Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/23

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Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 73-77).

ÉLÉGIE V

Reproches à Corinne, qui, lui présent et feignant
de dormir, aurait donné à un convive des signes non douteux
de son amour.


L’Amour ne vaut pas tant, — fuis, malin cavaleur ! —
Pour que je songe au suicide ;
Car j’y songe, en pesant tes torts, beauté perfide,
Née à jamais pour mon malheur !
Je n’ai point découvert ton crime en tes tablettes,
Ni dans d’adultères cadeaux.
Puissé-je me tromper, en t’accusant à faux !
Hélas ! mes preuves sont complètes !

Heureux qui peut défendre un objet adoré,
Croire sa belle sur parole !
Il est de bronze, et suit une pente trop folle,
Le jaloux de sang altéré.
Mais, feignant de dormir, quand tu me croyais ivre,
J’ai vu vos forfaits de mes yeux :
J’ai vu de vos sourcils vibrer les arcs fiévreux ;
Vos deux fronts parlaient comme un livre.
Ton œil parlait aussi : sur la table, le vin
Traçait des mots aidés du geste.
Malgré tous vos efforts, j’ai lu leur sens funeste ;
J’ai tout compris, nier est vain.

Déjà s’étaient levés la plupart des convives ;
Restaient deux enfants assoupis :
Je vous vis échanger, lors, des baisers hardis,
En croisant vos langues furtives ;
Non ces baisers que donne un bon frère à sa sœur,
Mais ceux que darde une Ariane ;
Non les chastes baisers d’Apollon à Diane,
Mais ceux dont Mars fut ravisseur.
Je criai : « Que fais-tu ? Ma joie, à qui va-t-elle ?
Sur mes droits j’étendrai mes mains.
Tu n’appartiens qu’à moi, je t’appartiens, cruelle ;
Pourquoi ce tiers dans nos terrains ? »
En ces mots s’exhala mon dépit : son visage
Par la honte fut coloré.
Ainsi rougit l’Aurore, en son char empourpré,

Ou la vierge qu’Hymen engage.
Des roses, près des lys, tel brille l’incarnat ;
Telle est Phébé qu’un sorcier prie ;
Tel l’ivoire d’Assur qu’on teint en Méonie,
Pour prévenir un jaune éclat.

D’une de ces rougeurs s’embrasa la coupable ;
Elle embellit encor vraiment.
Ses yeux miraient le sol, d’un air humble et charmant :
Triste, elle était plus adorable.
Son chignon parfumé, sa joue au fin duvet
À ma rage à peine échappèrent ;
Mais, en la contemplant, mes bras nerveux tombèrent ;
Sa même beauté la sauvait.
J’implorai d’elle, moi, qui l’aurais mise en poudre,
Des baisers non moins sensuels :
Elle sourit, et m’en fît des meilleurs, de tels
Qu’ils dompteraient Zeus et sa foudre.
J’ai peur que mon rival n’en ait pris d’aussi chauds ;
Je ne veux pas qu’ils soient les mêmes.
Corinne a dépassé, dans ceux-ci, mes doux thèmes ;
Elle sait des baisers nouveaux.
Tant d’art m’effraye : hélas ! nos langues frémissantes
S’engloutirent pour mon tourment !
Un point m’afflige encore, et ce n’est seulement
Ce cas d’étreintes ravissantes ;
Mais au lit seul s’enseigne un tel raffinement :
Quel grand maître en a l’agrément ?…


ÉLÉGIE VI

Sur la mort du perroquet qu’il avait donné à sa maîtresse.


Ce doux jaseur indien, ce perroquet modèle
Est mort ! À son deuil soyez prompts,
Oiseaux pieux ; venez, battez vos flancs de l’aile,
De l’ongle ensanglantez vos fronts !
En pleureurs, arrachez la plume qui vous pare,
En sombres buccins, gémissez !
Philomèle, pourquoi du bourreau de l’Ismare
Te plaindre ? tes maux sont passés.

D’un oiseau sans pareil pleure avant tout la tombe ;
Triste est le cas d’Itys, mais vieux.
Vous, libres fils des airs, toi, sa chère colombe,
Poussez vos plaintes jusqu’aux cieux.
Il se montra sans cesse un galant camarade ;
Autant que lui dura sa foi :
Perroquet, ce que fut Oreste pour Pylade,
La colombe le fut pour toi.
Mais de quoi t’ont servi cet amour, ton plumage,
Tes sons, babil ingénieux ?
De Corinne, à te voir, que servit le suffrage ?
Tu n’es plus, oiseau glorieux !
Ton vert éclat pouvait éclipser l’émeraude,
La pourpre ornait ton bec épais ;
Nul rival, de ta voix n’égalait la méthode,
Tellement bien tu grasseyais.
La mort t’a pris, jalouse ; ennemi des batailles,
Tu vivais parleur et mignard.
Dans les guerres l’on voit se délecter les cailles,
Peut-être ainsi mourir fort tard.
Un rien te remplissait ; ta fureur oratoire
Des longs repas sut t’affranchir :
Une noix, c’était tout ; deux gouttes d’eau pour boire,
Puis, trois pavots pour t’endormir.

Ils vivent, les vautours, écumeurs de l’espace,
Les sombres geais, les durs milans ;
À Minerve en horreur, la corneille rapace