Les Œuvres de la pensée française/Volume I/IV

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Les Œuvres de la pensée française
Henri Didier (ip. 24-44).

iv. — Le xviie siècle


Avènement du classicisme

Le xvie siècle avait joui d’une liberté sans limites. Les hommes du xviie siècle sentirent les inconvénients de cette anarchie et la nécessité de s’enfermer dans des règles. Le mouvement de la contre-réforme consolidait le catholicisme en lui donnant une morale plus sévère. Le gouvernement de Henri iv remplaçait par une organisation solide la vie facile et déréglée des Valois. De même, les philosophes et les littérateurs endiguèrent leurs instincts, les soumirent à des lois, adorèrent par-dessus tout la mesure, l’équilibre, la raison ; préparèrent ainsi l’avènement du classicisme.

La religion

Plusieurs écrivains catholiques essaient de ramener la religion à une morale pure. Les hommes avaient, pendant le xvie siècle, prit le goût de la sensualité. Pour les ramener à des sentiments plus austères, il était nécessaire de montrer quelque souplesse. Saint François de Sales (1567-1622) leur traça vers le catholicisme un chemin tout semé de fleurs. Dans son Introduction à la Vie Dévote, il réagit par un style aimable et plein d’onction contre le rigorisme de Calvin. Il accorde les exigences de la religion avec ce goût de vie heureuse qu’avait apporté la Renaissance, et ainsi dessine avec douceur un mouvement en avant du catholicisme.

Une secte se formera alors, plus rigide, celle des Jansénistes, qui, humiliant l’homme et sa raison devant la grâce du créateur, introduira dans le catholicisme les règles et l’austérité protestantes.

Les philosophes

Le grand philosophe de cette époque est Descartes (1596-1650) qui essaiera d’appuyer sur une méthode rigoureuse les bases d’une certitude scientifique et sera en quelque sorte le père des sciences exactes.

Ce tourangeau, qui avait fait campagne dans la guerre de Trente Ans, avait, au cours même de ses pérégrinations militaires, beaucoup lu et beaucoup pensé. En 1637, il publia le très fameux Discours de la Méthode, faisant délibérément table rase de toutes les idées reçues et prétendant ne « recevoir aucune chose pour vraie qu’il ne la connût évidemment être telle », il donnait les moyens les plus sûrs d’arriver à la connaissance.

Mais Descartes, quand il veut expliquer les grands mystères du monde, est obligé de constater l’impuissance de la raison humaine et de recourir à Dieu. Il le prouve mal et on peut dire qu’il l’admet comme une idée innée. Il ne croit plus, comme Rabelais, à l’excellence du libre instinct ; il croit à l’utilité des passions dominées et conduites par la volonté (Traité des Passions, 1650.)

Son souci de l’exactitude lui fait trouver une langue concise, claire, très adéquate à sa pensée, qui peut-être est encore un peu alourdie par l’influence du latin. Descartes n’en est pas moins le créateur de la langue philosophique et scientifique moderne.

Pascal

Une secte, ou plutôt un parti religieux, les Jansénistes, essaya de prouver philosophiquement le dogme chrétien et de rétablir le christianisme sur la raison. Il fut splendidement illustré par Blaise Pascal (1623-1662).

Pascal publia d’abord, sous forme de lettres à un provincial, toute une polémique en faveur de la doctrine à laquelle il était attaché. Ce sont les Provinciales (1657), où il expose la théorie de la grâce, et attaque la morale des Jésuites. L’homme ne mérite pas la grâce de Dieu par sa conduite ; il faut qu’il l’ait reçue par prédestination. Sa conduite n’en doit pas moins être inspirée par le plus grand souci de l’austérité et d’une morale très sévère. (La morale des Jésuites était au contraire très douce). La grande originalité des Provinciales est qu’elles constituent, sur ces questions de doctrine, un premier appel au grand public. La langue, qui ne s’adresse plus à des professeurs en Sorbonne, en est humaine, presque mondaine.

Mais son œuvre capitale, qui devait être une apologie de la religion chrétienne, est restée inachevée. Elle fut publiée en 1670 sous le titre de Pensées. Il reprend le scepticisme de Montaigne et la théorie de la faiblesse de l’homme, mais il y ajoute cette conclusion que l’homme, si faible, doit s’abandonner tout entier à Dieu.

