Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/45

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Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 139-142).

ÉLÉGIE VIII

À sa maîtresse, qui lui avait préféré un amant
plus riche qu’il n’était.


Et qui peut aux beaux-arts s’intéresser encor,
Aux tendres vers croire un mérite ?
Le génie autrefois valait plus que de l’or ;
Maintenant le pauvre est un Scythe.
Lorsque à ma belle amie ont plu mes doux recueils,
Pour moi leur chance reste vaine.
On me loue, et, loué, sa porte est sans accueils.
J’erre confus, malgré ma veine.

Voici qu’on me préfère un enrichi des camps,
Chevalier repu de carnage.
Peux-tu bien l’entourer, folle, de tes bras blancs,
Tomber dans les siens, ô volage ?
Écoute : hier un casque ornait son front brutal,
Un fer, sa taille qui t’enchante,
Le bouclier, sa gauche ou l’anneau d’or sied mal ;
Et sa main droite était sanglante.
Cette homicide main ne t’épouvante pas ?
Que devient ta délicatesse ?
Compte ces bleus sillons, traces d’anciens combats ;
Son sang lui conquit sa richesse.
Peut-être il te dira ses meurtres tout au long :
Et tu l’étreins, ô femme avare ?
Moi, sacerdote pur des Muses, d’Apollon,
Dehors j’use en vain ma cithare.
Apprenez, gens d’esprit, non pas nos arts trompeurs,
Mais l’art féroce de la guerre.
Ralliez-vous à Mars, au lieu d’être aux neuf Sœurs ;
Sois primipile, bon Homère !
Jupiter, voyant l’or régner en souverain,
Par l’or corrompit une vierge.
Tant qu’il ne brilla point, tout demeura d’airain,
Portes et tour, fille et concierge.
Mais l’amoureux revint sous forme de cadeau :
La belle alors défit sa robe…

Quand Saturne des cieux supportait le fardeau,

Nul métal ne souillait ce globe.
Or, argent, cuivre et fer dormaient aux profondeurs ;
De trésors se passaient nos pères.
Pourtant l’on avait mieux : moissons sans laboureurs,
Fruits spontanés, troncs mellifères.
Le coutre, en ce temps-là, ne fendait pas le sol ;
Point d’arpenteur ni d’enclos morne.
Sous la rame les nefs ne prenaient point leur vol :
L’homme acceptait la mer pour borne.
Mortel, ah ! contre toi tu fus industrieux ;
Tu te forgeas des maux sans nombre.
À quoi bon tes cités aux murs impérieux ?
Que sert dans tes mains ce fer sombre ?
La terre t’eût suffi : pourquoi risquer la mer ?
Veux-tu là-haut des champs plus amples ?
Oui, tu prétends au ciel ! Quirinus et Liber,
Alcide et César ont leurs temples.

Nous arrachons du sol de l’or, au lieu de fruits ;
Sanguinaire, un soldat possède.
Les grands sont honorés, les pauvres éconduits ;
D’où juge fier, chevalier raide.
Eh ! qu’ils gouvernent tout, Forum et Champ de Mars,
Que guerre ou paix par eux s’impose,
Pourvu que nos amours soient libres des richards
Et que le pauvre ait quelque chose !

Mais la femme aujourd’hui, fût-elle d’un vieux sang,

De celui qui donne est l’esclave.
Moi, son gardien me chasse… on craint l’époux absent ;
Si je débourse, plus d’entrave.
Ô ciel, si ta pitié venge un cœur impuissant,
Supprime cet or qui déprave !