Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/PantagruelinePrognostication/3

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Alphonse Lemerre (Tome IIIp. 238-239).

Des maladies de ceſte année.

Chapitre III.


Ceste année les aueugles ne verront que bien peu, les ſourdz oyront aſſez mal[1] : les muetz ne parleront guieres : les riches ſe porteront vn peu mieulx que les pouures, & les ſains mieulx que les malades. Pluſieurs Moutons, Beufz, Pourceaulx, Oyſons, Pouletz, & Canars mourront : & ne ſera ſi cruelle mortalité entre les Cinges, & Dromadaires. Vieilleſſe ſera incurable ceſte année à cauſe des années paſſées. Ceulx qui ſeront pleureticques auront grant mal au coſté, ceulx qui auront flus de ventre, iront ſouuent à la celle percée, les catharres deſcendront ceſte année du cerueau es membres inferieurs : le mal des yeulx ſera fort contraire à la veüe, les aureilles ſeront courtes & rares en Gaſcongne plus que de couſtume. Et regnera quaſi vniuerſellement, vne maladie bien horrible, & redoubtable : maligne, peruerſe, eſpouentable, & mal plaiſante, laquelle rendra le monde bien eſtonné, & dont pluſieurs ne ſçauront de quel bois faire fleches, & bien ſouuent compoſeront en rauaſſerie, ſillogiſans en la pierre philoſophale, & es oreilles de Midas. Ie tremble de peur, quand ie y penſe, car ie vous dy : qu’elle ſera epidimiale, & l’appelle Auerroys vij. colliget. Faulte d’argent[2].

Et attendu le comete de l’an paſſé, & la retrogradation de Saturne, mourra à lhoſpital vn grand marault tout catharré, & crouſteleué. A la mort duquel ſera ſedition horrible entre les chatz & les ratz : entre les chiens, & les lieures : entre les faulcons, & canars : entre les moines, & les œufz.


  1. Les aueugles ne verront que bien peu. Joach. Fort. Rindelbergius d’Anvers, dans De ratione ſtudii publié chez Gryphius en 1531, in-8o, a consacré à l’astrologie un chapitre que Rabelais a largement mis à profit, comme on le verra par l’extrait suivant :
    Ridicvla, sed ivcvnda qvædam vaticinia.

    « Proximo anno, cæci parum, aut nihil videbunt, ſurdi male audient, muti non loquentur… Diuites melius ſe habebunt quam pauperes, ſani quam ægri… Multi interibunt piſces, boues, oues, porci, capræ, pulli & capones : inter ſimias, canes & equos mors non tantopere ſæuiet… Senectus eodem anno erit immedicabilis, propter annos qui præceſſerunt… Bellum erit inter canes & lepores, inter feles & mures, inter lupos & oues, inter monachos & oua… » — Starrenwadel dit aussi : « Sani melius habebunt quam infirmi ; pariter diuites quam pauperes. » (XX, Regis, t. III, p. 928)

  2. L’appelle Auerroys VII. colliget. Faulte d’argent. Comme on le pense bien, Averroès, dans le livre VII de son colliget consacré à la thérapeutique « de curatione morborum, » n’a nullement parlé de la manière de guérir cette maladie. Ici Rabelais fait allusion au refrain :

    Faulte d’argent c’eſt douleur non pareille.

    Voyez ci-dessus, p. 201, la note sur la l. 12 de la p. 295.*

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