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Les Actes des Apôtres/61

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LXI

MARTYRE DE SAINT PAUL ; IL APPARAÎT À NÉRON APRÈS AVOIR EU LA TÊTE TRANCHÉE.



Grand’mère. Maintenant que nous avons fini les Actes de saint Pierre, nous allons reprendre les Actes, c’est-à-dire l’histoire de saint Paul, à l’endroit où l’a laissée saint Luc.

Louis. Je crois que saint Paul était arrivé à Rome après avoir fait naufrage.

Grand’mère. Précisément, et grâce à la protection du bon centurion Julius, il fut presque en liberté.

Pierre. En liberté, avec un soldat enchaîné à sa main droite !

Grand’mère. C’est vrai, mais au moins il pouvait demeurer où il voulait, sortir, rentrer quand il voulait, recevoir qui il voulait, etc., et surtout prêcher librement la foi.

Henriette. Grand’mère, comment faisaient les Apôtres pour vivre ? ils n’avaient pas un sou, et pourtant il fallait bien manger et se vêtir.

Grand’mère. Les fidèles riches avaient soin de leur donner le nécessaire ; dans ce temps-là, les Chrétiens riches n’étaient pas égoïstes et indifférents pour le service de Dieu, comme le sont malheureusement beaucoup aujourd’hui ; ils donnaient beaucoup et ils avaient soin de pourvoir aux nécessités des prêtres et des pauvres.

Madeleine. Mais à présent, Grand’mère, il me semble qu’on donne beaucoup.

Grand’mère. Non, chère petite. Les petites fortunes donnent plus que les grandes ; mais généralement on donne très-peu, trop peu en proportion de ce que l’on a.

Élisabeth. Et quelle est la proportion dans laquelle on doit donner, Grand’mère ?

Grand’mère. C’est assez difficile à déterminer, chère petite ; pourtant il y avait jadis une règle établie ou plutôt conseillée par l’Église, qui était de donner pour les choses de bienfaisance, le dixième de son revenu ; on ne l’observe plus maintenant ; dans les temps anciens, tout le monde y obéissait. Au temps actuel, il y a des familles qui vivent de leur travail et qui ne pourraient pas donner le dixième de leur revenu. Tu penses qu’un ouvrier qui gagne six ou huit cents francs par an, et qui a une femme et des enfants à nourrir, ne peut pas prendre là-dessus soixante à quatre-vingts francs, sous peine de manquer de pain ou de vêtements ; il donnera beaucoup en donnant dix francs ; tandis que l’homme qui a quatre-vingt mille francs de revenu ne donne pas assez en en donnant huit mille, et celui qui a quatre ou cinq cent mille francs de revenu ne donne pas assez en donnant cent mille francs.

Mais pour en revenir à saint Paul, lui et les Chrétiens pauvres vivaient de ce que leur donnaient les riches. Dans ce temps de véritable fraternité, les pauvres ne craignaient pas d’être repoussés ; les riches venaient au-devant de leurs besoins ; ils envoyaient à la recherche des nécessiteux, et ils ne se contentaient pas de leur envoyer une aumône, ils continuaient à Les secourir sans jamais se lasser. Au reste, les pauvres comme saint Paul n’abusaient pas de la générosité de leurs frères ; ils vivaient de très-peu et ils étaient pauvrement vêtus.

Saint Paul était, comme nous l’avons vu, logé dans une maison qui est maintenant une église souterraine. Il y resta deux ans. Au bout de ce temps on lui rendit la liberté ; il en profita pour faire de nouveaux voyages et fonder de nouvelles Églises. Plusieurs auteurs anciens, entre autres saint Jean Chrysostôme, croient qu’il a été en Espagne, comme il en avait témoigné le désir, et enfin en France, où il fonda, croit-on, les Églises d’Arles, d’Avignon, de Vienne et de Narbonne »

Valentine. Comment ! il a été à Vienne ? Mais ce n’est pas en France.

Grand’mère. Vienne, capitale de l’Autriche, n’est pas en France, mais Vienne en Dauphiné est dans le midi de la France et pas éloigné de ces autres Églises établies par saint Paul.

Il resta absent pendant huit ans, après lesquels il revint à Rome où régnait le cruel Néron. Saint Paul réussit à convertir plusieurs personnes d’un rang élevé ; ce fut alors que Néron le fit saisir et jeter dans la prison Mamertine où était déjà saint Pierre. Ils en furent retirés ensemble le vingt-neuf juin pour être exécutés, selon la condamnation que venait de prononcer Néron au retour de son voyage à Antioche.

