Les Amours de Tristan/Les Desdains D. M. D. M.

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Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 136-139).


LES DESDAINS D. M. D. M.

ODE.



DIANE ſi vous estes belle
Autant que la ſœur du Soleil ;
Voſtre courage eſt tout pareil,
Ie vous treuue auſsi fiere qu’elle.
Encore aima-t’elle autrefois,
Et bien qu’elle errast par les bois
De tant d’auſterité pourueuë ;
Ce cœur außi froid qu’vn glaçon
Fondit à la premiere veuë
Des beautez d’vn ieune garçon.

La nuict, abandonnant ſa Sphere,
Elle va voir vn autre Amy,
Qu’elle tient touſiours endormy
Pour mieux celer ce doux mistere.
Quand le iour la fait deſloger
D’entre mes bras de ce Berger,

Dont ſon ame est ſi fort eſpriſe ;
On la void ſe décolorer,
Moins de crainte d’eſtre ſurpriſe,
Que d’ennuy de ſe retirer.

Mais quelque eſclat qu’ait le merite,
Quoy qu’il ait d’aimable & de doux ;
Il n’eſt point icy bas pour vous
D’Endimion, ny d’Hypolite.
Il n’eſt point pour voſtre beauté
D’aſſez aimable nouueauté
Dans le Ciel ny deſſus la Terre :
Les grands Cœurs & les beaux Eſprits
Qu’enfantent la Paix & la Guerre,
Vous ſont des Objets de meſpris.

Amour, que voſtre beau viſage
À force luy meſme d’aimer,
Ne ſçait plus pour vous enflammer
Quel charme il doit mettre en vſage.
Außi croy-ie obſeruant touſiours
L’air de vos deſdaigneux diſcours
Et la froideur de tous vos geſtes ;
Que s’il offroit deſſus vos pas
Le plus beau de tous les Celestes,
Vous ne le regarderiez pas.

L’autre iour à la promenade
Vos yeux ſe deſtournoient des fleurs,
Refuſant meſmes aux couleurs
La grace de la moindre œillade.
Le chant innoncent des oyſeaux,
Le confus murmure des eaux
Vous ſembloit donner quelque attainte ;
Le bruit des feuilles d’alentour
Glaceoit tout voſtre sang de crainte
Que le vent vous parlaſt d’amour.

Telle eſtoit la Nimphe obstinée
À fuir tout ce qui l’aimoit,
Qu’Apollon iadis reclamoit
Sur les riuages de Penée.
Et telle estoit cette Beauté,
Ce Prodige de cruauté
Que Salamine auoit veu naiſtre :
Et qui peut ſans reſſentiment
Aperceuoir de ſa feneſtre
Le deſeſpoir de ſon Amant.

Mais la mort d’Iphis fut vangée
De cette ame ſans amitié ;
Le Ciel n’en eut point de pitié,
L’ingrate en pierre fut changée.

Craignez donc vn peu ſon couroux,
Pour meſme crime, il peut de vous
Faire quelque roche ou quelqu’arbre.
Mais vos destins ſont arriuez,
Nature a deſia fait de marbre
Tous les membres que vous auez.