Les Armes à feu au XIXe siècle/02

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LES
ARMES A FEU
AU SIX-NEUVIEME SIECLE

II.

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I

Toutes les armes de jet qui ont la poudre pour moteur auraient un droit égal à être appelées des bouches à feu ; mais, d’après un usage constant, ce nom est réservé aux armes d’une forte dimension qu’emploie l’artillerie ; il fait opposition à celui d’armes portatives, appliqué à celles qui sont les compagnes inséparables du soldat[1]. Il n’existait point autrefois une ligne de démarcation aussi complète entre les armes à feu d’un gros et d’un petit calibre, et la distance qui les sépare maintenant était comblée par de nombreux intermédiaires désignés sous les appellations variées de couleuvrines, espingoles, ribaudequins, etc. Il est probable même que c’est de ces calibres moyens, aujourd’hui abandonnés, que nos fusils et nos canons tirent également leur origine. À cette classe du moins appartiennent les plus anciens types parvenus jusqu’à nous, de petits canons vénitiens en fer que l’on croit dater de l’an 1300 environ ; ils se rapprochent beaucoup par la forme des canons à main employés plus tard, qui étaient alternativement portés sur des charrettes et manœuvres par un ou plusieurs hommes pendant le combat.

Il ne faudrait pas inférer de cette origine que les armes à feu portatives aient paru les premières sur les champs de bataille. Longtemps au contraire une fabrication défectueuse les laissa dans un état complet d’infériorité relativement aux anciennes armes de jet, dont l’usage était plus sûr et plus rapide, tandis que dès l’abord un boulet lancé par un tube droit eut une justesse très supérieure à celle de toutes les machines de guerre fixes, aussi devait-il venir bien vite à l’esprit de s’en servir dans les sièges. De là des tentatives persistantes pour obtenir une puissance de destruction capable de renverser les maçonneries, tentatives qui amenèrent l’augmentation des calibres. L’état des arts métallurgiques au XIVe siècle explique assez pourquoi il n’apparut pendant toute cette période que des essais informes. Les premiers produits de cet art grossier qui soient dignes d’intérêt peuvent se voir encore près de la porte d’entrée du Mont-Saint-Michel. Les ciceroni signalent à l’attention des visiteurs attirés par la réputation si légitime de cette célèbre abbaye deux canons abandonnes par les Anglais lors de leur attaque infructueuse en 1483. Ces canons ont près de 2 mètres de longueur totale, possèdent une chambre pour loger la poudre, et une âme ou vide intérieur, d’à peu près 25 centimètres pour l’un, et 20 pour l’autre[2]. Malgré la rouille qui les a rongées, les formes de ces pièces sont encore très apparentes, et la fabrication témoigne déjà d’un certain progrès. La tradition n’a conservé aucun souvenir des boulets qu’elles devaient lancer ; mais à cette époque la fonte, la pierre, le plomb, le cuivre même, s’employaient indifféremment, suivant qu’on en pouvait disposer, et des armes pareilles recevaient des projectiles arrondis, allongés ou de formes variées, sans qu’il y eût de règles à cet égard. La même diversité régnait dans la fabrication des pièces, tantôt fondues à la manière des cloches, tantôt composées de fragmens forgés, rapprochés les uns des autres et renforcés au moyen de cercles et de cordages. De pareilles machines ne pouvaient résister qu’à un petit nombre de coups ; encore fallait-il que la poudre n’eût qu’une médiocre énergie. Elles eurent cependant une remarquable influence sur la conduite des guerres ; les forteresses orgueilleuses du moyen âge succombèrent toutes devant elles ; il fallut abandonner ces tours et ces hautes murailles dont les villes se glorifiaient d’être entourées ; l’art de la fortification, qui avait peu changé depuis les temps de la guerre de Troie et des remparts de Babylone, dut faire place enfin à une science nouvelle.

Les bouches à feu ne se bornèrent point à agir contre les masses inertes des châteaux-forts ; elles marchèrent aussi, dans les campagnes, à la suite des armées, et malgré la difficulté singulière de remuer des masses si lourdes et si peu maniables, elles servirent plus d’une fois à contenir la fougue des chevaliers bardés de fer. Pour plusieurs raisons, l’emploi qu’on en a fait à la bataille de Crécy est contesté, car il s’en fallait beaucoup à cette époque qu’un canon pût suivre tous les mouvemens des troupes ; néanmoins ce fait n’est pas hors de toute vraisemblance, puisqu’à Crécy il s’agissait de la défense d’une position. Non-seulement on ignorait l’art tout moderne de proportionner le calibre des pièces à l’usage duquel on les destine, mais un accessoire indispensable du canon, son support, l’affût pour lui donner son véritable nom, était encore dans l’enfance. Il ne faut pas un grand effort d’attention pour s’apercevoir qu’un canon ne saurait être posé sur le sol, dont la moindre inégalité suffirait pour arrêter les projectiles, et que si on l’élève sur des chantiers, l’effet du recul le renversera au premier coup. L’expérience la plus légère démontre la nécessité d’un appareil plus stable, muni de roues pour servir aux transports, sur lequel le canon ne soit pas fixé d’une manière invariable, afin de pouvoir en modifier la direction, si d’aventure elle ne se trouvait pas convenable. Des nombreux systèmes essayés pour obtenir ce résultat, deux seulement se sont conservés jusqu’à nos jours, après avoir subi de nombreuses modifications. La pièce peut être placée sur un tronçon d’arbre, dont une extrémité repose sur le sol, dont l’autre est supportée par un essieu ; deux plateaux ou flasques la maintiennent latéralement et reçoivent les tourillons : c’est le système dit à flèche, du nom de la pièce principale. La bouche à feu peut encore être encastrée entre deux grandes flasques qui portent directement sur l’essieu et sur le sol, et que des entretoises rendent solidaires ; les pièces latérales supportent alors tout l’effort du tir, et l’affût est dit à flasques. Ces deux systèmes ont été successivement préférés l’un à l’autre, suivant les perfectionnemens qu’ils ont reçus ; c’est une fastidieuse question de vis et de chevilles, d’écrous et de boulons, mais elle a une grande importance pratique, car de là surtout dépendent la rapidité et la sûreté de l’emploi de l’artillerie.

