Les Actes des Apôtres/62

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 220-235).

LXII

MARTYRE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ.



Grand’mère. Après le martyre de saint Pierre et de saint Paul, mes enfants, je vais vous raconter celui non moins admirable de saint André.

Vous vous souvenez, sans doute, que saint André était le frère aîné de saint Pierre, et qu’il suivait saint Jean-Baptiste.

Les plus jeunes enfants répondent les uns oui ; les autres non.

Grand’mère. Je crois que je ferai mieux de recommencer ; ceux qui ne savent pas y gagneront ; ceux qui savent n’y perdront rien.

Henriette, riant. Si fait, Grand’mère, nous y perdrons du temps.

Grand’mère, souriant. Non, votre temps ne sera pas perdu, car vous l’aurez employé à un acte de complaisance et de douceur.

Jeanne. C’est vrai ; Grand’mère a raison ; écoutons avec patience, quoique nous sachions.

Grand’mère. Saint André était donc le frère aîné de saint Pierre. Ayant entendu parler des prédications extraordinaires de saint Jean-Baptiste, il alla l’entendre et devint un de ses disciples. Mais saint Jean-Baptiste lui ayant fait voir un jour Notre-Seigneur, dit : « Voilà l’Agneau de Dieu. » Cette parole frappa vivement André ; il quitta saint Jean-Baptiste avec un autre disciple qu’on croit être saint Jean pour suivre le Sauveur du monde.

« Qui cherchez-vous ? lui demanda Notre-Seigneur.

— Maître, répondirent-ils, où demeurez-vous ?

— Venez et voyez, » dit le Seigneur.

Ils y vinrent et restèrent avec Jésus, toute la journée et la nuit suivante. André fut si plein d’admiration des paroles de Notre-Seigneur qu’il en parla à son frère Simon-Pierre ; il l’amena à Jésus qui les garda tous deux pour être ses disciples. « Suivez-moi, leur dit-il, suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »

À partir de ce jour, Pierre et André ne quittèrent plus leur Divin Maître. Après la Passion, la Résurrection et l’Ascension de Notre-Seigneur, saint André resta près de saint Pierre et des autres Apôtres. Il reçut avec eux le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte.

Quand les Apôtres se dispersèrent pour prêcher l’Évangile, saint André eut pour sa part les pays qui se trouvent au nord du Pont-Euxin…

Louis. Qu’est-ce que c’est : le Pont-Euxin ?

Grand’mère. Le Pont-Euxin est une mer au-dessus de la mer Méditerranée et de l’Archipel.

Saint André commença par l’Achaïe où saint Paul se rendit plus tard. Après l’Achaïe, saint André alla dans un pays barbare qui s’appelait la Scythie. Les habitants de ce pays étaient renommés pour leur férocité, mais le saint Apôtre leur prêcha l’Évangile avec tant de bonté, de douceur ; il fit des miracles si nombreux et si frappants, qu’il en convertit une quantité prodigieuse. Entre autres conversions, il en opéra une qui paraissait impossible. C’était un vieillard de soixante-quatorze ans qui avait passé sa vie dans la débauche et la crapule ; il s’appelait Nicolas.

Armand. Qu’est que c’est : crapule ?

Grand’mère. Cela veut dire une vie abominable, remplie de mauvaises actions, d’ivrognerie, de saletés, de méchancetés de toutes sortes. Ce Nicolas était très-lié avec une femme aussi méchante, aussi mauvaise que lui. Un jour, il se trouva avoir sur lui, par hasard, le livre de l’Évangile écrit par saint Matthieu.

Louis. Comment un si mauvais homme pouvait-il avoir un si bon livre ?

Grand’mère. C’était probablement quelque nouveau Chrétien qui le lui avait donné. Il avait donc ce livre dans sa poche sans y penser, et il alla voir cette mauvaise femme pour se divertir et s’enivrer avec elle.

Mais aussitôt qu’il fut entré, la femme lui dit de s’en aller bien vite, parce qu’il avait sur lui quelque chose de divin dont elle ne pouvait supporter la présence. Nicolas, tout ému et surpris, alla trouver saint André et lui raconta ce qui venait de lui arriver. Il en était si troublé que le saint Apôtre profita de cette terreur pour lui faire honte de sa vie passée et pour le presser de se convertir. Nicolas y consentit, mais il ne voulut pas s’y décider tout de suite.