Pascal, dans sa forme, dédaigne le brillant des précieux. Il ne cherche, dans l’assemblage des mots, que l’expression la plus intense de la pensée ; et ce souci de s’exprimer toujours plus fortement à la fois et plus simplement lui fait bien souvent mépriser les formes usuelles. Le style des Pensées ne fut jamais mis au point. Mais avec le style des Provinciales, il assouplit la langue qu’il affranchit décidément des tournures latines, il donne à la prose sa forme définitive.

Les Précieuses

Les guerres de religion terminées, la paix revenue, les mœurs s’adoucirent. Une vie de salons commença. La marquise de Rambouillet, vers 1608, se retira dans son hôtel dont elle fit le rendez-vous par excellence des amis des lettres. Mlle de Scudéry, Voiture, Mme de Sévigné, Mme de La Fayette et tout le chœur des poètes sont les fervents de ce cercle brillant, de cette académie du goût. Dans ce salon et dans quelques autres on raffine sur la distinction, sur l’élégance, sur l’esprit, sur le langage. On prend l’habitude des périphrases, des métaphores, la haine du mot propre qui est vulgaire, et en général de tout ce qui est simple, réaliste, près de la vie. L’horreur du naturel conduit à un amour excessif de la mythologie. On enveloppe l’idée banale dans des formes alambiquées.

Parmi ces poètes précieux, Saint Amand est souvent exquis, et même tout près parfois des poètes modernes. Il aime la nature. Il en fait de petits tableaux très vigoureux. Voiture est surtout un amuseur, qui remplace la sincérité du fond par l’ingéniosité de la forme, qu’il pousse jusqu’aux suprêmes raffinements.

En même temps le roman prend une grande importance, surtout le roman pastoral où des bergers et des bergères raffinent, en costumes de soie, et toujours avec bienséance sur les mouvements de l’amour. L’Astrée (1627) d’Honoré d’Urfé, le Cyrus et la Clélie de Mlle de Scudéry, qui peignent l’idéal de la vie précieuse, ont un succès considérable.

Toutes ces œuvres nous sont insupportables aujourd’hui par les complications des sentiments et du style et nous paraissent d’une grande fadeur. Mais elles apportèrent dès cette époque les germes de notre littérature psychologique, qui se développera à travers les œuvres de Mme de La Fayette, de Laclos, de l’abbé Prévost, de Stendhal, jusqu’au roman contemporain.

Les Burlesques

Le Burlesque est amené également par l’horreur du naturel. Il veut réagir contre le sentimentalisme des Précieux, et fait en quelque sorte de la préciosité en sens inverse. Il a le goût du rare, mais du rare inesthétique. Scarron (1610-1660), avec le Roman Comique, sorte de parodie de l’Astrée, où les procédés des Précieux sont exagérés et bafoués, tombe dans la caricature parfois avec une verve fort triviale. Le Roman Bourgeois, de Furetière, moins burlesque et plus réaliste, annonce le Gil Blas de Lesage et la Marianne de Marivaux.

Les premiers classiques

Un courant de réaction, illustré par les noms de Malherbe pour la poésie, et de Balzac pour la prose, est parallèle au mouvement précieux. Il combat l’ingéniosité, c’est-à-dire le goût du petit artifice qui se renouvelle à chaque phrase. Mais, loin de rendre la liberté du xvie siècle à l’expression de la pensée, il tend à imposer au contraire des cadres rigides, des règles précises.

Malherbe (1555-1628) est d’abord assez emphatique avec son premier recueil, Les Larmes de saint Pierre, qui contient cependant de beaux vers. Mais c’est par ses Poésies qu’il agira sur son siècle. Il préconise la clarté, la concision. Il réagit contre Ronsard qui avait cherché à enrichir ce vocabulaire. Il veut au contraire l’épurer, le débarrasser de ses archaïsmes, des mots techniques, des mots patois. Il proscrit l’abus de l’esprit, qui n’est qu’un jeu, et qui paralyse l’émotion. Il fait la guerre à l’inversion et préconise une métrique très sévère. Il fut un peu isolé dans son temps, mais prépara toute la prosodie classique et eut une influence énorme sur la génération qui lui succéda.

