Les Amours de Lancelot du Lac/12

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 36-37).


XII


Il vit alors venir à sa rencontre une foule de dames, de demoiselles et de bourgeois, qui menaient la plus grande joie du monde et dont l’un lui annonça que Brandus des Îles, le mauvais seigneur de la Douloureuse Garde, venait de s’enfuir au galop de son cheval.

— Ai-je encore à faire quelque chose pour achever l’aventure ? demanda le blanc chevalier.

Sans répondre, ils le menèrent non loin de là, dans un cimetière. La crête du mur d’enceinte était parsemée d’un grand nombre de heaumes et sous chacun d’eux il y avait une tombe, sur laquelle des lettres disaient : Ci-gît Un Tel, et voyez sa tête. Mais il était aussi des tombes que ne surmontait aucun heaume ; on pouvait y lire : Ci-gira Un Tel, et c’était le nom de quelque bon chevalier encore vivant en la terre du roi Artus ou ailleurs. Enfin, au milieu du cimetière s’étendait une grande lame de métal, merveilleusement ouvrée d’or, de pierreries et d’émaux, et dessus étaient gravés ces mots en lettres d’azur.

Cette tombe ne sera levée par main d’homme, sinon de celui qui conquerra la Douloureuse Garde.

Brandus des Îles avait souvent tenté par force ou par engin de desceller cette lame, mais il n’avait jamais pu y réussir. Le blanc chevalier déchiffra l’inscription sans peine, car il savait tant de lettres qu’il pouvait très bien comprendre une écriture ; puis il appuya ses deux mains sur un des côtés de la tombe, et la souleva facilement à un pied plus haut que sa tête. Alors il aperçut d’autres lettres qui disaient :

Ci-gira Lancelot du Lac, le fils du roi Ban de Benoïc.

Et aussitôt il laissa retomber la lame, non sans que Saraide, toutefois, qui était à son côté, eût lu en même temps que lui.

En sortant du cimetière, on le mena dans un palais, petit mais très riche, qui avait été celui de Brandus des Îles ; et là, il fut désarmé et ses blessures soignées par de bons mires. Cependant les gens du château soupiraient en songeant qu’il ne resterait peut-être pas quarante jours parmi eux, et qu’ainsi ne tomberaient pas les enchantements qui nuit et jour les tourmentaient, car ils étaient la proie de terreurs mystérieuses et nul d’entre eux ne vivait toute une heure en paix.