Lorsque Charles VIII conduisit en Italie cette armée dont la belle ordonnance frappait d’admiration l’esprit observateur de Machiavel, il traînait à sa suite un véritable parc d’artillerie, ce qui n’était arrivé encore à aucun général. On possède peu de renseignemens sur l’organisation de ce matériel, composé surtout de pièces de bronze ; on ignore aussi comment était formé l’approvisionnement en munitions, et quels moyens on prit pour lui faire franchir les montagnes par les routes si défectueuses qui existaient alors ; mais de cette époque date une ère nouvelle pour l’artillerie, et le canon, depuis ce moment, n’a cessé d’avoir dans la composition des armées une part de plus en plus importante. Son influence, auparavant contestée, est devenue prépondérante ; réunie à celle de la mousqueterie, elle a fait succéder la puissance des masses à la valeur individuelle. Bayard a été le dernier des preux, et Bayard lui-même s’était servi du canon.

Depuis quelques années, l’attention s’est reportée sur les efforts faits dans le XVe et le XVIe siècle pour améliorer l’artillerie. Il est certain qu’ils ne méritent pas tous l’oubli où ils sont tombés. L’extrême activité des inventeurs, leur ignorance complète des lois de la balistique les dépouillaient complètement des préjugés de la routine, et donnent à leurs travaux une originalité qui n’est pas sans valeur, même de nos jours. Plusieurs des innovations attribuées à de savans constructeurs anglais ne sont que l’application d’idées anciennes. Dès cette époque, on avait tout tenté, tout essayé, et au milieu de recherches qui sont restées sans succès, parce qu’elles poursuivaient des résultats impossibles, il se rencontre beaucoup d’inspirations qui pouvaient devenir fécondes, et auxquelles les moyens matériels d’exécution ont seuls fait défaut. Le plus grand malheur de ces temps était de n’avoir ni principes, ni tradition. Un fondeur habile ou heureux obtenait-il un progrès, la trace en était souvent perdue après lui, et dans son propre pays ses successeurs ne profitaient pas toujours de son expérience. La discordance la plus fâcheuse régnait dans toutes les parties du matériel de l’artillerie, non-seulement dans chaque pays, mais encore dans chaque armée. On voyait souvent réunis des canons de tout calibre, de toute longueur, depuis les légers canons à main, souvent rassemblés en faisceau sur une même voiture, jusqu’à des pièces monstrueuses, longues de 6 à 8 mètres, pouvant recevoir des boulets de trois à quatre cents livres, comme Mahomet II en avait pour battre les murs de Constantinople. De telles armes étaient plus redoutables par l’effroi qu’elles inspiraient que par les effets qu’elles pouvaient produire. Il en reste encore dans quelques villes, où on les livre à l’admiration du vulgaire[3] ; mais on se garde bien d’en faire usage, ce qui ne veut pas dire pourtant que l’on ne reviendra pas, dans quelques circonstances, à des calibres beaucoup plus forts que ceux dont nous nous servons à présent. Quant à la longueur des pièces, elle n’était déterminée par aucune considération positive : on croyait bien seulement, sans en être sûr, qu’à l’augmentation de longueur correspondait une augmentation de portée. Enfin les canons de toute espèce étaient employés sans discernement contre les hommes et contre les murailles ; en général, on ne semblait limité dans l’accroissement des calibres que par la dépense et par l’impossibilité des transports.