Balzac (1597-1654), un Angoumois, publie 27 livres de Lettres, des Dissertations chrétiennes et morales, politiques, critiques, etc… Il vit isolé du monde précieux, préfère aux salons et à l’homme la campagne et les choses. Il aime la phrase sonore, périodique, les développements harmonieux. Il transmet à la société mondaine peu instruite les idées des philosophes et des savants, dans un style oratoire. Il fit pour la prose ce que Malherbe avait fait pour la poésie.

Le théâtre avant Corneille

La Pléiade avait essayé de remplacer les mystères du moyen âge par un théâtre imité de l’antique. Jodelle, avec sa Cléopâtre (1552), long poème dialogué assez déclamatoire, avait fait la première tentative. Robert Garnier, avec Bradamante (1582) et les Juives (1583) avait apporté une action déjà plus mouvementée, et Montchrétien, avec Marie Stuart, une sensibilité plus grande. Mais ces tragédies ne s’adressaient qu’à un public lettré. Elles étaient d’ailleurs rarement représentées par un théâtre.

Le théâtre du moyen âge, avec les Confrères de la Passion, vit jusqu’en 1599. Les comédiens qui leur succèdent, à l’Hôtel de Bourgogne, ont pour poète Hardy, écrivain grossier, mais homme de théâtre qui a le sens de l’action et qui essaie de ramener à soi la foule en s’inspirant des pièces à imbroglio des théâtres italien et espagnol. La mode étant ainsi revenue au théâtre, les Précieux y coururent. Ce fut le règne des pastorales enrubannées où s’illustrèrent Théophile, Racan, Mairet.

En 1625 commence la polémique des Trois Unités. (Il est impossible qu’on oblige le spectateur à suivre l’action dans des lieux différents, à passer d’une époque à une autre, surtout à s’intéresser à plusieurs actions mêlées. On exige l’unité de temps, l’unité de lieu, l’unité d’action.) Mairet donne en 1634 Sophonisbe, la première tragédie régulière. Il fait triompher cette règle des Unités et satisfait ce goût de l’ordre, de la régularité et de la raison qui commence à se répandre.

Le Cid

Pierre Corneille (1606-1684) avait, à partir de 1629, donné quelques comédies et tragédies lorsqu’en 1636, il fit jouer le Cid. C’est le plus complet et le plus considérable succès que la France littéraire ait jamais connu. Pour la première fois il y avait prédominance complète de la psychologie. L’action était toute intérieure et les faits ne prenaient leur valeur que dans les évolutions morales qu’ils déclenchaient dans les personnages. C’était en même temps l’exaltation de la volonté, victorieuse des passions, et la quasi sanctification de l’homme, conduit par un idéal supérieur et portraicturé en beauté. Le théâtre devenait du même coup psychologique grâce à cette action intérieure, et très dramatique, grâce à la lutte constante de la volonté et du sentiment. Le vers était simple et brillant ; en même temps qu’il se prêtait merveilleusement à l’expression de toutes les nuances de la pensée (Corneille est quelquefois encore un peu précieux) ; il était coloré, sonore, plein d’images vives et propre aux tableaux pittoresques. Le plan était solide, ramassé, le style nerveux et fort. Corneille enfin résumait magnifiquement toutes les tendances de son temps. Il n’est pas jusqu’à l’exaltation mystique de Pascal qui n’apparaisse dans Polyeucte, tragédie sacrée (1642). Horace, Cinna (1640) sont d’autres chefs-d’œuvre. En 1642, il avait donné le Menteur, comédie pleine de verve et qui n’est plus seulement une comédie d’intrigue. Enfin suivit, jusqu’en 1674, une longue suite de tragédies de moindre importance.

Parmi les contemporains de Corneille, Rotrou (1609-1650) vaut seul d’être retenu. Il y a dans Saint-Genest (1646), où on sent d’ailleurs une grande influence de Corneille, de la sensibilité et du pittoresque.

Le classicisme

Peu à peu la préciosité et le mysticisme s’éteignirent. Le goût de la psychologie resta, et, en même temps, une forme d’art déjà très pure. C’étaient les éléments d’où devait découler cette littérature classique, dont Boileau résuma les règles, que Molière, La Rochefoucauld, La Fontaine et Racine illustrèrent, et qui servit de modèle à l’Europe entière. En effet l’emprise française sur l’Europe du xviie siècle ne vient pas seulement des victoires de Louis XIV, mais bien plus de cette littérature si profondément humaine et si parfaitement générale qu’elle put devenir presque aussitôt internationale ce qu’on ne saurait dire d’aucune autre, si ce n’est de celle des Grecs et des Latins.