Saint André jeûna pendant cinq jours pour obtenir de son Divin Maître le salut de cette âme. Une voix du Ciel lui dit qu’elle lui serait accordée pourvu que Nicolas jeûnât pour lui-même et qu’il s’exerçât à vivre dans La pénitence.

Saint André exhorta Nicolas à le faire et lui parla avec tant de force que le vieillard se sentit enfin le cœur touché. Il consentit à écouter les avis du saint Apôtre. Malgré son grand âge, il jeûna pendant six mois au pain et à l’eau ; il vendit tous ses biens, distribua l’argent aux pauvres et mena jusqu’à sa mort une vie exemplaire.

Henri. Saint André était bien bon de se donner tant de mal pour un méchant vieillard.

Grand’mère. C’est précisément parce qu’il était méchant et vieux que saint André s’y intéressa si particulièrement. Nicolas n’avait pas de temps à perdre et le saint Apôtre désirait ardemment sauver cette pauvre âme pour laquelle Notre-Seigneur avait versé son sang et donné sa vie.

Élisabeth. Mais ce n’est pas seulement pour lui que Notre-Seigneur a donné son sang et sa vie ! C’est pour des millions et des milliards d’âmes.

Grand’mère. Certainement ; mais aussi pour chacune des âmes qui forment ces millions et ces milliards. Et chacune de ces âmes doit à Notre-Seigneur la même reconnaissance et le même amour que s’il n’était venu sur la terre que pour elle seule.

Après avoir fait une multitude de conversions dans tous ces pays éloignés, saint André revint à Patras, et il recommença avec une grande ferveur à prêcher l’Évangile et à conjurer les peuples de reconnaître la Divinité de Jésus-Christ.

Le proconsul ou gouverneur romain, Égée, ayant été averti des ravages que faisait saint André dans le culte des faux dieux, se rendit précipitamment à Patras, dans l’Achaïe, pour arrêter l’effet extraordinaire des prédications de l’Apôtre.

Aussitôt qu’André eut appris l’arrivée, du proconsul, il n’attendit pas d’être appelé par lui ; il se hâta d’aller le trouver.

« Égée, lui dit-il, toi qui as reçu le pouvoir de juger les hommes de cette province, tu devrais connaître ton juge à toi qui est dans le Ciel, afin que tu lui portes le respect et que tu lui rendes l’hommage qui sont dus à sa souveraine Majesté. Tu abandonnerais alors le culte impie de tes idoles. »

Jeanne. Comment saint André a-t-il eu le courage de parler ainsi à cet homme qui avait le pouvoir de le faire mourir ? Il me semble qu’il eût été plus prudent de rester tranquillement dans sa maison.

Grand’mère. Chère enfant, ce n’est pas ainsi que raisonnent les Apôtres et les vrais Chrétiens. Le saint Apôtre n’eût rien gagné à rester chez lui. Le proconsul arrivait tout exprès pour arrêter ses prédications ; il l’aurait fait amener de force en sa présence. Saint André a préféré lui faire voir tout de suite qu’il ne craignait ni lui, ni aucun homme sur la terre, et que personne ne l’empêcherait de prêcher l’Évangile de Jésus-Christ.

« Es-tu donc cet André, dit Égée, qui cherche à détruire les temples de nos dieux, et à persuader au monde que la seule religion vraie est celle qui a été condamnée et défendue par nos Empereurs ?

— Cette défense n’a été faite par les Empereurs, répondit André, que parce qu’ils n’ont pas connu le grand mystère du salut des âmes ; ils ignorent comment le Fils de Dieu est venu nous tirer de l’esclavage du démon.

— De semblables discours, dit Égée, n’ont pas empêché ton Christ d’être saisi par les Juifs et d’être attaché ignominieusement à une croix,

— Il est vrai, s’écria le saint Apôtre, qu’il a été attaché à une croix ; mais il n’y a été attaché que par amour pour nous et pour le salut de nos âmes. J’en suis témoin moi-même, ayant entendu souvent de sa propre bouche les prédictions qu’il nous faisait relativement à sa mort, et les assurances qu’il nous donnait de la nécessité de cette mort pour le salut du monde.