Gustave-Adolphe, général aussi judicieux que brillant, paraît avoir compris le premier l’importance de la mobilité de l’artillerie et l’avantage que des pièces légères procurent dans une foule de circonstances. Il donna de grands soins à la formation de ses parcs, qu’il augmente jusqu’à six pièces par mille hommes, proportion rarement atteinte depuis. Étendant ses investigations aux moindres détails, il fit déterminer par l’expérience l’épaisseur la plus faible à donner au métal des bouches à feu, en réduisit la longueur à quinze et même à onze fois le diamètre du projectile, et adopta des calibres fixes de 4, 6 et 12[4], en fonte ou en bronze. Il fit même fabriquer ce que les historiens appellent à tort des canons de cuir : c’étaient des canons de 4 très légers, formés de lames de fer cerclées ou réunies entre elles au moyen de bandes de cuir. Ces canons étaient disséminés dans les régimens d’infanterie, système que l’on a cherché à remettre en usage pendant les dernières campagnes de l’empire. Le roi de Suède n’employa pas seulement des boulets pleins, il se servit aussi, suivant l’occasion, de mitraille et d’obus, projectiles creux remplis d’une quantité de poudre destinée à les faire éclater dans les rangs ennemis. Après avoir augmenté la rapidité des mouvemens, il voulut aussi obtenir celle de la manœuvre ; il inventa les cartouches à canon toutes préparées ou gargousses, et parvint à faire tirer à ses fameux canons de cuir jusqu’à deux coups par minute. L’artillerie de campagne avait ainsi atteint un degré de perfection dont elle n’avait jamais approché, et que les contemporains n’estimaient point à sa juste valeur, car après ce grand homme elle déchut sensiblement, et plusieurs des améliorations qui lui étaient dues, celle des gargousses entre autres, furent pour un temps abandonnées.

Pour rencontrer dans l’artillerie un ensemble de progrès un peu considérable, il faut traverser le XVIIe siècle tout entier et voir ce qu’elle était devenue à la fin du long règne de Louis XIV. Ce roi, qui mettait son orgueil à assurer la prépondérance de la France sur le reste de l’Europe, et dont les armées avaient été commandées par les premiers généraux du siècle, ne pouvait méconnaître l’importance du canon. Il avait beaucoup fait pour constituer l’unité française et rendre uniformes, autant que possible, l’administration et les lois ; il est naturel de croire qu’il dut partout donner la même impulsion, poursuivre les mômes résultats. Les perfectionnemens de l’artillerie cependant avaient d’abord été assez lents à cause de l’ignorance où l’on était de la véritable théorie des effets de la poudre ; mais comme la qualité de cet agent était déjà fort améliorée, il fallait aussi veiller avec une attention scrupuleuse à la bonté des pièces. Le bronze fut presque exclusivement adopté : ce métal, à la fois plus cher et moins dur que la fonte, est plus tenace, et les dégradations s’y font avec une régularité et une lenteur qui permettent d’en surveiller la marche. Les pièces de fonte, au contraire, ne décèlent pas toujours l’affaiblissement de leur résistance, ce qui en rend l’usage incertain et dangereux. L’art du fondeur fut porté à un très haut degré entre les mains de véritables artistes, et les pièces de gros calibre des frères Keller, à qui l’on doit aussi les belles statues qui ornent les jardins de Versailles, sont encore au nombre des meilleures que nous possédions. Les calibres de 24, de 16, de 12, de 8 et de A furent adoptés, et l’on donna aux canons de vingt à vingt-quatre calibres de longueur, parfois même davantage pour les plus petits. Le poids variait entre deux cent vingt et trois cents fois celui du boulet. Il existait aussi, mais en fort petit nombre, quelques pièces de 32 et de 48. Remarquons en passant cette anomalie qui rendait les calibres les plus faibles proportionnellement plus lourds, quoiqu’il parût naturel de les employer de préférence pour suivre les armées. Autre complication : à chaque calibre correspondaient trois longueurs différentes de pièces, afin, disait-on alors, de mieux approprier les effets du canon à sa destination. Les affûts étaient très peu maniables, si bien que l’on attelait parfois jusqu’à vingt-cinq forts chevaux à une pièce de 24. Tel qu’il était cependant, cet ensemble attestait de sérieuses études ; on en était surtout redevable à l’infatigable persévérance de Louvois et aux travaux des généraux d’artillerie Dumetz et de Vigny. Les projectiles creux étaient déjà fort appréciés, mais d’une fabrication encore très imparfaite, ils se brisaient souvent dans l’âme sous la pression des fortes charges qui étaient en usage. Les éclats pouvaient blesser les canonniers, ou tout au moins ils éraflaient les pièces ; pour remédier à cet inconvénient, il fallait raccourcir beaucoup la bouche à feu, et c’était alors l’affût qui souffrait de la violence du recul. On était donc contraint pour les projectiles creux de se borner aux mortiers qui lancent les bombes sous un très grand angle, et dont les effets diffèrent complètement de ceux du tir horizontal[5]. Les bombes n’ont qu’une précision très inférieure, mais elles peuvent atteindre un but invisible, et ont pour destination principale d’écraser par leur chute les voûtes et les abris les plus solides. La réaction des mortiers s’exerce moins sur l’affût que sur le sol, ce qui en rend l’emploi très délicat dans la marine ; aussi les galiotes à bombes, dont Duquesne se servit contre Gênes et Alger, étaient une innovation très hardie, et présentaient un grand mérite de difficulté vaincue.

