Les Amours de Lancelot du Lac/13

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 38-39).


XIII


Un valet, frère de l’un des chevaliers de la Table ronde nommé Aiglain des Vaux, avait assisté à la prise de la Douloureuse Garde. Pensant que le roi Artus serait bien aise d’en avoir au plus tôt la nouvelle, il partit entre none et vêpres sur un bon cheval de chasse, et s’en fut battant à Kerléon.

Deux jours plus tard, il se présentait au palais.

— Roi Artus, Dieu te sauve ! Je t’apporte les plus étranges nouvelles qui soient jamais entrées dans ta maison.

— Dites-les donc, bel ami.

— La Douloureuse Garde est conquise : j’ai vu un chevalier passer les deux portes par force d’armes.

— Valet, ne dis point cela ; ce n’est pas vrai.

— Sire, pendez-moi, si je mens.

Là-dessus entra Aiglain qui, voyant son frère à genoux devant le roi, lui dit :

— Beau frère, sois le bienvenu.

— Si c’est votre frère, Aiglain, il faut donc le croire : fin cœur ne peut mentir. Quelles armes portait ce chevalier ?

— Blanches, sire, comme son cheval. Il tue plus d’hommes à lui seul qu’on n’en pourrait enterrer en deux arpents de terre. Que Dieu ne m’aide si fer ou acier peuvent durer contre son épée !

— Ce doit être le nouveau chevalier que j’ai adoubé à la Saint-Jean. Je partirai pour la Douloureuse Garde demain. Dame, dit le roi à la reine, prenez celles de vos demoiselles que vous préférez, car vous viendrez avec moi.