— Que m’importe, dit Égée, que ce soit par l’effet de sa propre volonté qu’il ait été crucifié ? Il suffit qu’il l’ait été pour que je ne l’adore pas. Comment reconnaître pour Dieu un homme crucifié ? »

Saint André lui expliqua alors les grands mystères de la Rédemption de Jésus-Christ. Mais Égée ne comprit rien aux paroles de l’Apôtre et lui signifia que, s’il ne mettait pas fin à ses prédications, et s’il ne sacrifiait promptement aux dieux de l’empire, il le ferait fustiger honteusement et ensuite attacher à une croix comme son Maître.

Louis. Quel méchant homme que cet Égée ! Et comme tous ces païens sont méchants !

Grand’mère. La charité était une vertu inconnue chez les païens. C’est ce qui distingue la religion de Jésus-Christ de toutes les autres religions. Notre-Seigneur a prêché la charité par ses paroles et par son exemple. Les Apôtres, de même que leur Divin Maître, prêchaient la charité comme le premier devoir de tous les Chrétiens, comme la source de toutes les vertus. Remarquez bien qu’un vrai Chrétien, bien qu’il soit inflexible dans sa foi et dans son amour pour la vérité, est néanmoins rempli de douceur, de bonté, d’indulgence, qu’il cherche à rendre heureux tous ceux qui dépendent de lui, qui vivent avec lui. Il soulage leurs misères, il leur épargne des souffrances, il les console dans leurs chagrins. Égée était comme tous les païens, orgueilleux, despote, égoïste, inhumain.

Élisabeth. Mais, Grand’mère, je connais des Chrétiens qui ont tous ces défauts et qui n’ont de charité pour personne.

Grand’mère. C’est que ce ne sont pas de vrais Chrétiens, chère enfant ; ils ne le sont que de nom. Ils feraient peut-être comme Égée, s’ils étaient à sa place.

Quoi qu’il en soit, la menace d’Égée n’effraya pas saint André, qui lui répondit : qu’il offrait tous les jours un sacrifice ; que ce sacrifice était celui de l’Agneau sans tache, de Jésus-Christ lui-même, qui, après avoir été reçu chaque jour par chacun des fidèles, restait toujours vivant et entier. « Car, ajouta-t-il, je ne reconnais vos dieux que comme des démons abominables, indignes d’honneur et de respect. Et quant au supplice de la croix dont vous me menacez, sachez que c’est là l’objet de mes désirs, et que je ne serai jamais plus joyeux que lorsque je m’y verrai attaché comme l’a été mon Divin Maître. »

Le proconsul, irrité de ce discours, fit enfermer le saint Apôtre dans une affreuse prison, espérant que les souffrances qu’il y endurerait, le feraient changer de sentiments.

Mais à peine y fut-il, qu’une multitude d’hommes qui avaient saint André en grande vénération se rassemblèrent pour briser les portes de la prison et pour mettre l’Apôtre en liberté.

Valentine. À la bonne heure ; ce sont de braves gens ! C’est très-bien ce qu’ils font.

Grand’mère. Mais saint André ne les laissa pas faire ; car aussitôt qu’il fut informé de leur projet, il fut rempli de douleur et il demanda à parler à cette foule irritée. Ne sachant quel autre moyen prendre pour calmer la fureur de ce peuple, Égée lui en accorda la permission.

L’Apôtre leur rappela que Notre-Seigneur avait enduré patiemment les tourments de sa Passion sans se défendre et sans permettre qu’on le défendît. Il les conjura par le sang et la mort de leur Divin Maître, de ne pas changer en une sédition diabolique la paix qu’il avait apportée au monde.

« Ce que vous devez faire, leur dit-il, c’est de vous préparer vous-mêmes à mourir. Le Chrétien ne devient pas victorieux en se défendant, mais en mourant. Les supplices qui sont à craindre ne sont pas ceux qu’on endure en cette vie, mais ceux qui sont préparés aux impies, en enfer. Au lieu de vouloir tuer Égée, vous devez avoir plutôt de la compassion pour lui, puisqu’il se rend digne de ces tourments éternels ; bientôt viendra le temps où nous serons récompensés de nos souffrances, et où, lui, sera rigoureusement puni de sa cruauté. »

Camille. Grand’mère, je trouve ce discours bien beau ! Et quelle générosité, quelle charité déploie ce grand Apôtre !

Grand’mère. Oui, chère petite, on sent que c’est l’homme de Dieu, l’Apôtre de Jésus-Christ qui parle. Aussi produisit-il un tel effet sur les milliers de Chrétiens qui l’entouraient, que tous se retirèrent calmes et tristes.