On éprouvait dans le principe une certaine perplexité sur les moyens à prendre pour mettre le feu aux projectiles creux au moment même où ils quittent la pièce, et l’on employait pour cela des mèches d’un usage souvent peu commode et peu sûr. Depuis longtemps, ce procédé a été abandonné, et l’on y supplée par une composition fusante renfermée dans un tube de bois ou même de métal, chassé à grands coups de maillet dans l’ouverture ou œil de la bombe. Cette fusée brûle dix, vingt, trente secondes, suivant la distance où l’on a l’intention de la faire parvenir. Quoique l’usage de ces fusées remonte à un siècle environ, il ne mangue pas de personnes soi-disant bien informées et même d’historiens sérieux qui racontent qu’à tel siège des hommes hardis allaient arracher les mèches des bombes pour les empêcher d’éclater. Or les bombes n’ont point de mèches, et les fusées ne peuvent s’enlever à la main ; il faut pour cela un effort très puissant. On peut regarder aussi comme des preuves d’ignorance ces caisses pleines d’eau où l’on a parfois prétendu jeter les bombes sous le prétexte de les éteindre. La composition des fusées, comme la poudre, renferme tous les élémens de sa combustion, et elle brûle sous l’eau tant qu’elle n’est pas pénétrée par l’humidité.

Depuis le règne de Louis XIV, l’artillerie française a toujours joui en Europe d’une prééminence incontestée. Malgré la réserve avec laquelle elle a adopté les innovations, elle a servi de modèle aux nations étrangères, qui se sont presque toutes bornées à la copier servilement. Elle a su joindre à une sage lenteur une persévérance invincible dans la poursuite des progrès. En 1732, un vétéran des armées, Valière, mis à la tête du corps de l’artillerie, fit faire un nouveau pas à l’uniformité du matériel. Il abandonna les calibres au-dessus de 24, et fit décider que toutes les pièces fondues en France seraient désormais d’un seul et même modèle pour chaque calibre, tandis qu’auparavant chaque arsenal avait des principes particuliers. Il diminua un peu la longueur et le poids des canons, et réduisit les charges de poudre au tiers du poids du boulet pour les gros calibres, à la moitié pour les petits, ce qui permettait d’avoir des affûts à la fois plus légers et plus solides. À ce dernier égard néanmoins, la routine prévalut encore, et chaque directeur d’arsenal continua de les fabriquer à sa fantaisie. Les canons du système de Valière, qui diffèrent peu des pièces dessinées par Dumetz, ont de si bonnes proportions que l’on n’y a presque rien changé pour la grosse artillerie, et ils sont à peu près conformes à ceux qui arment encore nos remparts, à ceux qui ont fait tomber les défenses de Sébastopol.

Il n’en est pas de même de l’artillerie de campagne : la pesanteur des pièces et des affûts, la difficulté de les faire mouvoir, causaient toujours d’étranges embarras. On s’en plaignait déjà sous Louis XIV ; mais quand le roi de Prusse eut donné l’exemple des marches rapides, des manœuvres imprévues, le mal devint intolérable, et il fallut bien reconnaître que le matériel n’était plus à la hauteur de l’art, militaire. Tout en reconnaissant ces défauts, personne n’osait en indiquer le remède. Ce fut un officier français qui eut le courage de l’initiative : Gribeauval, qui avait servi avec honneur pendant la guerre de sept ans, était un homme d’un esprit original, doué d’un jugement droit et d’une volonté inflexible. Il démontra l’inutilité du gros canon dans les batailles, où l’on ne doit agir que contre les hommes, non contre les obstacles matériels ; il raccourcit les petites pièces, dont il fixa le poids à cent cinquante fois celui du projectile ; les charges furent également réduites de la moitié au tiers. C’était diminuer l’effet de l’arme, mais ce désavantage était bien compensé par une mobilité plus grande et par un tir plus rapide. Pour obtenir ce résultat, il reprit la gargousse, oubliée depuis Gustave-Adolphe, fit adopter des avant-trains commodes, des essieux en fer pour les roues, imagina le pointage au moyen d’une vis dont on se sert encore et qui donne au tir une grande sûreté ; enfin, chose plus importante, il voulut que la fabrication fût identique dans tous les arsenaux, afin qu’une partie quelconque du matériel, venant à se rompre ou à se perdre, pût être remplacée immédiatement par une autre tenue en réserve. Pour diminuer le nombre de ces rechanges, il s’attacha aussi à établir l’uniformité parmi les diverses espèces d’affûts et de voitures. Depuis cette époque, le corps de l’artillerie apporte aux produits qu’il fabrique une attention si minutieuse, que le moindre clou a ses dimensions bien déterminées, et qu’une pièce en bois ou en fer faite dans un de nos arsenaux peut s’appliquer immédiatement et sans ajustage à une voiture ou à un affût venant de l’un quelconque des autres. L’affût à grandes flasques dont Gribeauval a donné le modèle est devenu populaire ; il a été représenté sur une foule de dessins et même sur des monumens destinés à rappeler les triomphes de l’armée française. Cet affût a fait toutes les campagnes de la république et de l’empire ; il a traversé les mers à la suite de nos soldats, et les bons services qu’il a rendus prouvent à quel point il répondait à tous les besoins. Aussi toutes les nations civilisées l’ont successivement adopté, et la plupart s’en servent encore. On peut dire qu’il a fait le tour du monde.

