Les Androgynes/08

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Albert Méricant (p. 83-89).

VIII

L’influence mauvaise

Fiamette, cette nuit-là, fut une amoureuse triste ; non pas qu’elle doutât d’André, mais il lui semblait que quelque chose avait sombré en son âme, que le poète naïf et tendre avait fait place au sceptique renseigné et pervers. Il éprouvait moins de plaisir à ses cajoleries douces, se montrait exigeant, irritable, presque cruel en ses caprices singuliers. Il ne lui suffisait plus de l’avoir toute, de la bercer dans ses bras comme une grande poupée blonde, d’écouter le cantique fervent de son adoration. Ses curiosités allaient au delà des caresses habituelles, il lui venait le maladif besoin de la faire souffrir pour la sentir mieux à soi. Le fauve frémissait dans l’ombre, l’exquis poète devenait un homme, et, moins, peut-être, un civilisé.

— André, dit-elle, tu ne m’aimes plus comme hier, et, demain, tu ne m’aimeras plus comme aujourd’hui.

— Tu te plains après ce que…

— Oh ! tu m’as fait mal… rien de plus.

En effet, il avait été brutal, sans amour réel, volontaire, compliqué, dédaigneux des habituelles ivresses. Elle retrouvait en lui la vanité méchante des premiers amants et leur besoin d’humilier la femme qui s’est donnée par des regards, des gestes, des expressions de physionomie, plus encore que par des paroles. De son côté — étrange revirement de l’esprit humain — André qui, tout à l’heure, avait follement convoité Fiamette, se disait que l’amour ardent, complet, durable est chose impossible, que les plus beaux jouets se cassent et se ternissent, que les plus brûlants désirs s’éteignent, aussitôt réalisés, qu’il n’y a rien dans rien !… Le levain de haine, qui fermente au cœur de tous les amants, se montrait confusément en lui. Il en voulait presque à sa maîtresse des joies qu’elle lui avait données dans une soumission trop complète. Et ce sentiment, commun à presque tous les hommes, ferait supposer que le grand mépris, qu’au fond ils ont d’eux-mêmes, retombe logiquement sur celles qui les aiment et les admirent.

Tant il est vrai que certaines femmes ne peuvent, dans la vie, compter que sur la constance de l’amant qui les paie, parce que, en pareil cas, le galant court après son argent.

Fiamette pleurait en silence, et le disciple, après avoir remué d’autres pensées mauvaises, s’endormit, le dos tourné à son bonheur.

Il fallut, le lendemain, songer au roman de Jacques : La Volupté esthétique, se plier au genre qu’il avait adopté, broyer de l’étrange à la portée des snobs.

Au bout d’une demi-heure, André faisait couramment du Chozelle, et s’attendrissait de nouveau devant les paupières lasses et les yeux douloureux de Fiamette :

— J’ai été méchant, Miette, pardonne-moi !

Elle l’embrassait gentiment.

— Pourquoi faut-il que je te chérisse davantage après tes injures ?… Les amoureuses ont donc perdu toute dignité !…

— Et la dignité du pardon, la comptes-tu pour rien ?… Dieu n’agit pas autrement avec les pécheurs !…

— Je ne veux plus que tu partes ?…

— L’ai-je jamais voulu ?…

— Dame, tu me disais cette nuit que le plaisir que je te donnais ne valait pas le travail que je te faisais perdre ! Que tout ce que vous offrez à l’amour, vous autres écrivains, est perdu pour la littérature !… Les germes fécondants vous remontent au cerveau et vous procréez sans le secours de la femme !…

André se mit à rire.

— Tous les grands auteurs ont été chastes, ma petite Fiamette ?

— Des imbéciles ou des fous !

— Et le succès ?…

— Le succès ?… Un mot ! Est-ce que Ninoche ou Nora la Comète n’en ont pas autant que vous tous ?… Et, moi-même, si je voulais !…

— Certes.

— Le succès va aux plus infimes, aux pitres et aux malins, il n’est insaisissable que pour ceux qui sont au-dessus de lui.

— Tu as raison, Miette.

André prit sa maîtresse contre lui, appuya son front sur son cœur, et, longtemps, savoura la joie d’être tout petit et frêle auprès de cette affection si grande.