Henriette. Pourquoi tristes ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient qu’Égée ferait mourir saint André dans les tourments et qu’ils seraient privés à l’avenir de ce saint homme.

Jeanne. Égée aura été, sans doute, reconnaissant du grand service que lui avait rendu le bon saint André.

Grand’mère. Il a été aussi ingrat que méchant. Le lendemain de ce jour, il envoya chercher André, le fit comparaître devant son tribunal et lui dit :

« Je pense que tu as réfléchi cette nuit à mes paroles, et que tu as changé de sentiment et de résolution.

— Bien loin d’en avoir changé, répondit le saint Apôtre, je souhaite avec la même ardeur d’attirer tout le monde à mon Seigneur Jésus, et d’abolir entièrement le culte des idoles. C’est à quoi j’ai travaillé dans cette province, et j’ai la consolation d’avoir éclairé bien des gens et de les avoir gagnés à mon Sauveur.

— C’est de quoi je me plains, reprit Égée avec colère ; je veux que tu renonces à ta superstition et que tu répares le mal que tu as fait par tes folles prédications. Les temples de nos dieux sont déserts maintenant, leur culte est abandonné. C’est toi qui es l’auteur de cet abandon, il faut que tu y portes remède. Si tu continues à t’y refuser, le supplice de la croix t’est assuré, et personne ne pourra te sauver de ma colère.

— Ô fils de la mort, s’écria André, demeureras-tu toujours dans ton aveuglement ? Crois-tu que je craigne les tourments dont tu me menaces ? Sache au contraire que je les désire avec ardeur. Plus je souffrirai, plus la récompense que je recevrai des mains de mon Seigneur sera belle et précieuse.

La seule chose qui me peine, c’est de te voir si obstiné dans ton erreur. »

Égée ne comprit rien à cet amour ardent pour un Dieu crucifié et pour des hommes inconnus au saint Apôtre. Il le traita d’extravagant et d’insensé, et le fit fouetter cruellement.

Les bourreaux exécutèrent la sentence avec une grande barbarie ; le corps d’André fut tout déchiré. Ce supplice fut rendu plus cruel encore par le froid rigoureux qui entrait dans ses plaies, et qui lui causait des douleurs insupportables. Mais, loin de diminuer son courage, ces souffrances augmentèrent encore son désir de mourir pour son Divin Maître.

Ramené devant le proconsul, il lui parla avec le même courage, le suppliant d’ouvrir les yeux à la vérité et de sauver son âme.

« Pense, lui dit-il, à la peine terrible que tu te prépares dans l’enfer, vers lequel tu te précipites. Les souffrances dont tu me menaces ne peuvent durer qu’un jour ou deux, et seront suivies d’une gloire et d’un bonheur éternels ; mais tes souffrances à toi ne finiront et ne diminueront jamais. »

Égée, de plus en plus irrité, voyant qu’André restait inflexible dans ce qu’il appelait sa folie, ordonna enfin qu’il fût attaché à la croix. Mais pour rendre son supplice plus long, il commanda qu’on l’y attachât avec des cordes, en place des clous qui lui feraient perdre tout son sang et hâteraient sa mort.

Le peuple se rassembla en murmurant, et criant :

« Qu’a fait ce juste, cet ami de Dieu, pour être ainsi mis à mort ? Il ne faut pas souffrir que cet arrêt inique soit exécuté ! »

Mais André, qui ne se sentait pas de joie de se voir si près de souffrir le martyre pour son cher Maître, éleva la voix de toutes ses forces, et conjura cette foule de Chrétiens de ne point retarder son supplice.

Armand. Est-ce qu’ils ont obéi ?

Grand’mère. Il paraît que oui, car les livres qui racontent le martyre de saint André ne parlent plus de l’opposition du peuple.

Jacques. Je trouve qu’ils auraient dû le délivrer malgré lui.

Grand’mère. Ils ont préféré céder à ce vif désir de l’Apôtre ; les fervents Chrétiens l’ont mieux compris qu’on ne l’eût fait de nos jours.