Les campagnes des dernières années de l’empire amenèrent l’usure et la perte de presque toute notre artillerie, celle de bataille surtout, car une grande partie des canons qui garnissaient nos places fortes ne purent être enlevés par l’ennemi, et c’est là que l’on rencontre aujourd’hui même d’anciennes pièces aux armes du grand roi, mutilées par la colère aveugle des révolutionnaires, mais solides encore, et respectables dans leur vieillesse. Ces restes dispersés ne constituaient plus un ensemble bien coordonné, et avant de les réorganiser, le gouvernement de la restauration voulut s’éclairer sur les améliorations dont l’ancienne artillerie était susceptible. Une commission de généraux de cette arme spéciale, où le général Valée eut une influence prépondérante, étudia toutes les parties du matériel, canons, affûts, voitures, avec le plus grand soin, et fit adopter les modèles aujourd’hui en service.

Le canon de siège de Valière, le canon de campagne de Gribeauval, ne furent modifiés que sur des points d’une importance secondaire. Parmi les pièces de campagne, le canon de 4 fut supprimé en raison de son peu d’efficacité, ceux de 8 et de 12 furent conservés à peu près tels quels. Les obusiers, qui avaient été très perfectionnés, furent admis dans une forte proportion ; on en porta le nombre dans chaque batterie à la moitié de celui des canons. Ceux de 15 centimètres[6] s’allièrent aux canons de 8, eurent le même affût et à peu près le même poids. Une batterie de six pièces de cette espèce, quatre canons et deux obusiers, fut en principe destinée à marcher avec chaque brigade d’infanterie. Les obusiers de 16 centimètres accompagnèrent les canons de 12 : ils formèrent la réserve. Des obusiers d’un calibre plus puissant, 22 centimètres, furent destinés aux parcs de siège ; on leur donna le même affût qu’aux canons de 24. Aujourd’hui, quoique les obusiers aient une longueur assez grande pour assurer la justesse et la portée du tir, les projectiles ne se cassent plus dans l’âme, ce qui est dû à une meilleure fabrication des obus, ainsi qu’à une plus sage répartition des effets de la poudre, obtenue par un plus savant tracé de la bouche à feu et par l’emploi de sabots en bois auxquels les obus sont fixés. On est obligé cependant pour ménager les pièces, et surtout les affûts, de se contenter pour ces projectiles fort lourds (un obus de 16 centimètres pèse près de 11 kilogrammes) d’une charge beaucoup plus faible que celle des canons, ce qui diminue la vitesse et restreint les portées.

Les affûts du nouveau système sont à flèche, pour augmenter le jeu des avant-trains, et pour donner aux pièces un tournant plus court, qui est souvent nécessaire. Une seule roue suffit à tout le matériel de campagne, l’essieu seul diffère dans les batteries de 8 et dans celles de 12 ; mais l’uniformité a été rétablie autant que possible dans toutes les ferrures et dans les pièces accessoires, afin de faciliter les remplacemens et de diminuer le nombre des rechanges. La mobilité ainsi obtenue est bien plus grande que dans le matériel de Gribeauval, mais la solidité a quelquefois paru inférieure, et les flèches en particulier ne supportent pas toujours très bien le tir des obusiers ; il a fallu augmenter un peu les dimensions premières. Une seule roue sert aux deux affûts de 16 et de 24, dont les dispositions sont analogues à celles des affûts de campagne.

À bord des navires de guerre, où la nécessité de ménager l’espace ne permet pas de donner une grande étendue au recul, où la bouche à feu ne s’éloigne que fort peu de sa position ordinaire, là marine se sert d’affûts très massifs, retenus par des cordages ou bragues, et dont l’effort s’exerce sur le pont et sur les bordages. Par économie d’ailleurs, et pour éviter la sonorité trop grande du bronze, on a préféré les pièces en fonte, auxquelles on donne un poids bien plus considérable, ce qui a aussi l’avantage d’atténuer l’intensité du recul. La bouche à feu n’a besoin d’exécuter que de très petits mouvemens latéraux, car le bâtiment lui-même tourne de manière à se placer dans la direction convenable. Ayant à satisfaire à des conditions tout à fait différentes, l’artillerie de terre et l’artillerie de mer ont poursuivi séparément leurs études, elles se sont habituées à demeurer totalement étrangères l’une à l’autre, au grand dommage de l’état dans bien des circonstances, car ce défaut de concours a exercé souvent une influence fâcheuse sur la recherche de perfectionnemens qu’il eût été mieux de faire en commun.

