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Les Architectes des cathédrales gothiques/Chapitre VI

La bibliothèque libre.
Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 116-121).

VI
La décadence.

« L’architecture gothique tomba malade du même mal que la philosophie et la poésie, la subtilité » (Renan). Les architectes avaient accompli de véritables tours de force, « engageant une sorte de défi avec la pesanteur et l’espace ».

Photo des Monuments historiques. Angers. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques. Angers. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques.
Angers. — Nef de la cathédrale.

S’ils réussirent parfois, au prix d’une perpétuelle surveillance, ils s’aperçurent qu’enfin il existait des limites à la témérité et au surenchérissement. Ne pouvant aller plus haut, ils dirigèrent ailleurs leur inspiration. Dès lors la simplicité du xiiie siècle fit place à une capricieuse orgie de sculptures, de galeries, de pinacles, d’inutiles parures qui compliquent sans améliorer, ne reposent sur aucune logique, et semblent destinés surtout à éblouir par le pittoresque du détail sans atteindre au grandiose. Non que le xve siècle n’ait pas produit de nouveaux chefs-d’œuvre, en architecture comme dans les autres arts, mais adieu les vieilles traditions, les imposants modèles dont toute la chrétienté profita ! Dans la plupart des édifices élevés aux siècles précédents, on voit les architectes nouveaux, selon le mot d’Huysmans, enter leur génie sur celui de leurs prédécesseurs ; quant aux cathédrales élevées durant cette dernière période, on les crée dans un style artificiel et compliqué qui ira jusqu’à se compromettre avec des styles essentiellement différents. Voici quelques exemples.

La première pierre de la cathédrale de Nantes fut posée le 14 avril 1434 ; sa construction marcha très lentement, la façade et les tours furent terminées seulement dans les premières années du xvie siècle. Nous nommerons seulement l’un des premiers architectes, Mathurin Rodier qu’on croit originaire de Touraine : il paraît en 1455, était encore en fonctions en 1473 et mourut dix ans après.

La délicate église Saint-Maclou de Rouen est un type précieux de cette période : le plan en fut donné, en 1432, par Pierre Robin, le même sans doute qui une année plus tôt était maître d’œuvre de Notre-Dame de Paris.

En Champagne, on connaît l’auteur du petit portail gothique flamboyant qui décore élégamment la façade méridionale de l’église de Rethel : il se nomme Jesson Bailly et passa marché en 1512. Quelques années auparavant (1507), Henri Broyl construit l’église de Mézières. La grande église de Notre-Dame de l’Épine, près de Châlons-sur-Marne, née d’une tradition miraculeuse (ainsi que Notre-Dame d’Avioth, dans les Ardennes, qui en dérive), est un édifice de bon goût mais d’une époque avancée ; commencée vers 1410, elle a subi l’influence indéniable de sa voisine la cathédrale de Reims, et on en ignore le premier maître d’œuvre, quoiqu’on l’ait sottement attribuée à un architecte anglais nommé Patrice. La vérité est qu’en 1453 les travaux étaient conduits par un certain Étienne Poutrise. Châlonnais, qui n’en est pas le créateur. Les chapelles absidales furent bâties en 1509 par Remi Gouveau, auteur du déambulatoire.

En Lorraine, on peut citer la grande église de Saint-Nicolas-du-Port, commencée en 1494 : l’un des premiers maîtres d’œuvre en fut Simon Moyset.

Dans le centre, l’église abbatiale de Souvigny, de fort belles proportions, avait été construite à l’époque romane par les moines de Cluny ; mais elle fut complètement remaniée au xve siècle, et cette restauration, bien reconnaissable, fut en partie l’œuvre de Jean Poncelet, cité en 1456 comme maître des œuvres du duc de Bourbon. Peut-être doit-on au même artiste le plan de la collégiale (aujourd’hui englobée dans la cathédrale) de Moulins, dont la première pierre a été posée en août 1468.

Dans le Midi, nous voyons encore apparaître des architectes originaires du nord de la France. À Carpentras, la construction de l’église Saint-Siffrein est commencée en 1404 par un Breton, Thomas Colin ; à Lectoure, la reconstruction de la cathédrale (vers 1475) est l’œuvre d’un Tourangeau, Mathieu Ragueneau, qui travailla ensuite à Agen, et auquel on attribue les plans de la cathédrale d’Auch (1489). Par contre, Pierre Esclanche, chargé, à la fin du xve siècle, de diriger les travaux de construction de la cathédrale de Sarlat, paraît bien être un Périgourdin.

L’exode des architectes français à l’étranger n’a pas continué au xve siècle ; ils n’y auraient plus trouvé le même accueil. Leur influence a sensiblement baissé. On connaît quelques noms ; aucun d’eux ne mérite d’être relevé.

En France même, l’élan des jours glorieux a disparu, l’évolution est consommée, on a perdu le souvenir des vieilles traditions et des saines disciplines. Jamais on n’y reviendra, et lorsqu’au xixe siècle on songera à imiter nos vieilles cathédrales gothiques, les résultats seront imparfaits ou ridicules. Dans l’histoire de l’architecture, il n’est réellement qu’un siècle qu’on puisse comparer à celui d’Ictinos et de Périclès, c’est celui où vécurent Villard de Honnecourt, Jean d’Orbais, Robert de Luzarches et Pierre de Montereau.