Les soldats qui menaient saint André au supplice continuèrent donc leur marche. Dès que l’Apôtre aperçut la croix qui lui avait été préparée, il se sentit transporté de joie et s’écria :

« Je te salue, ô croix vénérable ! Avant que mon Seigneur eût été étendu sur toi, tu étais un signe d’horreur. Maintenant tu n’as plus que des charmes. C’est avec bonheur et confiance que je viens vers toi. Ô croix que j’ai toujours aimée ! Ô croix longtemps désirée ! Ô croix que j’ai cherchée avec ardeur, reçois-moi ! Rends-moi à mon Maître, afin que je passe de tes bras dans ceux de mon Seigneur, qui m’a racheté étant couché sur toi ! »

Madeleine. Grand’mère, ce sont des sentiments tellement beaux qu’ils sont presque incompréhensibles. Qu’on accepte avec résignation un affreux supplice, cela se comprend ; mais qu’on le recherche, qu’on le désire, j’avoue que je ne le comprends plus. Si je devais être crucifiée, je ferais des cris épouvantables et je demanderais grâce tant que je le pourrais.

Grand’mère. Mais si, pour prix de cette grâce, on t’ordonnait de renier Notre-Seigneur, l’accepterais-tu ?

Madeleine. Non, non, Grand’mère, non, jamais !

Grand’mère. Alors, tu serais dans les mêmes sentiments que saint André, sauf la force qui te manquerait pour souffrir avec joie comme lui ; ta nature humaine, plus faible que la sienne, moins aguerrie aux privations, aux souffrances, laisserait paraître une terreur bien naturelle.

Cette merveilleuse ardeur du saint Apôtre était la conséquence nécessaire et la juste récompense de ses rudes et continuels travaux pour la gloire de Notre-Seigneur.

Lorsqu’il fut près de la croix, il se déshabilla lui-même, donna ses vêtements aux bourreaux et monta tout seul sur la croix préparée pour lui. Il y fut attaché avec des cordes, d’après l’ordre du proconsul.

Henriette. Grand’mère, il me semble que les cordes devaient moins faire souffrir que les clous.

Grand’mère. Les premiers moments devaient être moins terribles en effet ; mais comme on était obligé de serrer très-fortement les cordes pour maintenir le corps sur la croix, il survenait bientôt un engourdissement qui devait être horriblement douloureux. De plus, comme le crucifié ne perdait pas de sang, il vivait plus longtemps.

Ainsi, saint André resta trois jours attaché sur la croix, et il ne cessa tout le temps d’exhorter les fidèles à rester fermes dans leur foi et à, mépriser les souffrances passagères pour arriver au bonheur éternel. Plus de vingt mille personnes furent témoins de son martyre. Parmi elles se trouvait Stratocle, frère d’Égée, qui disait hautement, avec tous les assistants, que c’était injuste et cruel de faire ainsi mourir un si saint homme.

Le peuple, affligé de le voir tant souffrir, alla chercher le pro-consul jusque dans son palais. On lui cria de tous côtés que c’était une impiété de tourmenter ainsi un si excellent homme, et qu’il fallait le détacher de la croix.

Égée craignit une sédition qui menaçait de devenir sérieuse. Il promit au peuple qu’André allait être détaché de la croix, et il vint au lieu du supplice.

Dès qu’André l’aperçut, il s’écria :

« Que viens-tu faire ici, Égée ? Si c’est pour croire en Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour proclamer ta foi, il te sera fait miséricorde. Mais si tu viens pour me faire descendre de la croix, apprends que tu n’en viendras pas à bout, et que j’aurai la consolation de mourir pour mon cher Maître. Je le vois, je l’adore, et sa présence me comble de joie. Je n’ai d’autre regret que de voir perdre ton âme ; tu seras damné si tu ne te convertis maintenant que tu le peux encore ; plus tard, tu ne le pourras peut-être pas, lors même que tu le voudrais. »

Élisabeth. Comment cela ? Tant qu’on vit on peut toujours se convertir.

Grand’mère. Saint André voyait sans doute comment Égée devait périr ; vous allez voir tout à l’heure qu’il n’avait effectivement pas de temps à perdre pour se repentir de ses cruautés et de son abominable vie.

Égée, malgré les paroles d’André, commanda aux bourreaux de le détacher de la croix. Mais il leur fui impossible de le faire, parce qu’aussitôt qu’ils approchaient, les forces leur manquaient et leurs bras devenaient comme perclus.

