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Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/02

La bibliothèque libre.
Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 7-12).


ÉLÉGIE-PRÉFACE

10e ÉLÉGIE DU 4e LIVRE DES TRISTES

OVIDE À LA POSTÉRITÉ

Des amours doux poète, en moi pour juger l’homme,
Sachez ma vie, âges futurs.
Sulmone aux fraîches eaux m’a vu naître en ses murs,
À neuf fois dix milles de Rome.
C’était, pour préciser, quand un même trépas
Des deux Consuls fut le partage.
Je suis, non par faveur, mais par droit d’héritage,
Chevalier, si l’on en fait cas.
Je n’étais pas l’aîné : dans l’existence un frère
D’un an précéda mon destin.
Le même astre éclaira notre premier matin ;
Deux pains fêtaient ce jour prospère.

C’est celui des cinq jours à Pallas consacrés

Qui prélude à des Jeux féroces.
Mon père nous donna dans Rome, enfants précoces,
Les maîtres les plus révérés.
De bonne heure mon frère opta pour l’Éloquence ;
Il semblait né grand orateur.
Des mystères sacrés, moi, jeune adorateur,
J’allais chez la Muse en vacance.
Or, mon père souvent : « Pourquoi de vains essais ?
Homère est mort pauvre lui-même. »
Ému de ses discours, laissant là tout poème,
À la prose je m’efforçais.
Mais les mots s’enchaînaient en spondée, en dactyle :
Toute ma prose était des vers.
Cependant aux étés s’ajoutant les hivers,
Nous prîmes la robe virile.
Paré du laticlave, à poursuivre son but
Chacun de nous resta fidèle.
Mon frère avait vingt ans. Il meurt. Perte cruelle !
En moi quelque chose mourut.
Alors ayant brigué les honneurs de mon âge,
J’eus la charge de Triumvir.
Demeurait le Sénat : c’eût été m’asservir ;
Je m’en tins au premier suffrage.
Mon corps et mon esprit craignaient trop les labeurs
Et les coûteuses renommées.
Du reste les neuf Sœurs, toujours mes bien-aimées,
M’offraient de tranquilles bonheurs.


De ce temps je connus et chéris les poètes ;
Tous me semblaient des dieux nouveaux.
Souvent le vieux Macer me lut et ses « Oiseaux »
Et ses « Serpents » et ses « Recettes ».
Souvent Properce encor, mon ami chaleureux,
Me disait un chant érotique.
Bassus, maître en iambe, et le divin Pontique.
À mon bras se plaisaient tous deux.
Horace sur son luth, des Grecs heureux émule,
Nous ravit des sons les plus doux.
Je vis bien peu Virgile, et le destin jaloux
Me prit trop tôt mon cher Tibulle
Devancier de Properce, il te suivait, Gallus :
Je parus donc le quatrième.
J’applaudis mes aînés, on m’accueillit de même,
Et mes vers furent répandus.

Ma barbe était rasée une ou deux fois à peine,
Lorsque en public je débutai.
Sous le nom de Corinne, une insigne beauté
Éveillait mon cœur et ma veine.
J’ai composé beaucoup, mais les écrits douteux
Sont allés s’épurer aux flammes.
D’autres, faits pour charmer, banni, nous les brûlâmes,
Courroucé d’un art désastreux.

Tendre, ouvert à l’amour, la plus petite chose
Pouvait m’exalter aisément.

Tel que j’étais alors, mon vif tempérament

D’aucun scandale ne fut cause.
Presque enfant, j’épousai femme indigne de moi,
Union triste et sans durée.
L’épouse qui suivit, bien que considérée,
Sut peu de temps garder ma foi.
La dernière est ce cœur qui, jusqu’en la vieillesse,
Soutient le poids de mes revers.,
Ma fille m’a rendu, par deux maris divers,
Deux fois grand-père en sa jeunesse.
À quatre-vingt-dix ans, mon vieux père acheva
Aux doigts des Parques sa carrière.
Je le pleurai comme il m’eût pleuré. De ma mère
Bientôt le bûcher s’éleva.
Ah ! bienheureux tous deux, morts à temps, sans alarmes,
Ils n’ont pas vu mon sort affreux.
Heureux moi-même aussi d’être seul malheureux
Et de leur épargner des larmes.
S’il reste cependant des morts plus qu’un vain nom,
Si du bûcher s’envole une ombre,
Ombres de mes parents, si mon châtiment sombre,
Vous frappant, émut l’Achéron,
Sachez qu’il eut pour cause, et certe il faut me croire,
Non un crime, mais une erreur.
Adieu, Mânes chéris !.. — Je retourne au lecteur
Qui veut la fin de cette histoire.
Déjà la main du Temps chassant mes plus beaux jours,

De cheveux blancs semait ma tête,

Et, depuis mon berceau, dans Olympie en fête
Les Jeux dix fois avaient eu cours ;
Quand César offensé me relégua vers Tome,
Sur la gauche du Pont-Euxin.
D’en conter les motifs je n’ai pas le dessein :
Ils sont assez connus de Rome.
Amis et serviteurs, dirai-je vos méfaits,
Plus durs pour moi que ma disgrâce ?
Mon âme s’indigna de faiblir, et, tenace,
Sans succomber porta le faix.
Oubliant et ma toge et les loisirs paisibles,
Je ceignis des glaives nouveaux,
Et sur terre et sur mer j’endurai plus de maux
Qu’il n’est au ciel d’astres visibles,
Quels détours !.. J’abordai chez le Sarmate enfin,
Voisin du Gète à l’arc perfide.
Ici, quoique étourdi d’un fracas homicide,
La lyre adoucit mon destin ;
Et bien qu’à mes accents personne ne réponde,
Je trompe ainsi l’ennui du jour.
Quand donc j’existe encore et sens l’exil moins lourd,
Quand mon angoisse est moins profonde,
Muse, c’est grâce à toi ! Tu viens sécher mes yeux,
Tu viens distraire mes pensées.
Ô compagne, ô cher guide, à ces rives glacées
Par toi j’échappe et touche aux cieux !
Vivant, ton amitié m’a permis cette gloire

Dont investit la seule Mort.

L’Envie aux noms présents court s’attaquer d’abord ;
Le mien esquive sa dent noire.
Car dans ce siècle, riche en poètes fameux,
Nul Zoïle ne me ravale.
Lorsque avant moi j’en place, aux meilleurs on m’égale ;
Le monde entier me lit comme eux.
Va, si j’augure bien, en toi je puis descendre, -
Terre, aussitôt je renaîtrai.
Que la faveur publique ou l’art m’ait illustré,
Merci, Lecteurs, d’un concours tendre.