Les Aphrodites/8-2

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Briard (Poulet-Malassis) (p. 119-137).

C’EST DE BONNE HEURE.




DEUXIÈME FRAGMENT.




Dans l’un des cabinets du jardin anglais.


ZAÏRE, LE COMMANDEUR.

Zaïre[1] (donnant au commandeur un fougueux baiser, après une seconde accolade dans laquelle ils demeurent agencés de manière qu’il ne tient qu’à eux de procéder sans interruption à une nouvelle jouissance). — L’heureuse reconnaissance, mon cher Francheville ! Qui nous aurait dit, il y a huit ans, que la morveuse avec qui tu jouais comme avec une poupée dans son couvent te devrait aujourd’hui ce délicieux quart d’heure ?

Le Commandeur[2]. — Tu veux dire : qui aurait pu deviner que ce petit ange, si contrarié, serait la bienfaitrice à qui je dois ce moment, l’un des plus heureux de ma vie ?

Zaïre (avec un ardent baiser). — Comme il est galant ! L’y voilà pourtant, ce formidable engin à la vue duquel je jetais les hauts cris lorsque tu me le montrais, par l’ordre de ma tante, comme un instrument de supplice, quand on avait à me reprocher quelque petit tort ! Voilà donc l’emploi si doux de cette respectable discipline qu’Eulalie faisait semblant d’endurer par pénitence, lorsqu’elle s’avouait coupable de quelque péché… Vous étiez de grands hypocrites et de francs vauriens !

Le Commandeur. — Que veux-tu ? C’est ainsi, ma petite amie, que l’on élève la jeunesse, au couvent surtout. Cependant ce petit conte et la peur qu’on te faisait n’étaient qu’afin que nous fussions plus à notre aise et pussions nous ébattre, toi présente, presque en t’édifiant. Tu sais maintenant comment passait son temps la brûlante Eulalie, lorsque nous disparaissions derrière le rideau de cette alcôve, et procédions à ce prétendu châtiment qui faisait en effet pousser à ta tante tant d’équivoques soupirs dont tu avais l’enfance d’être touchée jusqu’aux larmes.

Zaïre. — Ah ! mon cher ! si j’avais su ! j’aurais tout culbuté, tout brisé dans l’appartement et je t’aurais bien forcé de me châtier tout de bon, au lieu de t’en tenir à la menace.

Le Commandeur (souriant). — À neuf ans, friponne !

Zaïre (gaiement). — Il me semble, mon bon ami, que je n’en serais pas morte… Mais, parlons-en encore… Qui nous aurait dit qu’un jour… (Le baiser dont elle coupe cette phrase rend au commandeur tous ses feux… Il recommence à limer.) Ah ! oui… oui… mon toutou… (Elle seconde.) Donnons-nous-en bien, pendant que nous y sommes. Réalisons de plus en plus ce brûlant sacrifice que t’a déjà offert ma brûlante imagination depuis que j’ai appris quel encens peut être agréable à ce dieu qui me pénètre, et dont tu me faisais autrefois un épouvantail.

Ce petit bavardage n’a pas empêché Zaïre de jouer des hanches à ravir. Ces douceurs ont encore excité l’ardeur de l’amoureux agent ;… ils sont bien près de la sublime crise… Alors…

Le Commandeur (s’écrie). — Ah ! Zaïre ! quel talent à ton âge !

Zaïre (après un baiser mordant). — Dieu du plaisir ! achève de me former… Tiens… tiens… ha ! foutre ! (Des coups de reins terribles.) Me trouveras-tu digne assez d’un maître tel que toi ?…

Le Commandeur (hors de lui). — Ô ravissement ! modère-toi, ma petite reine… (Ils ralentissent.)

Zaïre. — Oui, filons-nous le suprême bonheur, foutons en dieux…

Ils ne peuvent plus proférer que des accents confus, mille fois plus éloquents que les plus beaux tours de force de l’esprit académique. Le filet de la sublime volupté les a lentement enveloppés, emportés enfin hors de la sphère des mortels pour les faire jouir d’un avant-goût des délices surhumaines.

Après quelques moments de ce calme silencieux qui n’est pas la moins exquise manière de jouir…

Le Commandeur. — Mais par quel hasard, ma chère petite, te trouves-tu dans Paris, et parmi nous, ce qui me surprend bien davantage, quand tu n’es point mariée, et n’as pas l’âge requis pour qu’une célibataire soit admise à nos mystérieuses cérémonies[3] ?

