Les Amours de Lancelot du Lac/17

La bibliothèque libre.
Plon-Nourrit et Cie (2p. 50-53).


XVII


Il erra ainsi jusqu’à l’heure de none, qu’il rencontra un valet galopant à toute bride sur un grand cheval de chasse qui semblait exténué.

— Valet, d’où viens-tu si vite ?

— Madame la reine est en prison à la Douloureuse Garde ! Les gens du château jurent que, quoi que fasse le roi Artus, ils ne la délivreront pas avant que le chevalier qui conquit le château ait défait les enchantements. Aussi madame a-t-elle envoyé des messagers par tous les chemins pour le chercher.

— Bel ami, va tôt dire à la reine que le chevalier qui conquit le château sera ce soir auprès d’elle.

— Mais, sire, je n’oserais m’en retourner sans lui avoir parlé. Est-ce vous ?

— Voire ! mais tu me fais dire une vilenie.

Le valet repartit aussi vite que son cheval put aller. Et Lancelot pressa l’allure de ses gens, si bien qu’il atteignit le château à la nuit.

À peine eut-il franchi la porte avec sa compagnie, on la referma derrière eux. La cour était tout illuminée de cierges ardents et de torches : au plus beau jour d’été il ne fait pas plus clair dans les champs qu’il faisait dans cette cour ; grâce à quoi, Lancelot reconnut l’écuyer qu’il avait rencontré l’après-midi.

— Où est madame la reine ?

— Sire, suivez-moi.

Bientôt, ils se trouvèrent au pied de la roche sur laquelle se dressait le logis. Le valet ouvrit une épaisse grille, et, baillant plein poing de chandelles à celui qu’il conduisait :

— Sire, faites de la lumière, dit-il, durant que je referme l’huis.

Mais, comme Lancelot allumait les chandelles, il tira traîtreusement la porte et l’enferma.

Quand il se vit pris ainsi dans un cachot, le chevalier fut dolent, car il pensait bien qu’il n’en sortirait pas à sa guise. La nuit passa cependant. Au matin, une demoiselle d’un grand âge vint lui parler à travers les barreaux.

— Sire chevalier, vous voyez que vous êtes prisonnier : vous ne serez point délivré avant d’avoir juré que vous ferez tomber les enchantements de ce château.

— Madame la reine est-elle en liberté ?

— Depuis longtemps elle est partie d’ici : ce que l’on vous a dit était pour vous attirer. Mais jurez-vous de mettre les gens de ce château en repos ?

Il en fit le serment sur les reliques qu’on apporta derrière la grille. Alors, on lui ouvrit la porte et on lui servit un repas fort bon, dont il usa d’un cœur hardi, car il n’avait rien mangé depuis la veille au matin. Après quoi, on lui dit qu’il devait, soit demeurer quarante jours dans le château, ou bien aller chercher les clés des enchantements.

— Je les irai quérir, dit-il ; mais hâtez-moi ma besogne, car j’ai affaire ailleurs.

Sur-le-champ, on lui donna ses blanches armes et on le mena dans le cimetière, à l’entrée d’un souterrain. Il se signa ; puis, l’épée nue à la main, l’écu devant la poitrine, il entra.