Le classicisme exige l’exactitude psychologique, dédaigne le détail extérieur qui particularise, respecte les règles, et veut, pour exprimer des pensées et des sentiments clairs, une forme claire. C’est une époque de perfection.

Boileau (1636-1711), né à Paris, codifia les tendances nouvelles dans son Art Poétique, long poème sans aucun lyrisme, mais plein de santé et de solide bon sens. Il y recommande d’obéir aux règles de la raison ; il interdit la fantaisie, le romanesque, la préciosité : « Jamais de la nature il ne faut s’écarter. — Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. » Dans ses Satires, dans ses Épîtres, il se montre plus avisé critique et plus subtil moraliste que grand poète. Mais il est très français, très sain. Il aime le goût et la mesure. Il eut sur la France et sur l’étranger une très grande influence.

Les Maximes

Ce goût de la recherche psychologique qui caractérise cette époque, Pascal l’avait fait servie à l’apologie d’une théorie philosophique et religieuse ; Corneille à l’apologie d’une théorie morale. La Rochefoucauld (1613-1680) ne le fait servir à rien qu’à la satisfaction de son dilettantisme. Il fait de la recherche psychologique pour le plaisir d’en faire. Le résultat est un petit recueil de Maximes (1665) qui constitue un des plus grands monuments qu’on ait édifiés sur la nature morale de l’homme. La Rochefoucauld ramène tous les sentiments à l’amour-propre ou amour de soi. Jamais encore l’analyse n’avait été si subtile, la langue si sobre et si exacte.

Les mondains

À côté de ce grand seigneur, on peut placer le cardinal de Retz, Mme de La Fayette et Mme de Sévigné, qui sont plutôt des amateurs que des écrivains de métier.

Le cardinal de Retz (1614-1679) écrit des Sermons, des Lettres, des Mémoires. C’est un moraliste élégant qui fut l’ami de La Rochefoucauld auquel il ressemble par plus d’un point.

Mme de La Fayette (1634-1693) publie quelques romans dont un, La Princesse de Clèves (1678), est encore très lu aujourd’hui. Elle est vraie, disait d’elle La Rochefoucauld. Elle est, de la même façon sinon au même degré que Racine, très symbolique de son époque en ce que, chez elle, l’intrigue ne sert qu’à la mise en lumière des sentiments et de leur évolution. Ce livre, à la fois élégant, délicat et sincère, a passé longtemps pour le modèle du roman psychologique.

Mme de Sévigné (1626-1696) écrit, sur elle-même et sur mille petits événements de sa vie, des lettres à sa fille, qui furent réunies par la suite. Cette Correspondance étincelante de gaîté et d’esprit, remplie de tableaux délicieux de la ville ou de la campagne et de portraits des gens en cour, est un merveilleux document sur la vie intime de ce temps, écrit dans une langue vive et primesautière, pleine d’imprévu et de charme.

Les Fables

Elles paraissent de 1668 à 1694. Elles sont l’œuvre du poète le plus purement français. Au contraire des classiques et bien qu’il leur ressemble par bien des points (clarté, mesure, pureté), La Fontaine (1621-1695) dépasse peu les frontières de France, est peu compris à l’étranger. Cela tient à ce que son génie est contenu presque tout entier dans la virtuosité de son style, à ce qu’étant avant tout poète, il ne subsiste presque rien de lui dans les traductions.