Zaïre. — Je n’aurais pas le temps, mon cœur, de te faire ici mon roman… (En parlant, Zaïre dégagée s’occupe encore du superbe boute-joie, toujours très-éveillé ; dans sa distraction, elle le traite si bien qu’il ne pourra guère s’endormir. Ce geste, pendant le discours que pourra tenir la comtesse, est fort du goût de l’archi-libertin commandeur.)

Le Commandeur. — Jette, en gros, un lopin à mon avide curiosité. J’apprendrai les détails chez toi, où sans doute tu voudras bien me permettre de te faire ma cour ?

Zaïre. — Permettre ! je te l’ordonne. Tu trouveras même bon que, dès ce moment, je t’inscrive au nombre de mes plus essentiels serviteurs… et le monsieur aussi… (À ces mots, elle abaisse un chaud baiser sur le couronnement de sa fière amusette.)

Le Commandeur (à lui-même). — Y a-t-il rien d’aimable comme cet enfant-là !…

Ils se baisent. Un bras mutuellement passé sur l’épaule et les bouches à deux doigts l’une de l’autre,

Zaïre (poursuit). — Pour de bonnes raisons, disait-on, la sœur Incarnation[4] était rentrée dans le monde ; ce couvent se trouvait fort compromis, grâce à tes folies et à celles de ma chère tante ; car votre bon exemple avait été généralement suivi. Eulalie[5] elle-même n’avait guère pu se soustraire aux suites inévitables que devaient avoir tant de scandales. Mais ayant du caractère et sachant qu’une jolie femme peut tout lorsqu’elle est prête à se trousser en faveur de qui peut la servir, elle intrigua puissamment. Bientôt elle obtint une meilleure abbaye. Je l’y suivis. À douze ans, elle cessa de me traiter en morveuse. Je fus son enfant gâtée. Dès qu’elle me jugea propre au doigt de cour, je le faisais : on me le rendait, et de reste ; mais à seize ans, je n’avais pas encore eu la félicité de voir de près un homme. J’avais tout au plus deviné, mais très-confusément, que s’il y avait entre vous et nous quelque différence, ce devait être par cet instrument de supplice duquel tu m’avais fait peur, et qui valait apparemment à votre sexe l’attribut commun d’avoir le droit du plus fort.

Le Commandeur. — Serviteur au calembour.

Zaïre (gaiement). — L’observation n’est pas juste, car il me semble que ce que je tiens est incontestablement le droit de l’homme. (Un baiser.) On pressait pour que je prisse enfin le voile. Cependant, une belle nuit, mon merveilleux frère, en faveur de qui la passion de ma mère était de me déshériter, se fracassa la tête en versant avec un wisky des plus extravagants où il avait la sottise de se laisser conduire par sa coquine au retour de certaine orgie[6]. Me voilà donc fille unique. Ma méchante mère survécut peu de temps à la perte d’un ingrat dont elle s’était crue exclusivement aimée, et qui l’avait mise dans le cas d’éprouver tous les genres de repentir quand l’illusion de leur débauche se serait évanouie. Monsieur de la Gaudissonnière, un ex-fermier du haut vol et mon plus proche parent, se trouva devenir mon tuteur. Habile en affaires, il est tout au moins aussi débauché. J’allais être retirée du couvent. On me cherchait un mari. Ma tante, qui pense à certains égards le mieux du monde, voulut préalablement me mettre au fait du pour et du contre de ce fameux sacrement qu’on croit être l’indispensable vernis d’une femme ; paradoxe à tout moment démenti, qui pourtant, depuis tant de siècles, ne cesse de faire des dupes… Il paraît à ton état, mon cher, que cet avis est aussi le tien ?

Le Commandeur. — Sans doute, puisque sans frère ni sœur, et le dernier de ma race, je n’ai pas voulu quitter Malte, et me suis engagé par des vœux…

Zaïre (agitant gaiement le boute-joie). — Dont tu observes bien surtout le vœu de chasteté. (Elle lui jette vivement un baiser, pour le consoler de cette épigramme.)

Le Commandeur. — On fait bien de m’apaiser. J’écoute.

Zaïre. — Tout bien considéré, je ne me sentis nullement capable de supporter le joug du mariage. “ Dans ce cas, me dit ma bonne tante, il convient que tu t’empares de ton tuteur. Fais qu’il t’aime. Une fois que tu l’auras subjugué (je t’aiderai pour cela de mon expérience et de mes conseils), il ne pourra t’empêcher d’être ta maîtresse. „

Le Commandeur. — On ne peut mieux raisonner.