Les conditions de l’artillerie de terre ne s’éloignent pas toujours autant qu’on pourrait le penser de celles qui sont demandées pour les pièces marines, et malgré le désir d’assurer la plus grande uniformité dans le matériel, il faut reconnaître que les affûts de siège ne peuvent pas seuls satisfaire à toutes les exigences. Ainsi la facilité de locomotion que possède l’affût de siège devient inutile toutes les fois que les bouches à feu n’ont pas de mouvemens à exécuter, et l’on regrette alors certains avantages qu’on lui a sacrifiés. Pour placer une pièce de gros calibre derrière l’épaulement d’une fortification, il faut î’échancrer profondément, y faire ce qu’on appelle une embrasure ; l’impossibilité de donner à cette ouverture des Joues trop obliques réduit le champ du tir, et cependant les canonniers voient disparaître une partie du massif qui faisait leur sécurité. Gribeauval avait senti la gravité de ces inconvéniens, et il avait voulu y remédier en divisant l’affût en deux parties : l’une, supérieure et d’une forme particulière, supportait la pièce, dont elle partageait le mouvement de recul ; l’autre, inférieure, était une sorte de châssis muni de roues, afin de pouvoir prendre les directions latérales exigées par le pointage ; ce châssis était en outre muni de glissières pour diriger la marche de la partie supérieure, qui, on le voit, se trouvait à peu près dans la position de l’affût marin. Par cette ingénieuse division, dont le principe a toujours été conservé, on parvient à élever beaucoup la pièce, à réduire ou même à supprimer l’embrasure, à augmenter par suite le champ de tir ; mais, à mesure que la bouche à feu s’élève, le chargement devient plus pénible et plus difficile, et si les canonniers sont d’ordinaire mieux abrités par le parapet, ils sont forcés de se découvrir beaucoup plus pendant une partie de la manœuvre. Bien des efforts ont été tentés en France et à l’étranger pour atténuer ces défauts, mais on n’y peut guère parvenir sans retomber dans ceux que présente l’affût de siège. La difficulté a paru un moment insoluble, et si tel n’est plus l’avis général, on ne peut disconvenir qu’elle n’a pas encore reçu de solution pratique complète.

Les mortiers, dont nous n’avons que peu parlé, sont restés dans un état d’infériorité marquée relativement aux autres bouches à feu, et ils sont moins employés à mesure que les obusiers prennent plus d’importance. Le tir des mortiers offre en effet des causes spéciales d’incertitude, dont il ne paraît pas possible de les affranchir. Jusqu’à présent, ces pièces ont eu assez peu de longueur pour que les bombes pussent être placées à la main ; il faut donc augmenter beaucoup la quantité de poudre pour allonger la portée, qui ne dépasse pas un millier de mètres avec les charges ordinairement en usage. On a construit, à la vérité, des mortiers de formes particulières, portant à 4,000 mètres et au-delà, afin de répondre à des exigences spéciales ; mais il ne paraît pas que les résultats aient été bien satisfaisans. La force d’expansion de la poudre, dans cette bouche à feu, a pour effet d’élever la bombe à une grande hauteur, l’action de la pesanteur ralentit promptement la vitesse de translation, l’anéantit ensuite, et le projectile, parvenu au sommet de sa course, reste un moment incertain entre les deux forces qui le sollicitent ; il est pendant quelques instans livré sans défense à toutes les causes perturbatrices, et celles qui proviennent de sa rotation sur lui-même et de la résistance de l’air acquièrent parfois une très grande valeur. Aussi dans les écoles à peine une bombe sur deux mille atteint-elle, à la distance de 500 mètres, le tonneau qui sert de but, et qu’un boulet de gros calibre ne manquerait presque jamais. Cette incertitude du tir est très regrettée par les artilleurs, car les bombes, ayant un très grand poids (il s’élève à 72 kilog. pour la bombe de 32 centimètres), produisent, dans leur chute, des effets d’écrasement redoutables. Il faut qu’une construction ait des voûtes d’un mètre d’épaisseur pour résister, et on admet généralement qu’une seule bombe suffirait pour percer les trois ponts d’un vaisseau de ligne et l’exposer à couler sur place[7].

L’effet que peuvent produire les bombardemens est très controversé. Souvent l’on a essayé de réduire de haute lutte des places fortes par un bombardement, et malgré l’apparence effrayante de ce moyen de destruction, il est resté inefficace quand il s’est trouvé des hommes de tête et d’énergie pour diriger la défense. Peut-être n’en sera-t-il pas toujours de même à l’avenir, à cause de l’immense quantité de projectiles qu’il est devenu possible de lancer dans un temps très court ; mais il y a encore de fortes raisons d’en douter. La résistance de Lille en 1792 est un exemple mémorable, parmi beaucoup d’autres, de l’insuffisance des bombardemens seuls pour faire tomber les villes fortifiées. Le souvenir de ce siège célèbre nous semble même très propre à faire ressortir l’exagération des opinions généralement admises sur les dangers particuliers à ces actes de guerre, à préciser aussi la valeur incendiaire des projectiles creux, que l’on a crue supérieure à celle de tous les autres projectiles, et même irrésistible lorsqu’ils étaient remplis de matières inflammables. Des expériences directes ont prouvé que ni la poudre, ni aucun artifice incendiaire ne possède à un degré éminent, comme on se l’était figuré, le pouvoir de mettre le feu au bois et aux autres parties combustibles de nos habitations[8]. À moins de rencontrer des matières très inflammables, telles que du foin, des copeaux de bois sec ou des couvertures en chaume, les obus et les bombes n’allument pas directement des incendies. C’est surtout en renversant les maisons et en mettant les foyers qui s’y trouvent en contact avec les débris des planchers et des toitures, qu’ils peuvent occasionner des désastres considérables. Leur qualité de projectiles creux n’est pour rien dans cet effet, le canon le produirait également, et plus rapidement peut-être[9].

