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Les Animaux historiques/15

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LES CHIENS DE LA RÉVOLUTION

Durant la révolution, les guichetiers, chargés de la garde des prisonniers, se faisaient souvent seconder, dans leur surveillance, par des chiens qu’ils avaient dressés à cet effet. L’intelligence de plusieurs de ces animaux étaient vraiment merveilleuse. Il en était un surtout distingué par sa taille et sa force. Ce cerbère, nommé Ravage, était chargé, pendant la nuit, de la garde de la cour du préau. Des prisonniers avaient pour s’échapper fait un trou ; rien ne s’opposait plus à leur dessein, sinon la vigilance de Ravage et le bruit qu’il pouvait faire. Le chien se tait ; mais le lendemain matin, on s’aperçut qu’on lui avait attaché à la queue un assignat de cent sous avec un petit billet où étaient écrits ces mots :

« On peut corrompre Ravage avec un assignat de cent sous et un paquet de pieds de mouton. »

Ravage, promenant et publiant ainsi sa vénalité, fut un peu décontenancé par les attroupements qui se formèrent autour de lui, et les éclats de rire qui partaient de tous côtés. Il en fut quitte pour cette petite humiliation et quelques heures de cachot.

« Je fus signalé comme suspect, rapporte une des victimes échappées à la Terreur, et conduit à la Force. Là on me jeta dans la souricière, cachot obscur et incommode, où l’on dépose les prisonniers jusqu’à leur comparution devant le concierge. Au bout de quelques heures, l’on vient me retirer de cet affreux séjour. Je marchais escorté de deux chiens monstrueux. Je fléchis la tête sous dix portes de fer, et traversai ces cours fatales, où tant de victimes avaient péri dans les massacres des 2 et 3 septembre.

» On me signala, et je fus placé dans le département de la police. Le chien de garde vint me flairer ; dès lors je fus sous sa responsabilité, et vainement j’aurais cherché à fuir. Je l’ai vu ramener par le poignet, sans lui faire aucun mal, un prisonnier qui s’était caché, et qui s’était un moment soustrait à sa vigilance. Cet animal n’était pourtant pas invincible. Un Bostonien avait été amené à la Force ; on lui citait l’instinct de ce dogue, et la certitude qu’il terrasserait l’homme le plus fort. Sa grosseur était prodigieuse

» — Qu’on l’excite, et qu’on le lance sur moi, » dit l’Américain.

» Ils prennent du champ : le chien, stimulé par son maître, se précipite, saisit au collet le Bostonien, qui, ferme sur ses pieds, résiste au premier choc, passe adroitement un doigt dans la gueule de l’animal, la lui sépare, et saisissant vigoureusement la mâchoire inférieure et la supérieure, allait déchirer la tête du chien, si son maître n’eût demandé grâce. La gueule séparée, l’animal perdit sa force et son mouvement, ses jambes s’allongèrent sans la moindre résistance.

» Mon installation au milieu des autres prisonniers se fit aux aboiements de deux dogues, chargés de la police de la salle, et qui s’acquittaient à merveille de leur mission. Sans cesse aux aguets, le moindre bruit excitait leur attention ; ils suivaient les détenus dans le préau, et le soir, à l’heure de la retraite, quand chacun rentrait chez soi, on les voyait courir, l’air affairé, à travers les corridors, poussant devant eux les retardataires comme des moutons qui regagnent leur bercail. »

Mais si les prisonniers pouvaient compter les chiens des guichetiers au nombre de leurs persécuteurs, il n’en était pas de même de ceux qui leur appartenaient. On cite une infinité d’exemples, où ces fidèles animaux leur furent d’une grande utilité.

Un des moyens qu’on employa avec le plus de succès au Luxembourg, qui avait été transformé en maison de détention, pour tromper les yeux des argus, fut le ministère d’un chien fidèle ; cet animal s’insinuait tous les jours dans l’intérieur de cette prison, pénétrait jusqu’à la chambre de son maître, l’accablait de caresses, et semblait partager ses peines. Un jour surtout ses démonstrations de joie parurent si multipliées, si importunes même, que le maître en parut inquiet ; plus il s’obstinait à vouloir renvoyer son chien, plus l’animal redoublait de caresses ; il sautait sur lui, pleurait, aboyait, et, courbant la tête, il lui montrait son collier. Le maître le croit blessé, cherche partout, et ne lui trouvant aucune apparence de blessure, veut s’en débarrasser et le mettre à la porte. L’animal insiste toujours : enfin on lui ôte son collier. Aussitôt il bondit de joie, aboie encore, mais ce n’est plus de douleur. Le maître examine le collier et y découvre un billet de sa femme. Il répond par le même courrier, et chaque jour le fidèle commissionnaire facilitait aux deux époux la même correspondance. Tous les jours, à la même heure, on le voyait arriver et sortir avec son invisible message ; et tel était l’instinct de cet animal, qu’il ne se laissait toucher, ni même aborder par aucun guichetier.