Zaïre. — La Gaudissonnière m’eut à peine vue, que la tête lui tourna. Pour couper court, je te dirai que, d’après l’excellente politique de ma peu scrupuleuse tante, j’ai fait à mon tuteur, un bout de temps convenable, l’intéressé sacrifice de mes premières grosses faveurs, au prix que je serais désormais parfaitement libre ; que, chez lui, je serais tout à fait chez moi ; que j’aurais pleine jouissance du principal de mes biens, Fortconnin et ses dépendances, et qu’il administrerait tout le reste à mon profit, plutôt comme intendant que comme tuteur.

Le Commandeur. — Voilà qui s’appelle un pucelage bien placé.

Zaïre. — Vraiment, il fit bien de le prendre tout chaud au sortir de la grille, car j’avais déjà dans la tête que le premier coureur de cachet, ou coiffeur, ou… que le premier porte-culotte, en un mot, m’apprît ce qu’il y avait de différence entre des jeux de nonnes et ceux dont le monde fournit les solides moyens. Bref, mon arrangement avec La Gaudissonnière dure depuis près d’une année. Parfaitement honnête homme, il est incapable de me faire tort d’une pistole, et compte avec moi de clerc à maître. Assez bien de figure, assez aimable pour ne me causer aucune répugnance, il est d’ailleurs si blasé, que bien rarement il me prie de quelque complaisance pour certain petit nain de vit[7] dont à peine j’ai l’honneur de m’apercevoir. Sur ce pied, je suis parfaitement heureuse. Ma liste est admirable, tant en hommes qu’en femmes, car j’aime aussi ces dernières avec fureur…

Le Commandeur (se récriant). — Tudieu ! quelle luronne ! Mais comment enfin as-tu percé jusque dans notre sanctuaire ?

Zaïre. — Sans l’ombre d’une difficulté. J’ai pour ma meilleure amie la marquise de Mélembert[8], ta Lolotte, fripon. Elle jouit dans l’ordre de la plus haute considération. Comme on s’y est un peu relâché maintenant sur la rigueur des anciens statuts, elle a obtenu, tout d’une voix, des dispenses que sollicitait d’ailleurs l’aperçu de l’extrême utilité dont je pouvais devenir parmi vous. Depuis un mois, je suis affiliée. Mes amis me flattent qu’on me nommera membre, et peut-être dignitaire, à la première promotion. Je n’ai contre moi que les jeudis, dont je n’ai pu encore me résoudre à mériter les suffrages.

Le Commandeur. — Oh bien ! je veux te recommander pour cet objet à Culigny ; c’est mon intime.

Zaïre. — À la bonne heure ! Mais c’est qu’il y a des formalités baroques… sur lesquelles je n’ai pas encore pris tout à fait mon parti… Parlons d’autre chose. Sais-tu que ma tante faillit mourir de chagrin quand tu couchas sur le carreau son fier champion, monsieur Rolandin, qui croyait au moins te forcer à épouser une catin de sœur[9], s’il ne te faisait mordre la poussière ?

Le Commandeur. — Je me suis toujours douté qu’Eulalie m’avait suscité cette querelle.

Zaïre. — Je t’en réponds, et qu’elle avait payé le voyage, et qu’elle avait promis une forte somme au Rolandin pour fuir, après une victoire dont le fanfaron ne paraissait pas douter…

Le Commandeur. — Le bon petit cœur de femme.

Zaïre. — J’ai su tout cela, moi, car on ne se gênait pas devant une morveuse de dix à onze ans que j’avais alors. Mais je dois ajouter, pour l’honneur de ma tante, que bientôt, détestant le crime de sa passion, et maudissant le vil escroc qui l’avait si violemment aigrie contre toi, elle ne cessa de gémir, de te regretter…

Le Commandeur. — Parce qu’elle n’avait plus personne…

Zaïre. — Tu te trompes : elle avait ses laquais. Surtout elle se creusait la tête pour deviner où tu pouvais t’être retiré après ton victorieux combat.

Le Commandeur. — Voulait-elle m’adresser quelque nouveau Sacrogorgon ? J’étais tout uniment à Malte. Depuis bien longtemps j’ai reparu dans Paris. Je voulus d’abord y épouser la veuve de mon très-cher oncle, ta bonne amie, madame de Mélembert, riche de mes dépouilles, car sans son fichu mariage j’aurais hérité de tout le bien dont son vilain époux l’a mise en possession ; elle me refusa cruellement.

Zaïre. — Je sais qu’elle a le mariage en horreur.

Le Commandeur. — Au surplus, elle n’a cessé d’avoir à mon égard des procédés admirables. Je suis certain qu’elle me fit toucher, chaque année, plus de la moitié de son revenu.