Les soldats emmenèrent les Apôtres, mais quand le peuple vit qu’on les menait au supplice, il se fit un grand tumulte et on se mit à crier qu’il n’y avait que trop de sang chrétien répandu déjà. Les soldats, forcés de ramener leurs prisonniers, firent comparaître saint Paul devant Néron. Celui-ci, furieux de le voir encore vivant, s’écria :

« Qu’on enlève, qu’on fasse disparaître de la terre ce malfaiteur ! C’est lui qui sème le trouble partout. Qu’on lui tranche la tête ! Il est indigne de vivre. »

Paul répondit : « Néron, mon supplice sera court ; mais je vivrai éternellement avec mon Dieu, Jésus-Christ, qui viendra juger le monde. »

Néron, plus furieux encore, dit à ses officiers : « Hâtez-vous de lui trancher la tête, et lui qui croit avoir une vie éternelle, qu’il comprenne que c’est moi qui suis le maître invincible, moi qui l’ai chargé de chaînes et qui triomphe aujourd’hui par sa mort. »

Paul reprit : « Afin que tu saches, ô César, qu’après que ma tête sera tombée sous le fer, je vivrai éternellement pour mon invincible Maître, et que toi, qui te crois vainqueur, tu n’es réellement que le vaincu, je t’apparaîtrai vivant après mon supplice, et tu pourras connaître que la vie et la mort dépendent de Jésus-Christ mon Seigneur. Car à lui appartient tout pouvoir et lui seul est le Roi invincible pour l’éternité. »

Après ces paroles, saint Paul fut emmené et réuni à saint Pierre pour marcher avec lui au supplice. En route, les officiers de Néron, qui s’appelaient Longin, Mégiste et Aceste, interrogèrent Paul sur le Roi dont il parlait. Saint Paul leur parla avec tant de force et d’éloquence, que leurs cœurs furent touchés ; ils crurent en Jésus-Christ et ils supplièrent Paul de les recevoir comme chrétiens, pour échapper aux flammes de l’enfer et partager sa gloire.

« Père, nous te rendrons à la liberté, dirent-ils, et nous t’obéirons et te suivrons partout jusqu’à (a mort.

— Mes frères, répondit Paul, je ne suis pas un déserteur de l’armée de mon Seigneur Jésus-Christ, mais un soldat soumis à ses lois. S’il ne s’agissait que de mourir sans arriver par la mort à la vie et à la gloire éternelles, j’accepterais votre offre de me rendre à la liberté ; mais, après tous les travaux que j’ai soufferts avec joie, il me reste à recevoir la couronne de la victoire, des mains de celui à qui j’ai donné ma foi. J’ai l’assurance que je vais à lui et que je viendrai avec lui lorsqu’il apparaîtra dans la gloire et la splendeur du Père et des Anges, pour juger le monde. C’est pourquoi je méprise la mort, et je ne puis écouter le conseil que vous me donnez de fuir. »

Alors les officiers lui dirent en pleurant :

« Que ferons-nous donc ? Et si tu meurs, comment vivrons-nous ? Et comment pourrons-nous parvenir à celui dont tu veux nous faire adopter la foi ? »

Jeanne. Ces pauvres gens ! Ils me font pitié. Comment saint Paul ne les baptise-t-il pas tout de suite ? Il ne leur répond même pas sur ce qu’ils lui demandent.

Grand’mère. Chère petite, les soldats qui accompagnaient saint Paul ne lui auraient pas permis de s’arrêter, et surtout pour une cérémonie chrétienne ; ensuite il n’y avait pas d’eau pour baptiser, le long du chemin que suivait saint Paul ; enfin, en baptisant ces trois officiers, devant les soldats et devant la foule rassemblée pour être témoins de son martyre, il les eût livrés aux bourreaux et à la mort. Tu verras tout à l’heure que non-seulement il leur répond quand il voit que leur foi est sincère, mais qu’il leur indique le moyen de recevoir le baptême immédiatement.

Avant que saint Paul ait pu leur répondre, deux officiers envoyés par Néron accoururent pour voir si Paul était exécuté. Le trouvant encore en vie, ils le poussèrent et le traînèrent rudement pour pouvoir retourner au plus vite annoncer sa mort à César. Une grande foule de peuple suivait l’Apôtre.