Cependant on eut connaissance du stratagème, et il fut défendu de laisser pénétrer les chiens. Un autre animal en fut la victime. Son maître prenait l’air à une des fenêtres du Luxembourg ; le chien, qui était dans le jardin, le reconnaît ; aussitôt il saute, il court, il aboie ; il fait le tour des palissades, cherche une ouverture pour parvenir jusqu’à son maître. La sentinelle, exécutant strictement sa consigne, lui oppose sa pique et veut l’éloigner. L’animal redouble d’ardeur, il furète de tous les côtés, partout il trouve des obstacles ; le plaisir, l’impatience et la joie le faisaient bondir. Arrive sur ces entrefaites le général Henriot, qui s’aperçoit des vives démonstrations du chien ; il interroge la sentinelle, qui lui répond qu’elle croit l’animal enragé. Alors le commandant général de Paris enfonce son chapeau sur sa tête et met le sabre à la main. Deux de ses aides de camp suivent son exemple, et les voilà tous trois guerroyant contre le chien ; ils l’atteignent, le frappent, et l’animal tombe baigné dans son sang, sous les yeux de son maître, vers lequel il tournait ses regards mourants.

Un autre prisonnier avait deux enfants en bas âge qui venaient le visiter tous les jours ; ils n’avaient d’autre conducteur que le chien de la maison, qui leur servait de mentor dans leur voyage. Il veillait sur eux, avait soin de les faire éloigner des voitures, faisait écarter les passants, et les ramenait toujours par le même chemin, sans qu’ils eussent jamais éprouvé le moindre accident.

M. Blanchard, commissaire des guerres, ayant été incarcéré aux Madelonnettes, racontait à ses compagnons d’infortune les causes de son arrestation, et dans son récit, il ne pouvait s’empêcher de verser des larmes en prononçant les noms de son épouse et de ses deux filles.

« Philippine et Amélie, s’écriait-il, je ne vous verrai donc plus ! »

Son chien, qu’il avait amené avec lui et qui l’avait suivi à l’armée, ainsi que dans ses différents voyages, hurlait d’une manière douloureuse toutes les fois qu’il entendait prononcer ces noms chéris.

Mme de La Chabeaussière fut mise au secret dans une chambre destinée à servir de logement aux gardiens ; elle fut obligée de coucher, pendant quatre jours, avec une chienne qui nourrissait six petits ; deux gardiens, nommés Garnier et Desjardins, y couchèrent aussi pendant les deux premières nuits, et, chose rare ! ils eurent des égards pour cette dame. On lui avait laissé un chien d’un instinct surprenant et qui fit sa seule consolation. Brillant était son nom. Cet animal connaissait si bien les gardiens bienfaiteurs de sa maîtresse, qu’il ne se trompait jamais dans son choix. Avait-elle besoin de quelque chose, elle disait à son chien qui se tenait en dehors de la chambre.

« Je n’ai pas déjeuné, ou je n’ai pas dîné, ou enfin j’ai besoin de prendre l’air, va chercher Garnier ou Desjardins. »

Et Brillant allait chercher le gardien, lui sautait au cou et ne le quittait pas qu’il ne vînt vers sa maîtresse.

Ce chien avait contracté beaucoup d’aversion pour le concierge, et comme il ne pouvait se venger sur lui des mauvais traitements qu’il faisait essuyer à sa maîtresse, il se rejetait sur son chien ; quoique beaucoup plus faible et plus petit, il lui livrait combat, et ne le quittait qu’après l’avoir terrassé.

L’infortunée Marie-Antoinette avait, étant reine encore, un petit chien qu’elle aimait beaucoup, et qui lui était extraordinairement attaché. Quand la malheureuse princesse fut enfermée dans la tour du Temple, le pauvre animal voulut en vain la suivre ; il fut brutalement chassé. Il erra longtemps autour de la prison, cherchant sans cesse à y pénétrer, mais toujours violemment repoussé. Il fut enfin recueilli par une fruitière, qui lui donna à manger, et chercha vainement à l’empêcher d’aller chaque jour rôder près du Temple. Lorsque la veuve de Louis XVI quitta cette prison, le 5 septembre 1793, pour être conduite à la Conciergerie et subir son procès, le fidèle animal accompagna sa maîtresse, et ne voulut point abandonner le voisinage de sa nouvelle demeure. Là encore, il fut recueilli par une pauvre femme qui en prit le plus grand soin. Le matin du 16 octobre, lorsque Marie-Antoinette monta, vêtue de blanc, sur la fatale charrette pour aller à l’échafaud, son chien était absent ; mais le lugubre cortège passa sous les fenêtres de la femme chez qui il demeurait. L’animal, entendant du bruit, s’élança sur le balcon, et, apercevant sa maîtresse chérie, se mit à pousser des hurlements plaintifs, s’agitant, avançant la tête en dehors, témoignant enfin tout le désir qu’il avait de la rejoindre. Le cortège cependant s’éloignait de plus en plus, et les hurlements du chien devenaient de plus en plus plaintifs et précipités. La fatale charrette disparut. Le chien alors crie, se désespère, et enfin, emporté, hors de lui, il s’élance et tombe dans la rue, où il expire, donnant ainsi à l’infortunée reine de France une marque d’attachement et de fidélité bien rare, hélas ! et dont bien peu de ses anciens courtisans eussent été capables.