Zaïre. — C’est ce qu’elle ne m’a jamais dit[10] ; mais je lui connais l’âme la plus généreuse, et souvent elle m’assure que, sans t’accorder maintenant aucun sentiment de préférence, elle te conserve pourtant une éternelle tendresse.

Le Commandeur. — Je ne suis à Paris que depuis hier, et j’ai volé à son hôtel, mais elle est à la campagne.

Zaïre. — Je la crois de retour pour se trouver ici ce soir… Et tu viens, je gage, de ce maudit pays du Rhin ?

Le Commandeur. — Je l’avoue. Absent de Paris depuis un siècle, je ne suis pas au courant, et vais y avoir tout à fait l’air d’un débarqué du coche.

Zaïre. — Si cela se pouvait, tu serais à la mode. Les gens de l’autre monde tiennent le haut bout à présent. D’ailleurs, moins on a de manières et moins on a de dangers à courir. Ta seule coiffure donnerait peut-être de l’humeur à quelques sans-culottes. Il serait possible que, pour ce crime de lèse-nation, on te coupe le cou fort proprement. Mais est-il vrai, mon cœur, que par là-bas il règne un désordre épouvantable ? Ici, on crie terriblement au scandale contre vous.

Le Commandeur. — Les scandaleux vous le rendent bien ; partant, quittes. Cependant la sphère où je me suis fixé n’est point celle contre laquelle on murmure à juste titre. Attaché, dans les premiers instants de la Révolution, à ceux des Bourbons qui sont les protecteurs héréditaires de ma province, je les suivis des premiers à Worms, et n’ai plus quitté cette respectable famille, premier fanal autour duquel commença de se former un rassemblement d’abord composé de vrais chevaliers. Bientôt, nombre d’ambitieux, d’aventuriers, d’étourdis et de gens dont les périls de l’intérieur éprouvaient trop le courage équivoque, vinrent se joindre à ces fidèles serviteurs ; mais l’asile des Condés n’a pas cessé d’être ce qu’il fut dès les premiers jours, c’est-à-dire la source des bienfaits et de cette affabilité noble qui leur donne encore plus de prix.

Zaïre. — Mon père servit autrefois les Condés ; j’aime à t’entendre faire leur éloge.

Le Commandeur. — Dès que, non loin de là, certain météore s’éleva promptement au-dessus de l’horizon, les gobe-mouches ne manquèrent pas de le prendre pour un nouveau soleil. Alors, on vit s’ébranler et défiler à petit bruit tous les valets de la faveur. Aussitôt, l’intrigue dressa ses tréteaux alentour du nouveau phénomène. Ce fut à qui aurait l’honneur de le voir de plus près ; bientôt, à qui se fixerait au centre des prétendus honneurs, grandeurs et richesses. Tel fut, de bonne heure, étouffé dans la cohue et foulé aux pieds ; tel autre, en attendant les grandes faveurs de l’idole, eut la douceur de fouiller dans ses poches. Le prestige a peu duré ; déjà l’édifice de carton menace ruine, et chaque jour le feu prenant quelque part, le temps et les soins suffisent à peine à l’éteindre. Que de fous auront enfin un pied de nez et ne sauront où cacher leur honte, où déplorer la plus sotte bévue dont l’orgueil et l’égoïsme aient pu donner le funeste conseil ! Assez heureux pour m’être fait de mon attachement pour les Condés un intérêt personnel, j’avais vu, sans être tenté, un essaim d’extravagants et d’ingrats prendre l’essor. Content près de mes chevaleresques et modestes bienfaiteurs, j’ai préféré leur obscurité volontaire, leur frugalité, leurs fatigues, à la Cocagne éphémère des théories de Coblentz. Il est vrai que depuis longtemps je suis désabusé sur le chapitre de l’émigration, la plus impolitique sottise par laquelle le diable peut nous induire à servir nos ennemis ; mais je tiens par le cœur à mes héros, vraiment contrariés par le destin. Ils luttent contre ses coups avec tant de courage que, même certain de périr avec eux, je ne me résoudrais point à m’en séparer.

Zaïre. — Te voici cependant à Paris, d’où j’espère que tu ne sortiras plus.

Le Commandeur. — Tu t’abuses, mon amour. Dès que j’aurai mis en règle quelques affaires qui m’y amènent, au péril de ma vie, je rejoindrai mes chers Condés. Je gagerais tout ce que je possède qu’en vain essayera-t-on, comme on le publie, de dissoudre la masse des infortunés émigrés : nos Bourbons, nos bienfaiteurs, nos amis, demeureront encore entourés d’une élite qui ne voudra pas plus renoncer à leur mauvaise fortune qu’eux-mêmes ne voudraient abandonner ceux qui s’y seraient attachés…

Dans ce moment, un pétard fort bruyant éclate. C’est l’avertissement de se réunir.

