Aller au contenu

Les Animaux historiques/6

La bibliothèque libre.

PHÉNIX

Phénix, fils de ce Bacha qui fut amené d’Égypte en France par Napoléon, qui le montait a la bataille d’Iéna, eut une étrange destinée.

Tombé, poulain encore, entre les mains d’un paysan ignorant, il fut bientôt soumis aux plus rudes travaux, et, par contre-coup, aux plus mauvais traitements. Un jour il se révolta ; il saisit son bourreau par le milieu du corps, le lança sous ses pieds, lui brisa la tête, lui ouvrit le ventre, lui déchira à plusieurs reprises les entrailles et les dispersa au loin ; sa fureur se calma ensuite, et il retourna seul tranquillement à son écurie.

Le fils du fermier le fit aussitôt conduire à une foire prochaine, et là, il fut acheté, moyennant une somme assez modique, par un fashionable à qui l’on se garda bien de parler du cruel événement.

Le nouveau maître de Phénix reconnut d’heureuses dispositions à son cheval et les cultiva avec ardeur. Phénix ne tarda point à obéir au moindre signe de son maître, il apprit à le suivre, même au milieu de la foule, sans être retenu par la bride ; à franchir les fossés et les barrières, à rapporter comme un chien d’arrêt ; rien ne l’effrayait, pas même les coups de pistolet tirés entre ses deux oreilles. Un soir, sur la route, un chien enragé se lanca sur le cavalier qui montait Phénix ; Phénix vit le danger, se rua lui-même sur le chien, le saisit par le milieu des reins, les lui brisa et préserva ainsi son maître des morsures du terrible animal.

Le fashionable chérissait Phénix, mais des revers de fortune le forcèrent de le mettre en vente. Il fut acheté par un des frères Franconi, qui se rendait à la foire de Guibray. Ce savant écuyer continua et perfectionna l’éducation du cheval. Il lui apprit à se mettre à genoux et à saluer, à ramasser une pièce de six liards dans la poussière, à marquer l’heure d’une montre avec le pied. Tout cela fut pour lui l’étude de quelques jours. Bientot il devint l’ornement du Cirque, je pourrais dire la sentinelle, car il fit, un jour, découvrir l’auteur d’un vol commis dans l’écurie, en montrant au plancher l’endroit par où le coupable avait passé.

En 1814, un colonel francais, témoin de son intelligence et séduit par sa beauté, en fit l’acquisition pour une somme considérable. Il le montait à la bataille qui se donna sous les murs de Paris, et si le colonel fit son devoir, il faut dire aussi que Phénix ne s’y conduisit pas moins vaillamment. Comprenant sa mission guerrière, il cassa la jambe à un cheval cosaque, arracha l’oreille à un cheval anglais et culbuta plusieurs chevaux prussiens ; plus d’une fois le colonel dut son salut à la vitesse et à l’adresse de Phénix ; mais ce dernier fut moins heureux que son maître, car un boulet lui ayant brisé une cuisse, il resta dans la plaine Saint-Denis avec quatre mille de ses semblables, amis et ennemis, tués ou blessés, et deux jours après il fut enlevé par les équarrisseurs de Montfaucon, qui l’achevèrent.