Quand ils furent arrivés aux portes de la ville, une noble dame romaine nommée Plautille, très-attachée aux Apôtres Pierre et Paul, et pleine de foi, se présenta à saint Paul, et lui demanda avec instance et avec larmes de prier pour elle. Paul lui dit :

« Va, Plautille, fille du salut éternel ; prête-moi le voile qui couvre ta tête, et retire-toi un peu à l’écart, à cause de la foule. Tu m’attendras jusqu’à ce que je revienne vers toi, et que je te rende ce voile que je demande à ta charité. Il servira de bandeau pour me couvrir les yeux ; après quoi je le remettrai à ta pieuse tendresse comme un gage de mon amour pour le nom du Christ, quand je monterai vers lui. »

Plautille lui présenta aussitôt ce voile malgré les insultes des deux officiers envoyés par Néron, qui lui disaient : « Comment peux-tu croire un magicien et un imposteur ! Et pourquoi lui donner un voile si précieux ? »

Mais Paul ajouta :

« Ma fille, attends mon retour ; et tout à l’heure, vivant avec Jésus-Christ, je t’apporterai, sur ce même voile, les signes de mon martyre. »

Henri. Comment Plautille a-t-elle eu le courage de parler à saint Paul et de lui donner un voile devant tout le monde ?

Grand’mère. D’abord, rien ne donne du courage comme la foi ; ensuite, en qualité de grande dame romaine, elle était respectée ; les soldats n’osèrent pas la repousser. Enfin, tu remarqueras que saint Paul lui recommande de s’éloigner à cause de la foule.

On était près d’arriver à la place où saint Paul devait avoir la tête tranchée ; Longin, Mégiste et Aceste redoublaient courageusement leurs instances et demandaient comment ils pouvaient arriver à la véritable vie.

« Mes enfants et mes frères, répondit saint Paul, lorsque le glaive aura tranché ma tête et que vous et les autres vous serez retirés, des Chrétiens fidèles viendront enlever mon corps. Vous remarquerez le lieu de ma sépulture, vous y viendrez demain de grand matin et vous y trouverez deux hommes en prières, Tite et Luc. Vous leur direz pourquoi je vous ai envoyés, et ils vous donneront le baptême du salut en Notre-Seigneur. Alors vous croirez, et lorsque vous aurez été plongés dans la fontaine de salut, vos péchés seront effacés. »

En parlant ainsi, ils arrivèrent au lieu du supplice. Là, se tournant vers le côté où se lève le soleil, et levant les mains au ciel, Paul rendit grâces au Seigneur. Il pria longtemps à haute voix, en langue hébraïque, et pleura beaucoup.

Louis. Pourquoi pleurait-il, puisqu’il savait qu’il allait dans le Ciel ?

Grand’mère. Il pleurait d’émotion et de reconnaissance pour lui-même, et de compassion pour l’Église qu’il laissait dans une si terrible persécution.

Henriette. Comment les soldats de Néron, qui étaient si pressés, lui permirent-ils de prier longtemps ?

Grand’mère. Parce que, pendant qu’il priait, les bourreaux préparaient ce qui était nécessaire pour l’exécution.

Quand saint Paul eut fini sa prière, il dit adieu à ses frères et les bénit. Puis il se banda lui-même les yeux avec le voile de Plautille ; il se mit à genoux et présenta le cou au bourreau. Celui-ci, élevant les bras, brandit son glaive et abattit à ses pieds, d’un seul coup, la tête sacrée de l’Apôtre.

Quand la tête fut détachée du corps, on dit que la bouche répéta encore en hébreu, d’une voix claire, le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On dit aussi que la tête bondit trois fois en roulant et qu’immédiatement trois fontaines jaillirent de terre en ce même lieu. Cette tradition est très-ancienne dans l’Église de Rome. À la place où saint Paul a subi le martyre il y a une église appelée : Saint Paul aux trois Fontaines.

Jacques. Et le voile de Plautille, le lui a-t-on rendu ?

Grand’mère. Quelques personnes voulurent l’enlever, mais on ne le trouva plus.

Louis. Qu’est-ce qu’il était devenu ?

Grand’mère. Tu vas voir. Les officiers que Néron avait envoyés pour hâter l’exécution, trouvèrent, en rentrant à Rome, Plautille, qui louait et glorifiait Dieu de la faveur qu’elle venait de recevoir du saint Apôtre. Ils lui demandèrent, en se moquant d’elle, pourquoi elle ne couvrait pas sa tête du voile qu’elle avait prêté à Paul. Plautille leur répondit avec dignité :

« Hommes vains et misérables, qui ne voulez pas croire même ce que vos yeux ont vu, ce que vos mains ont touché ! Je l’ai ce même voile que je lui ai donné ! Arrosé du sang de ce martyr, je le garde comme un trésor. Car Paul lui-même est venu du Ciel, accompagné d’une foule innombrable de Saints, vêtus de robes d’une éclatante blancheur. En me le remettant de sa main, il m’a remercié de ce signe d’attachement que je lui avais donné et il m’a dit :

« Sur la terre, ô Plautille, tu m’as assisté ; et moi, en retour, je serai ton guide et ton appui, dans la route de ce royaume céleste où tu vas entrer. »

Alors Plautille tira de son sein le voile rougi du sang de Paul, et le montra aux officiers. Ceux-ci, saisis d’une grande frayeur, s’enfuirent et se hâtèrent d’annoncer à César ce qu’ils avaient vu et entendu.