Les récits des bombardemens de villes ont rarement été faits par des hommes assez observateurs pour mettre cette vérité en relief ; il n’était pas impossible pourtant de la faire ressortir en comparant entre eux certains détails de ces relations. D’autres exemples permettent d’apprécier la puissance particulière aux deux causes d’incendie que nous mettons en regard, la démolition des maisons et l’explosion des obus. Il est sans exemple qu’une ville renversée par un tremblement de terre n’ait pas vu sa ruine achevée par le feu, et là il n’est plus question de poudre ni de bombe. Le 17 septembre 1854, la flotte anglo-française fit contre Sébastopol une démonstration, restée sans succès pour des motifs qui ne sont pas de notre sujet ; en quatre heures de temps, elle vomit cinquante mille projectiles, boulets ou obus, ce qui représente en poudre et en fer un poids de plus d’un million de kilogrammes. Rarement pourra-t-on disposer d’une semblable masse de projectiles dans un temps aussi court. Qu’a-t-on produit cependant sur l’espace si vaste exposé aux coups de la flotte anglo-française ? Comme effet de destruction, peu de chose ; comme effet incendiaire, absolument rien. C’est le cas ou jamais de répéter que le ministre des finances doit seul trembler à l’idée d’un pareil déploiement de forces. Certes nous sommes loin de nier l’efficacité d’un bombardement, nous voudrions seulement le faire apprécier à sa juste valeur, et nous pensons qu’il n’offre pas les dangers d’une simple canonnade, dont on s’inquiète beaucoup moins. Il est possible, par de sages mesures, telles que l’extinction des foyers dans les maisons, l’éloignement des pailles et autres matières combustibles, surtout par une surveillance exacte, de réduire dans une énorme proportion, d’annuler même les désastres causés par les projectiles creux. Le projectile véritablement incendiaire de l’artillerie moderne est le boulet rouge, à peu près abandonné aujourd’hui à cause du temps très long nécessaire pour l’échauffer et de la difficulté de le faire manœuvrer par les canonniers. Cet abandon ne paraît pas bien justifié, car le boulet rouge est redoutable ; la quantité de chaleur qu’il contient est énorme, et il produit des effets assurés. Un seul boulet a obligé en 1815 la ville de Maubeuge à capituler, en réduisant en cendres l’église principale et tous les magasins qu’elle contenait. Les dangers que présente pour les canonniers le tir des boulets rouges sont plus apparens que réels, car les bouchons de foin mouillé qui séparent la charge du boulet offrent une garantie suffisante ; mais la vapeur qui sort du canon à flots pressés jette le trouble parmi les servans, et l’on n’obtient aucune précision, s’ils ne sont des soldats sûrs et expérimentés comme il ne s’en rencontre que trop rarement.


II

Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, on le voit, il n’y avait jamais eu en aucun pays de système d’artillerie complet et coordonné. Depuis, on a marché d’une manière lente, mais continue, vers la simplification du matériel. En France, depuis la guerre de Crimée, de grands pas ont été faits dans cette voie, et à l’étranger les mêmes principes ont conduit à des améliorations partielles du matériel de Gribeauval, adopté successivement partout et mis en rapport avec les mesures locales. Un progrès important surtout fut réalisé ; il consistait à réduire à une seule pièce les deux canons et les deux obusiers en usage dans l’artillerie de campagne. On s’appuyait à la fois pour cela sur des considérations théoriques et sur des faits d’expérience.

Si l’on augmente la vitesse d’un projectile, avons-nous dit, la résistance de l’air s’accroît dans une proportion beaucoup plus rapide. En voici un exemple. Le boulet de 12, avec une charge du tiers de son poids, sort de la bouche à feu animé d’une vitesse qui, si elle restait constante, lui ferait parcourir 490 mètres par seconde ; à 50 mètres du canon, cette vitesse n’est plus que de 462 mètres, précisément celle qui aurait été imprimée par une charge du quart du poids du projectile. N’est-il pas avantageux de réduire dans cette proportion la quantité de poudre, ce qui ne supprimerait que les 50 premiers mètres parcourus par le boulet ? La portée serait diminuée d’une quantité insignifiante, et outre l’économie qui en résulte (un demi-kilogramme à chaque coup), la pièce n’aurait à supporter qu’un effort beaucoup moindre, ce qui permettrait d’affaiblir l’épaisseur du métal et d’alléger l’affût. Diverses considérations conduisaient à supposer qu’il serait possible de donner aux pièces de 12 ainsi allégées à peu près le poids et les dimensions extérieures des canons de 8. Cela était très important, car en les mettant sur les affûts de ces derniers, on pouvait utiliser un matériel existant et fort considérable. Par une rencontre fortuite, l’âme des canons de 12 a presque exactement 12 centimètres ; c’est le calibre d’obusiers fort légers, imaginés pour satisfaire aux exigences de la guerre d’Afrique et construits de manière à être démontés très vite et chargés sur des mulets de bât. Ces obusiers de montagne suivaient les colonnes les plus lestes, mais ils ne pouvaient recevoir qu’une très faible charge, et les obus avaient par suite peu de portée et de justesse. En introduisant ces obus dans une bouche à feu plus résistante, capable de recevoir une plus forte charge, on pouvait espérer qu’ils donneraient de meilleurs résultats. La pièce allégée devenait alors un véritable canon-obusier, envoyant à volonté à l’ennemi des projectiles pleins ou creux, ou même de la mitraille. À l’appui de la transformation proposée, il était possible de citer l’allégement opéré dans quelques bouches à feu des artilleries étrangères. Des expériences furent faites sur une grande échelle dans plusieurs polygones. Le canon-obusier se montra supérieur comme tir à toutes les pièces anciennes, excepté au canon de 12, dont il différait fort peu, et sur lequel il avait l’avantage de la légèreté. L’artillerie ne l’adopta pas cependant sans quelque hésitation, car les tirs des écoles ne donnent souvent qu’une image très imparfaite de ce qui se passe à la guerre. Beaucoup d’officiers regrettaient l’abandon de pièces plus puissantes, telles que le canon de 12 et l’obusier de 16 centimètres, car pour l’obusier de 15 centimètres, il n’avait jamais donné que de médiocres résultats.