Aussitôt le gouverneur est debout, mais Zaïre, qui le tient toujours par le gouvernail, le force à se rasseoir, et, l’enfourchant, elle exige encore quelques minutes d’audience… — “ Dépêchons, dépêchons ! „ dit en s’agitant sur lui comme un démon cette brûlante héroïne. Elle baise, elle mord, elle rit, chatouille et jure tour à tour. Leur poste est aussi bientôt courue…

Ils se rajustent, volent, et sont pourtant à peu près les derniers arrivés à la rotonde, lieu du rendez-vous général.


  1. Zaïre de Fortconnin : dix-sept ans, chef-d’œuvre en miniature. Brune assassine, ayant tout le coloris et la fermeté de la plus fraîche adolescence. Traits chiffonnés, enchanteurs, auxquels un heureux accord et de grands yeux volcaniques donnent un air de perfection très-bien soutenu par les formes merveilleuses du reste de la personne. Zaïre est la nièce de certaine Eulalie, ci-devant abbesse d’un couvent de Bernardines, et qu’on connaîtra si l’on a lu Mon Noviciat, ou les Joies de Lolotte, très-instructif et surtout très-véridique ouvrage.
  2. Le commandeur de Lardemotte, de Malte, ci-devant chevalier de Francheville, l’un des personnages principaux de ce Noviciat (*) qu’on vient de citer. Le commandeur atteint à peine sa vingt-septième année ; il est parfaitement beau, bien fait, libertin, à proportion de la vogue que doit avoir dans le monde un aussi surprenant mérite. Il a pourtant le malheur d’avoir l’un des plus effrayants boute-joie de l’ordre ; n’importe ! ce défaut ne l’empêche pas de s’accrocher à des novices à peine formées, qui, par bonheur, ont, du temps qui court, une intrépidité dont ne se piquaient pas autrefois les plus aguerries professes. Ce sont peut-être les anciens succès de Francheville avec Lolotte qui l’ont rendu sans pitié pour la fragilité d’organes des précoces Laïs, telles que celle dont il a dans le moment la joie d’être possesseur.

    (*) En voyant reparaître dans ce livre des personnages du Noviciat et du Diable au corps, on ne peut s’empêcher de remarquer que le grand Balzac aussi s’est plu à faire circuler les mêmes héros dans les diverses parties de la Comédie humaine.

    (Note de l’Éditeur.)

  3. Il fallait qu’une demoiselle eût vingt et un ans et fût autorisée par un proche parent, membre de la société, tout au moins par un dignitaire, aussi de la famille.
  4. Ce fut sous ce nom que le chevalier de Francheville (le commandeur écoutant) prit le voile dans une communauté dont l’abbesse était alors folle de lui. Ils se brouillèrent. Les détails de ces amours et de la rupture se trouvent dans l’histoire, plus vraie qu’exemplaire, qui a pour titre : Mon Noviciat, ou les Joies de Lolotte.
  5. L’abbesse, une de nos dames aphrodites aussi, se nomme Eulalie ; mais plusieurs personnes peuvent porter le même nom. L’ordre avait de même une madame et une demoiselle de Fortconnin qui n’étaient pas parentes.
  6. Cette catastrophe est réellement arrivée.
  7. Léger écart qu’on prie le lecteur de pardonner à la familiarité de l’entretien. D’ailleurs, on assure que Mademoiselle Zaïre est de la meilleure compagnie.
  8. On suppose que nos lecteurs ont lu ou lisent les Joies de Lolotte. On y voit que madame de Mélembert, épouse d’un robin, n’est point marquise ; mais Mélembert était un marquisat. Elle est veuve et fille d’un marquis. Elle a donc voulu se donner un titre. Était-on, sans cela, quelque chose dans le monde avant la Révolution ?
  9. Quand même on n’aurait aucune connaissance du roman auquel se rapporte ce fait, il est toujours bon de le conserver, afin que le lecteur sache quels sentiments peuvent succéder dans le cœur des femmes à cette fièvre qu’on nomme amour, et quelles peuvent être, au contraire, les simples vertus de celles, qui n’ont que du tempérament.
  10. Ce trait seul établirait la différence qu’il y a entre la passionnément amoureuse abbesse, tante de celle qui parle, et la simple libertine Lolotte, madame de Mélembert.