Ian[3], vous doibuez paour auoir de Pyrœis, Heoüs, Æthon, Phlegon celebres cheuaulx du Soleil flammiuomes, qui rendent feu par les narines : des Phyſeteres, qui ne iettent qu’eau par les ouyes & par la gueule, ne doibuez paour aulcune auoir. Ia par leur eau ne ſerez en dangier de mort. Par ceſtuy element plus touſt ſerez guaranty & conſeruez que faſché ne offenſé.

A l’aultre, diſt Panurge. C’eſt bien rentré de picques noires. Vertus d’vn petit poiſſon, ne vous ay ie aſſez expoſé la tranſmutation des elemens, & le facile ſymbole[BD 1] qui eſt entre rouſt & bouilly, entre bouilly & rouſty[4] ? Halas. Voy le cy. Ie m’en voys cacher là bas. Nous ſommes tous mors à ce coup Ie voy ſus la hune Atropos[BD 2] la felonne auecques ſes cizeaulx de frays eſmouluz preſte à nous tous coupper le filet de vie. Guare. Voy le cy. O que tu es horrible & abhominable. Tu en as bien noyé d’aultres, qui ne s’en ſont poinct vantez. Dea s’il iectoit vin bon, blanc, vermeil, friant, delicieux, en lieu de ceſte eau amere, puante, ſallee, cela ſeroit tollerable aulcunement : & y ſeroit aulcune occaſion de patience, à l’exemple de celluy milourt Anglois[5], auquel eſtant faict commendement pour les crimes des quelz eſtoit conuaincu, de mourir à ſon arbitraige, eſleut mourir nayé dedans vn tonneau de Laueſie. Voy le cy. Ho ho Diable Sathanas, Leuiathan. Ie ne te peuz veoir, tant tu es ideux & deteſtable. Veſtz à l’audience : veſtz aux Chiquanous.


  1. Symbole. conference, collation
  2. Atropos. la Mort
  1. Intonation de Guare Serre. Sonnerie indiquant de se garer et de serrer les vaisseaux les uns contre les autres, ou, peut-être, de carguer les voiles.
  2. Perſeus. Perſé ius par moy ſera. « On voit que Rabelais joue ici sur Perſeus et percé jus. » (Éloi Johanneau)
  3. Comme naguieres expoſoit frere Ian. Voyez t. II, p. 357, l. 1 : « N’aye iamais paour de l’eau… Par element contraire ſera ta vie terminée. »
  4. Le facile ſymbole qui eſt entre rouſt & bouilly. « Les cuiſiniers des Diables… mettent ſouuent bouillir ce qu’on deſtinoit pour rouſtir. » (T. II, p. 357)
  5. Celluy milourt Anglois. Georges, duc de Clarence, que, d’après plusieurs historiens, son frère Édouard IV fit périr de la sorte au mois de février 1478. Voyez Commines, liv. I, c. 7.