Les Fables constituent une peinture satirique de la société, mais où la satire n’a jamais d’amertume. Ce sont de fines comédies où passent, sous forme d’animaux, des personnages subtilement et amoureusement dessinés, d’une plume sobre jusqu’à la gageure. Le choix prodigieusement heureux du mot, la science étonnante de la phrase où le coloris le plus vif respecte la ligne pure du dessin, l’harmonie délicate d’un vers dont le rythme se renouvelle à l’infini, font de ces tableaux des chefs-d’œuvre qui n’ont rien perdu de leur jeunesse, et qui étonnent encore aujourd’hui. Il semble que ce pur génie ait deviné et compris à l’avance toutes les écoles poétiques qui se sont succédé depuis. Mais il innove toujours avec tant de mesure qu’on ne voit pas tout d’abord à quel point il est audacieux. Son vers ne se contente plus d’une harmonie purement verbale, d’un ronron caressant et un peu monotone. Il procède d’une autre musique, cérébrale si on peut dire et psychologique ; et l’harmonie naît d’un accord miraculeux entre la pensée, l’expression et le rythme ; ce qui peut servir de définition à toute la poésie. La Fontaine a enfermé dans ces vers vivants, tempérés et limpides le charme de ce pays d’Île-de-France qui fut le sien, avec les douces couleurs de ses eaux, de son ciel et de ses paysages.

Il a laissé aussi des Contes, assez imités de Boccace, spirituels, amusants, rapides, mais qui sont loin d’égaler ses Fables.

Avec les Fables, la langue est définitivement fixée. Elles sont encore, après trois siècles et demi, notre modèle le plus pur.

Les comédies de Molière

Le fils d’un tapissier, Jean-Baptiste Poquelin de Molière (1622-1673), après avoir formé une troupe de comédiens avec laquelle il parcourut la province, jouant lui-même les comédies qu’il improvisait, — revint à Paris et s’installa avec sa troupe au Palais-Royal, en 1661, avec un privilège du roi. Il écrit alors pour son théâtre une assez longue suite de comédies qui font de lui le plus grand comique français.

C’est encore le goût de la vérité psychologique qui le guide. Il s’en sert pour ramener le public au goût de la santé et de la nature.

Il commença par écrire des comédies à l’image de celles de Scarron qui étaient alors à la mode ; puis des comédies à intrigue, en vers, pleines de verve, d’entrain, d’une forme extrêmement souple, et où le goût de l’observation joint à un sens délicieusement français de l’ironie aboutit au plus franc comique : l’Étourdi, le Dépit Amoureux. Puis viennent des comédies de mœurs où les travers de la société sont tournés en ridicule avec une verve bouffonne : les Précieuses Ridicules, les Fâcheux. Enfin ses grandes œuvres sont à la fois des comédies de caractère par l’importance donnée à la peinture d’un personnage principal, et des comédies de mœurs par la précision du cadre humain dans lequel ce personnage principal évolue : le Misanthrope (1666), Amphytrion (1668), Tartuffe (1669), le Bourgeois Gentilhomme (1670), les Femmes Savantes (1672), le Malade Imaginaire (1673). Il donnait d’un coup à la comédie une ampleur extraordinaire. Un don inconnu jusqu’à lui du mouvement dramatique lui permettait, bien qu’il négligeât l’intrigue, d’animer d’une vie intense tous ses personnages ; l’amour classique de la clarté dans la pensée et dans la forme rendait ses œuvres presque universellement accessibles.

Molière est, par son esprit clair, sa verve caustique et joyeuse, son intelligence du cœur humain, son bon sens, sa raison, son amour puissant de la vie, un des trois ou quatre génies les plus représentatifs de l’esprit français.

Les tragédies de Racine

Racine (1639-1699) partage avec Corneille la gloire d’être appelé le plus grand des tragiques.

Il fit ses études à Port-Royal. Après quelques tragédies peu originales, il donne en 1667 Andromaque qui lui vaut un succès presque égal à celui du Cid et qui déclenche une querelle entre ses admirateurs et les partisans de Corneille. Suit une série étincelante de chefs-d’œuvre : Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674). En 1677, une cabale fait tomber Phèdre, la plus puissante peut-être de ces tragédies magnifiques où cet élève de Molière porte au plus haut degré ses dons prodigieux d’analyste subtil du cœur humain. Découragé, il se retire de la scène et n’y reparaît qu’en 1689 avec Esther, tragédie biblique, suivie en 1691 d’Athalie, autre tragédie sacrée.

