Les Amours de Lancelot du Lac/23

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 70-72).


XXIII


Elle était bonne dame, sage et fort prisée de tous ceux qui la connaissaient. Les gens de sa terre l’aimaient tant que, lorsqu’on leur demandait comment était leur dame, ils répondaient qu’elle était l’émeraude de toutes les autres. Et elle avait fait au chevalier qui s’était rendu à elle une assez douce prison, car elle l’avait enfermé dans une geôle dont les deux fenêtres closes de grilles donnaient sur la salle de son logis, si bien qu’elle lui pouvait parler quand elle voulait, et lui à elle.

C’est ainsi qu’il vit et entendit un jour les envoyés du roi Artus faire à la dame leur message. Et dès qu’ils furent sortis, il la pria de s’approcher de la geôle :

— Dame, j’ai ouï dire que le roi Artus est en ce pays. Je suis un pauvre chevalier ; mais je connais des gens de sa maison qui pourraient m’aider à payer ma rançon.

— Beau sire, je ne vous tiens point par convoitise d’une rançon, mais par justice, car vous m’avez fait un très grand outrage.

— Dame, je ne le puis nier ; mais j’y ai été contraint pour défendre mon honneur. Et si vous vouliez me laisser sortir, vous feriez bien, car j’ai entendu qu’il y aura bataille entre le roi Artus et Galehaut, le fils de la géante, et je vous promettrais sur ma foi de rentrer la nuit en votre prison, sauf mort ou blessure qui empêchât mon corps.

— Je le ferai, si vous me dites votre nom.

— Dame, je ne le puis ; mais je jurerai de vous l’apprendre dès que cela me sera permis.

Ainsi fut-il convenu. Et lorsque le moment fut venu, la dame de Malehaut donna à Lancelot un cheval, avec un écu et des armes vermeilles. En cet équipage il se rendit à l’armée du roi Artus, qui n’était qu’à deux lieues galloises du Puy de Malehaut.