Les Amours de Tristan/Le Miroir enchanté
LE MIROIR ENCHANTÉ.
MARILLE en ſe regardant
Pour ſe conſeiller de ſa grace ;
Met auiourd’huy des feux dans cette glace ;
Et d’vn criſtal commun fait vn miroir ardant.
Ainſi touché d’vn ſoin pareil,
Tous les matins l’Astre du Monde
Lors qu’il ſe leue, en ſe mirant dans l’onde,
Penſe tout estonné voir vn autre Soleil.
Ainſi l’ingrat chaſſeur dompté
Par les ſeuls traits de ſon image ;
Panché ſur l’eau, fit le premier hommage
De ſes nouueaux deſirs à ſa propre beauté.
En ce lieu deux hoſtes des Cieux
Se content vn ſecret myſtere.
Si reuestus des robes de Cithere,
Ce ne ſont deux Amours qui ſe font les doux yeux.
Ces doigts ageançans ces cheueux,
Doux flots où ma raiſon ſe noye,
Ne touchent pas vn ſeul filet de ſoye
Qui ne ſoit le ſujet de plus de dix mille vœux.
Ô Dieux ! que de charmans apas,
Que d’œillets, de lys & de roſes,
Que de clartez, & que d’aimables choſes
Amarille deſtruit en s’eſcartant d’vn pas.
Si par vn magique ſçauoir
On les retenoit dans ce verre,
Le plus grand Roy qui ſoit deſſus la Terre
Voudroit changer ſon Sceptre auecque ce Miroir.