Le génie de Racine se distingue de celui de Corneille en ce qu’il peint une humanité moins héroïque, moins exceptionnelle, moins exemplaire. Les personnages de Racine ne dominent plus leurs passions. Ils sont dominés par elles. Ils nous touchent par leur faiblesse plutôt que par leur fermeté. Racine s’attendrit devant les blessures du cœur humain, si sensible. Il le plaint, il lui pardonne ses égarements. Il nous fait communier avec lui dans la peine et les tourments. Il est tout amour et tout indulgence. Il n’exalte point l’homme. Il ne cherche pas à l’élever au-dessus de lui-même. Il ne cherche qu’à le traduire, à nous tracer de lui une image exacte et savante, et à nous émouvoir nous-mêmes par sa ressemblance avec nous. « Je ne craindrai pas d’avancer que le sujet d’une belle tragédie doit n’être pas vraisemblable » avait écrit Corneille. Racine cherche avant tout le vraisemblable et le vrai.

Ainsi tout le soin de Racine tend vers la recherche de la vérité dans ses caractères. Son œuvre y gagne plus de mesure encore, plus de perfection classique. Elle y perd la vigueur colorée, les grands élans, l’éclat, la bravoure de Corneille. Son vers est moins brillant, moins fort, moins héroïque, moins sonore. Il est plus doux, plus calme, plus souple, plus tendre et plus voluptueux.

Racine a laissé encore une comédie, les Plaideurs (1668), qui étonne par la souplesse déconcertante de son vers, la verve endiablée de son style et par un sens délicat de la caricature qui fait que le comique n’y est jamais amer, l’auteur gardant toujours une sympathie pour ses personnages. Les Plaideurs prouvent d’une manière étincelante à quel point était divers ce génie de Racine qui n’est enserré dans des formes rigoureuses que parce qu’il se les était imposées.

On peut dire de Racine qu’il est tout le classicisme.

Le théâtre de la fin du siècle

Un seul nom, celui de Regnard (1655-1709), qui tente de continuer la comédie de Molière. Il n’égale pas son maître mais donne une suite de comédies en vers fort alertes et fort gaies. Le Joueur (1696) et le Légataire Universel (1708) sont d’une légèreté, d’une fluidité délicieuses. Les sujets rappellent ceux de Molière. Les personnages sont beaucoup moins vrais, Regnard est peu observateur. Il n’a qu’une sorte d’imagination scénique dont il se sert avec beaucoup de bonheur.

Les écrivains religieux

Au xviie siècle la foi était grande. La cour de Louis XIV affichait sa dévotion. La littérature religieuse prit facilement de l’importance. Elle révéla deux véritables génies : Bossuet, Fénelon ; et trois grands orateurs : Bourdaloue, Fléchier, Massillon.

Bossuet (1627-1704) avait appris la simplicité à l’école de Saint Vincent de Paul. La fréquentation des grands classiques lui donna le goût de la beauté. Il prêcha à Paris, devant la cour, y obtint tout de suite un succès considérable, avec ses carêmes et surtout ses oraisons funèbres, fut nommé évêque et percepteur du dauphin pour l’éducation duquel il écrivit le Discours sur l’Histoire Universelle (1681), ouvrage incomplet au point de vue historique, mais plein d’aperçus remarquables, dont Montesquieu se souviendra plus tard, et le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même.

Les oraisons funèbres qu’il fit pour Anne d’Autriche, Henriette d’Angleterre, le prince de Condé, Anne de Gonzague, etc., sont en réalité autant de sermons sur la grandeur de Dieu, les leçons de la Providence, la grâce, etc… d’une élévation de pensée qui va souvent jusqu’à l’audace, surtout d’un mouvement merveilleux qui emportait le cœur et l’esprit des écoutants. Les images sont vives, pleines de force, et, la beauté d’un discours consistant pour une grande partie dans le mouvement rythmique des phrases, les périodes se déroulent dans une musique incomparable, toujours expressive de l’idée, toujours en rapport direct avec elle, tantôt pressée, tantôt au contraire lente et mesurée. Cette éloquence ne se départit jamais d’un grand naturel ; aussi Bossuet est-il bien de la grande époque de Racine.

Bourdaloue (1632-1704), un jésuite, conçoit un sermon comme la démonstration d’un théorème. Il est précis, net, raisonneur jusqu’à la sécheresse. Mais il est aussi très psychologue. Il s’adresse à la raison plutôt qu’au cœur. Il appartient bien à ce siècle par la rigueur de son analyse, l’inflexibilité de sa logique, le mépris de l’imagination.

