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Les Amours (1553)/Poème 211

La bibliothèque libre.


Les amours de P. de Ronsard Vandomois, nouvellement augmentées par lui, & commentées par Marc Antoine de Muret. Plus quelques odes de l'auteur, non encor imprimées
chez la veuve Maurice de la Porte (p. 235-237).
CHANSON.

Petite Nymfe folastre,
Nymfette que j'idolatre,
Ma mignonne, dont les yeus
Logent mon pis & mon mieus :
Ma doucette, ma sucrée,
Ma Grace, ma Cytherée,
Tu me dois pour m'apaiser
Mile fois le jour baiser.
Avance mon cartier, belle,
Ma tourtre,
Avance moi le cartier
De mon paiment tout entier.

Demeure, où fuis tu, Maitresse?
Le desir qui trop me presse,
Ne sauroit arrester tant,
S'il n'a son paiment contant.
Revien, revien, mignonnette,
Mon dous miel, ma violete,
Mon œil, mon cœur, mes amours,
Ma cruëlle, qui toujours
Treuves quelque mignardise,
Qui d'une douce faintise
Peu à peu mes forces fond,
Comme on voit dessus un mont
S'écouler la nege blanche :
Ou comme la rose franche
Pert le pourpre de son teint
Du vent de la Bise atteint.
Où fuis-tu, mon âmelette,
Mon diamant, ma perlete :
Las! revien, mon sucre dous,
Sur mon sein, sur mes genous,
Et de cent baisers apaise
De mon coeur la chaude braise.
Donne m'en bec contre bec,
Or un moite, ores un sec,
Or un babillard, & ores
Un qui soit plus long encores
Que ceus des pigeons mignards,
Couple à couple fretillars.
Ha là! ma doulce Guerriere,

Tire un peu ta bouche arriere,
Le dernier baiser donné
A tellement étonné
De mile douceurs, ma vie,
Qu'il me l'a presque ravie,
Et m'a fait voir à demi
Le Nautonnier ennemi,
Et les pleines où Catulle,
Et les rives où Tibulle,
Pas à pas se promenant,
Vont encore maintenant
De leur[s] bouchettes blémies,
Rebaisotans leurs amies.