À ce récit, Néron frappé, lui aussi, de stupeur, réunit ses philosophes, ses favoris, ses conseillers, ses ministres et tous les sénateurs qu’on put rassembler. Il les interrogeait et les pressait de questions auxquelles ils ne pouvaient répondre. La crainte, la terreur avaient bouleversé ses sens, quand tout à coup, vers la neuvième heure, qui est pour nous trois heures de l’après-midi, les portes de la salle où ils se trouvaient tous réunis, étant fermées, saint Paul apparut glorieux au milieu d’eux, et se tenant devant César :

« César Néron, lui dit-il, reconnais-moi. Je suis Paul, le soldat du Roi éternel et invincible. Et maintenant, malheureux Prince, sache que je ne suis pas mort, mais que je vis pour mon Dieu. Quant à toi, encore un peu de temps, et d’affreux malheurs vont te frapper ; et ensuite le plus grand des supplices, la mort éternelle t’est réservée, parce que, ajoutant des crimes à tant d’autres crimes, tu as injustement versé par torrents le sang des justes. »

Après ces paroles, Paul disparut. Néron était dans une terreur épouvantable. Tout hors de lui-même, il ne savait quel parti prendre. Enfin, suivant le conseil de ses amis, il rendit plus tard la liberté à quelques malheureux Chrétiens qui étaient encore en prison.

Jacques. À la bonne heure ! Ces pauvres gens du moins ont été sauvés du martyre.

Élisabeth. Eh bien ! je crois que c’eût été plus heureux s’ils avaient été martyrisés.

Henri. Pourquoi donc ? C’est terrible d’être martyrisé.

Élisabeth. Oui, terrible pendant quelques heures ; mais après, quel bonheur de se trouver dans le Ciel avec la Sainte-Vierge, avec les Anges, et tous les Saints, pour toujours, toujours ! N’est-ce pas, Grand’mère ?

Grand’mère. C’est vrai, chère enfant ; mais n’est pas martyr qui veut. La vie comme la mort est un bienfait pour ceux qui aiment Dieu. Redevenant libres, ces Chrétiens ont sans doute vécu saintement et ont converti d’autres personnes. Ainsi il faut se réjouir de leur délivrance.

Le lendemain, de grand matin, les trois officiers, Longin, Mégiste et Aceste, vinrent au tombeau, comme le leur avait ordonné l’Apôtre. Ils y trouvèrent les deux hommes en prières et Paul debout au milieu d’eux. À cette vue, saisis d’admiration et de crainte, ils n’osaient approcher. En même temps, saint Tite et saint Luc, sortant de l’extase de leur prière…

Armand. Qu’est-ce que c’est : extase ?

Grand’mère. Je t’ai déjà expliqué que l’extase est un état extraordinaire pendant lequel on ne sait où on est ; on n’entend pas, on ne voit pas ce qui se passe autour de soi. Les grands Saints sont sujets à ces extases, et se sentent comme transportés dans le Ciel près de Dieu, de la Sainte-Vierge et des Anges.

Saint Tite et saint Luc, revenant donc à eux, reconnurent les officiers qui avaient assisté au supplice de Paul. Effrayés à leur tour, ils commencèrent à fuir, et saint Paul disparut.

Alors les officiers leur crièrent : « Bienheureux hommes de Dieu, cessez de craindre ! Nous ne venons pas ici pour vous poursuivre et pour vous faire mourir ; nous venons chercher la foi et avec elle l’eau du baptême qui doit nous ouvrir la vie éternelle comme nous l’a promis le grand Docteur Paul, que nous avons vu tout à l’heure debout et priant avec vous, »

À ces mots, Tite et Luc, remplis d’une grande joie, s’arrêtèrent et leur imposèrent les mains. Et le soir, après les avoir fait jeûner toute la journée, ils les baptisèrent au nom du Seigneur, Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

Voilà tout ce qu’on sait du martyre de saint Paul, qui eut lieu pendant la première grande persécution générale, sous le règne du cruel et abominable Néron.

Je vais maintenant vous raconter ce qu’on sait de la vie et de la mort des autres Apôtres, grâce aux recherches et aux écrits des auteurs approuvés par l’Église.