Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/27

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Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 83-85).

ÉLÉGIE IX

Il exhorte Cupidon à ne pas décocher tous ses traits
contre lui seul.


Ô Cupidon, archer qui me vises sans cesse,
Enfant hostile à mon repos,
Que t’a fait un soldat formé sous tes drapeaux ?
À leur ombre, ton arc me blesse.
Pourquoi brûler, percer tes amis, entre tous ?
Vaincre un rebelle est l’excellence.
Quoi donc ! ne vit-on pas Achille avec sa lance
De sa lance guérir les coups ?

Laissant le gibier pris, le chasseur ubiquiste
Aux fuyards attache ses pas.
Nous, ton peuple, éprouvons la vigueur de ton bras,
Paresseux « pour qui te résiste.
Que te sert d’émousser tes flèches sur mes os ?
L’amour m’assimile aux squelettes.
Sans amour il est tant de garçons, de fillettes :
Vaincs-les, tes lauriers seront beaux.
En ne déployant pas ses forces hors du Tibre,
Rome restait un petit bourg.
Le vétéran lassé se dédie au labour ;
Au vert bondit le coursier libre.
Un port vaste reçoit le vaisseau ballotté ;
Les lutteurs vieillis s’affranchissent :
Et moi, que les baisers depuis longtemps pâlissent,
Je n’aurais pas ma liberté !

Mais qu’un dieu me l’accorde, et je reprends ma chaîne,
Tant ce servage a de douceur. !
Suis-je repu d’amour et veuf de toute ardeur,
Je ne sais quel vide m’entraîne.
Tel l’écuyer qu’au gouffre emporte un dur cheval
Dont il saccade en vain la bride ;
Tel l’esquif atterri qu’à la plaine liquide
Rejette un coup de vent fatal :
Au souffle ardent d’Éros ainsi partout je roule,
Et l’archer blond me court après.
Frappe, enfant : désarmé, mon corps s’offre à tes traits ;

Qu’ici ta main les plonge en foule.
Voilà mon sein, tes dards y vont spontanément ;
Mieux que ton carquois il les loge…
Malheureux le cœur mou qui son sommeil proroge,
Disant le somme un agrément I
Ô fou ! qu’est-il, sinon de la mort une image ?
Le sort t’en garde un éternel.
De mon bien, moi, je veux maint serment solennel :
L’espoir au moins flatte, encourage.
Je veux que l’on caresse et gronde tour à tour,
Qu’on me repousse et qu’on se livre.
Si Mars est inconstant, c’est que son fils l’enivre ;
Mars t’imite, ô volage Amour.
Ton esprit est léger cent fois plus que tes ailes ;
Tu donnes, reprends les plaisirs.
Mais si Vénus et toi secondez mes désirs,
Toujours règne en mes sens fidèles.
Dompte toutes beautés : et puceaux et pucelles
Te consacreront leurs loisirs.