Fléchier (1632-1710) avait commencé par écrire de petits vers. On s’en aperçoit dans ses oraisons funèbres dont le style est souvent précieux. Il n’a aucune des qualités de la véritable éloquence. Jamais il ne s’abandonne aux mouvements d’une inspiration véritable ; par contre, il enrichit son style de toutes les grâces chères à l’hôtel de Rambouillet.

Massillon (1663-1742), oratorien, fait des sermons et des oraisons funèbres dont une, celle de Louis XIV, est restée célèbre. Il a peu d’idées, mais il les pare de métaphores abondantes et brillantes. Par sa sensibilité, plus morale que dogmatique, il annonce le xviiie siècle.

Fénelon (1651-1715) est moins prédicateur que prélat. C’est avant tout un éducateur. Chargé de l’éducation du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, il écrit des Fables en prose très appropriées à l’enfance, des Dialogues des Morts, petites leçons d’histoire et de politique, enfin le Télémaque (1699), récit mythologique doublé d’un roman pédagogique, qui fut certainement le livre le plus lu de son temps. Dans ce livre où il se met en scène sous les traits du sage Mentor, Fénelon redresse le caractère de son élève et lui insinue en même temps sa conception politique. Il veut tempérer l’absolutisme royal par la participation au pouvoir des états-généraux, modérer les dépenses et les guerres, développer l’agriculture. Il écrivit encore un Traité de l’Éducation des Filles et exposa ses idées littéraires dans sa Lettre à l’Académie, où il assouplit les règles édictées par Boileau. Partout il apporta le même charme enveloppant, les mêmes grâces fleuries, la même harmonie un peu douceâtre du style. Mais sous des dehors un peu nonchalants, on sent une ardeur sincère, et même une volonté forte qui se révéla dans les polémiques avec Bossuet.

Par son souci des constitutions politiques, Fénelon prépare la voie aux grands manieurs d’idées du xviiie siècle.

Les philosophes

La philosophie commence à devenir sceptique, plus humaine aussi, et en même temps plus audacieuse dans son souci d’aller vers plus de vérité.

Bayle (1647-1706) et Fontenelle (1657-1757), reprenant les doctrines de Descartes, portent sa philosophie beaucoup plus avant.

Pierre Bayle est un causeur. Élégant, habile, il touche à tout avec un bon sens mélangé de finesse. Son œuvre principale est son Dictionnaire historique et critique (1697). Il applique à toutes les questions un sens critique demeuré célèbre. Un sens critique trop aiguisé mène au scepticisme. On sent en lisant Bayle que ce siècle étonnant qui a commencé dans la grâce et s’est continué dans la force, ne se complaît plus, vers sa fin, que dans l’intelligence.

Fontenelle écrivit de médiocres pièces de théâtre et ses remarquables Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). C’est un savant, — il mourut secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, — qui fait de la littérature avec les connaissances scientifiques. Il est discret, mesuré, prudent, égoïste : « Si j’avais les mains pleines de vérités, disait-il, je me garderais de les ouvrir. » La Bruyère dit de lui : « C’est un bel esprit de profession. » Nous dirions aujourd’hui : hommes de lettres. Il est d’ailleurs un des premiers artisans de l’esprit moderne.

Mais le plus grand moraliste de cette seconde moitié du xviie siècle est sans contredit La Bruyère (1645-1696) qui, au contraire de ces trop avisés rhéteurs, dit ce qu’il pense et le dit hardiment. Ses Caractères (1688) sont un des monuments de la littérature française. Sous forme de petits portraits nets, précis concentrés, terribles, il satirise élégamment les mœurs et les gens de son temps. Le style en est admirable par sa concision, ses raccourcis, quelque chose d’alerte et d’aigu qui voltige un moment puis frappe au cœur comme une épée. On a dit de sa langue qu’elle était un outil de précision. Il faut ajouter que cet outil est précieux et fin comme un bibelot. Cette langue en effet mêle à ses prodigieuses qualités d’acuité, un art délicat de l’expression.

On voit, dans tous ces philosophes, se résumer l’esprit de cette passionnante époque. Une grande importance est attachée aux idées. Ce sont elles qui régissent la forme. La psychologie domine tout. Toute la littérature est basée sur la passion de connaître l’homme.