Les Œuvres de la pensée française/Volume I/II

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Les Œuvres de la pensée française
Henri Didier (ip. 10-14).

ii. — Les xive et xve siècles


Hésitation du développement littéraire

La veine du moyen âge semble s’être épuisée. Les auteurs, dès l’avènement des premiers Valois, manquent manifestement d’idées nouvelles. Sans doute la guerre de Cent ans et l’invasion anglaise pèsent trop lourdement à cette époque sur l’esprit de la France pour qu’on puisse s’étonner de ce ralentissement de la production littéraire. Les poètes, troublés, incapables de comprendre les aspirations de la sensibilité profonde de la race, alors que l’ordre public est si malmené, s’attardent à ressasser les vieux thèmes, mais en précisent la forme, parfois avec des complications et des subtilités fort ennuyeuses, parfois aussi avec bonheur. Surtout ils se plaisent aux poèmes à forme fixe. C’est l’époque où fleurissent rondeau simple, rondeau double, ballade, chant royal.

Quelques noms à retenir : Guillaume de Machaut (1284-1370), élégant et habile ; Froissart (1337-1411) avec son Épinette amoureuse ; Eustache Deschamps (1340-1410) avec un très grand nombre de petits poèmes dont quelques-uns font déjà penser à La Fontaine ; Christine de Pisan (1363-1431) avec son Dittié à la Louange de Jeanne d’Arc, et sa Cité des Dames ou Livre des Trois Vertus ; Alain Chartier (1390-1440), célèbre par le baiser que lui donna, dit-on, malgré sa laideur, la reine Marguerite d’Écosse « à cause des belles choses qui sortaient de sa bouche », et auteur du Quadriloge invectif, où il peint avec émotion les malheurs de la France en armes… ; Charles d’Orléans, de beaucoup le plus important, musical, léger, charmant, qui atteint à la perfection de la forme et dont plusieurs pièces sont aujourd’hui extrêmement célèbres et répandues ; enfin François Villon qui marque une des plus grosses dates de notre histoire littéraire.

François Villon

François Villon, né à Paris en 1431, sorte de bohème, qui boit, vole, assassine même, est un de nos plus grands poètes. Il est le premier gros anneau de cette chaîne où brillent Ronsard, Musset, Verlaine. Poète avant tout sincère, son œuvre est, comme celles de la plupart des lyriques, une sorte d’autobiographie. Il peint ses misères, il se peint lui-même dans ses deux Testaments avec une grâce, une sensibilité, une délicatesse prodigieuses. Il est en même temps un virtuose du rythme (ses ballades sont des tours de force de facture ; celle des Dames du Temps jadis est encore populaire), un réaliste (peinture de la mort dans les dernières strophes du Grand Testament), un ironiste subtil qui se rit des autres et de lui-même, avec cette pudeur de sa propre souffrance qui est une des plus fines qualités de notre race, un musicien des mots qui ne retrouvera plus d’égal avant le xixe siècle, un de ces complets poètes enfin qui sont la vie et la force d’une littérature.

L’histoire

Pendant que Charles d’Orléans et surtout Villon exprimaient ce qu’il y a de plus intime dans l’homme, Froissart (1437-1505) fixait le côté extérieur de cette société, en s’attachant surtout aux exploits chevaleresques et aux fêtes brillantes. C’était aussi un poète. Mais c’est comme historiographe qu’il présente le plus d’intérêt. D’abord clerc de la chambre de la reine d’Angleterre, il voyagea pour recueillir des documents, dont il fit ensuite ses chroniques écrites de 1373 à 1390. Il aime le côté pittoresque et brillant de la guerre. Il le peint avec passion. Il en fait des tableaux colorés et excite à plaisir l’imagination de ses lecteurs.

Dans le même temps, Philippe de Commines (1445-1511), réagit contre cette tendance. Les réalités de la guerre de Cent Ans ont désabusé les Français, leur ont enlevé le goût du panache. Commines s’attache à peindre l’homme de son temps tel qu’il est sorti de ce contact avec la réalité. Né aux environs de Lille, Commines est un bourgeois intelligent et pratique. Il est d’abord chambellan de Charles le Téméraire qu’il trahit pour devenir la créature de Louis XI dont il préfère l’esprit plus réaliste et plus bourgeois. Disgracié par Charles VIII, il revient en grâce à l’avènement de Louis XII et termine alors ses Mémoires qui relatent la période comprise entre 1464 et 1501. Son style est net, précis, plein d’acuité. Son œuvre est celle d’un analyste subtil, qui attache plus d’importance aux idées qu’au style, qui d’ailleurs a joué un grand rôle dans la politique de son temps, et qui montre des idées très remarquables sur les procédés de gouvernement.

Le théâtre

Le théâtre du moyen âge se différencie peu des culte, comme celles du théâtre grec. Les prêtres représentent scéniquement pour les fidèles, dans l’église même, des tableaux illustrant ces deux Testaments. La langue employée est d’abord le latin, qui ne fait place au français qu’au xiie siècle, époque à laquelle des laïcs deviennent acteurs à la place des prêtres. Les drames qu’ils jouent sur le parvis des églises sont d’abord des sortes de mimodrames accompagnant des textes liturgiques. Puis le dialogue s’y développe. Enfin, vers le xiiie siècle, des scènes profanes se mêlent aux scènes religieuses. Un peu de réalisme se fait jour à travers des légendes où l’idée religieuse n’a plus qu’un rôle secondaire. Elle se manifeste surtout dans les dénouements par l’intervention miraculeuse de la Vierge ou des Saints. Ce sont les Miracles parmi lesquels : Le Jeu de Saint Nicolas qui vaut par quelques scènes de tavernes assez vivantes ; Le Jeu de la Feuillée, d’Adam de la Halle, première comédie laïque, sorte de revue où défilent des bourgeois de la ville et le poète lui-même ; le Jeu de Robin et de Marion, déjà plein de vie.

Au xve siècle, le goût du théâtre se popularise. Griselidis est un drame moral, purement laïque, fort original. Mais on représente surtout des mystères, qui mettent à la scène la vie de Jésus, les vies des principaux martyrs, en y mêlant des intermèdes burlesques destinés à « récréer joyeusement l’esprit des écoutants. »

Ce sont ces intermèdes burlesques qui, en se détachant des mystères, ont donné naissance au théâtre comique. Les Farces sont surtout des satires. Satire contre l’armée dans le Franc archer de Bagnolet, contre la vie de ménage dans la Farce du nouveau marié qui annonce la verve de Rabelais et fait penser à la scène fameuse de Panurge. La Farce de Georges Leveau est l’ébauche du Georges Dandin de Molière. Les Farces du Cuvier, de maître Patelin sont encore caractéristiques de cette verve française faite d’esprit critique et de bonne humeur. — Le théâtre étant très à l’ordre du jour, on y fait tout entrer : les sotties sont des pamphlets politiques, le journalisme de l’époque. On y traite, sans action et tout en discours, de toutes les difficultés parlementaires. C’est en somme simplement de la satire dialoguée. Les Moralités sont des faits divers portés à la scène, encore un peu embarrassés d’allégories cependant. Elles sont aux mœurs ce que la sottie est à la politique. En somme elles sont le point de départ de la pièce de théâtre moderne.