Saint André, pendant ce temps, faisait à haute voix cette prière :

« Ne permettez pas, mon Seigneur, que votre serviteur, attaché à cette croix pour l’honneur de votre nom, en soit délié. Ne souffrez pas qu’Égée, qui est un homme corruptible, m’inflige l’humiliation de ne pouvoir mourir pour vous. Vous êtes mon cher Maître, que j’ai connu, que j’ai aimé, que je désire contempler éternellement. Il est temps que je me réunisse à vous, seul objet de tous mes désirs et de toutes mes affections. »

Comme il achevait ces paroles, il fut, à la vue de tout le monde, environné d’une lumière si resplendissante que personne ne pouvait en soutenir l’éclat. Une demi-heure après, cette lumière se dissipant peu à peu, saint André rendit le dernier soupir, et alla recevoir la récompense de son admirable vie.

Louis. Je suis content qu’il ne souffre plus, ce digne et courageux Apôtre !

Armand. Est-ce que son corps est resté sur la croix ?

Grand’mère. Non. Une dame de qualité, nommée Maximilla, femme d’un sénateur, ayant remarqué d’une grotte où elle était…

Marie-Thérèse. Pourquoi était-elle dans une grotte ?

Grand’mère. Parce qu’étant une grande dame, elle n’eût pas été convenablement placée au milieu de la foule.

Valentine. El pourquoi alors y allait-elle ? Grand’mère. Parce qu’elle était Chrétienne et qu’elle voulait assister au beau spectacle du martyre de ce saint Apôtre ; elle voulait y puiser du courage pour souffrir et mourir comme lui si le bon Dieu l’appelait au martyre. Mais pour ne pas avoir l’air de braver Égée, et pour ne pas attirer la persécution sur les Chrétiens, elle se mit à couvert dans une grotte, en face de la croix de saint André.

Maximilla, ayant donc remarqué que l’Apôtre avait cessé de vivre, alla, avec l’aide de ses serviteurs, détacher le corps de la croix. Elle l’embauma avec des parfums précieux, et l’ensevelit dans un tombeau qu’elle avait fait préparer pour elle-même.

Égée, l’ayant appris, fut très-irrité contre Maximilla. N’osant pas la faire arrêter, à cause de sa haute position, il résolut de porter plainte à l’Empereur. Mais pendant qu’il recevait la déposition des témoins, il fut saisi par un démon furieux qui l’entraîna sur la place publique et l’y étrangla.

Jacques. Je suis enchanté de cela. J’aime beaucoup ce démon-là ; il est juste, au moins.

Grand’mère, souriant. Cher enfant, je crois que ce démon ne mérite pas tes éloges. Le démon étant l’esprit du mal, ne peut rien faire de juste ni de bien. Il a étranglé Égée, non par esprit de justice, mais comme un bourreau terrible, pour le précipiter en enfer sans lui donner le temps de se repentir.

Stratocle, frère d’Égée, ne voulut pas hériter des biens de ce frère indigne. Il ne voulut même pas toucher à son argent ni à rien de ce qui lui avait appartenu. Il le fit cependant enterrer, mais dans un lieu isolé. Les habitants de Patras furent si épouvantés de cette terrible mort d’Égée, et si touchés du martyre de saint André, qu’ils se firent tous baptiser. Ce fut le 30 novembre que mourut l’Apôtre saint André, sous le règne de Néron. Ses reliques, après avoir été portées à Constantinople, furent transportées à Amalfi, dans le royaume de Naples.

Camille. On m’avait dit, Grand’mère, qu’elles étaient à Rome.

Grand’mère. En effet, sa tête est à Rome, un de ses bras est à Paris, à l’église de Notre-Dame, un de ses pieds est à Aix, en Provence ; d’autres églises ont quelques parcelles de ses membres, mais la plus grande partie de son corps est à Amalfi.

Jeanne. Comme ce martyre de saint André est intéressant ! Grand’mère,

Élisabeth. Moi, j’aime mieux celui de saint Pierre.

Henri. Pourquoi cela ?

Élisabeth. Parce que saint Pierre est le chef des Apôtres, et que tout ce qui vient de lui a un intérêt tout particulier.

Louis. C’est vrai ! Mais avec quel courage saint André a supporté son long martyre !

Grand’mère. Mes chers enfants, tous les Apôtres ont montré la même foi et le même courage, et tous ont souffert avec joie pour l’amour de leur Divin Maître. Ils sont également dignes de notre admiration et de notre respect. Je vais maintenant vous raconter ce qu’on sait de saint Jean, le disciple bien-aimé de Notre-Seigneur.