La guerre d’Orient devait faire justice de ces craintes : dès les premières affaires, l’artillerie de campagne française prit une supériorité décidée sur celle des Russes. À la bataille de l’Aima, les deux premières pièces qui avaient gravi la hauteur, à la suite du général Bosquet, purent se maintenir quelque temps seules contre plusieurs batteries ennemies. Au centre, deux batteries à cheval, croisant leur feu sur les bataillons russes qui soutenaient les tirailleurs avancés, les détruisirent en quelques minutes, et livrèrent à la troisième division le chemin qu’elle suivit pour enlever la position du télégraphe. On sait enfin quelle terrible exécution les canons-obusiers firent un mois plus tard à la sanglante bataille d’Inkerman. Dès lors la cause était décidément jugée, et il ne s’agissait plus que de compléter la transformation de l’artillerie de campagne. Pour ne pas refondre les canons de 8, on essaya de les forer au calibre de 12. Non-seulement l’opération se trouva bonne ; mais, par une chance heureuse qui fait bien voir ce qu’il y a encore d’incertitudes dans les questions relatives aux bouches à feu, cette pièce de rencontre est regardée par beaucoup d’officiers comme supérieure à celle que l’on avait déterminée par le calcul.

Tout avantageuse que soit cette réforme, elle paraît cependant devoir s’effacer devant les améliorations plus importantes qui s’exécutent en ce moment, et dont la guerre d’Italie a consacré le succès. Appliquer aux canons le système des rayures, dont l’avantage est si grand pour les carabines, était une idée trop naturelle pour ne pas se présenter tout de suite à l’esprit ; mais l’exécution offrait d’immenses difficultés. Si le plomb métal très mou, se moule sans obstacle sur le fer du fusil, la fonte dont sont faits les gros projectiles ne jouit pas de cette propriété, et dans la pression que ceux-ci exercent sur la bouche à feu, c’est cette dernière qui se dégrade. Faire des boulets en plomb a été proposé, ce n’était pas acceptable ; ils coûteraient fort cher, et le peu de dureté du métal les rendrait sans action contre des obstacles résistans. Les procédés employés pour les petites armes ne réussissent donc plus, lorsqu’il s’agit de celles d’un gros calibre, et il faut recourir à d’autres moyens.

Le premier essai dans une voie originale appartient à l’Angleterre[10]. On se souvient peut-être de la réputation faite il y a cinq ou six ans aux canons Lancastre, et de la grande portée qu’on avait réussi à leur donner. Comme pour les carabines, ce résultat était dû à la rotation imprimée au projectile. Seulement l’âme, au lieu d’être munie de rayures hélicoïdales, était contournée elle-même, et le boulet, de forme ovoïde, faisait un quart de révolution autour de, son petit axe avant de sortir de la bouche à feu. Une telle disposition était une cause grave d’accidens. Le boulet, pressé obliquement, pouvait s’arc-bouter de telle sorte qu’il devînt impossible de le faire entrer ou sortir ; c’est ce qui est arrivé : au bout de quelques coups, toutes les pièces envoyées en Crimée éclatèrent ou se trouvèrent hors de service. C’était un résultat peu encourageant, et force fut de revenir aux rayures.

Les efforts tentés en France et en Angleterre ont été depuis lors couronnés de succès, et ils ont conduit à deux solutions principales du problème, sans compter plusieurs modèles, qui n’ont pas paru, jusqu’à présent du moins, offrir des avantages suffisans. L’idée française a surgi la première, et la première aussi elle a été mise à exécution. On la doit au colonel Treuille de Beaulieu, directeur de l’atelier de précision, où se font tous les modèles régulateurs qui servent dans les arsenaux. Sous son habile direction, cet établissement est devenu aussi un centre d’expérimentation sur les perfectionnemens à introduire dans l’artillerie, analogue à ce que l’école de tir est pour les petites armes. Après plusieurs essais, le colonel Treuille de Beaulieu a résolument adopté les rayures inclinées et régulièrement placées, afin de bien centrer le mouvement de rotation. Trois rayures pourraient suffire à la rigueur ; mais ce nombre a été porté à six pour le canon de campagne. Le boulet est allongé, et il a, comme la balle des carabines, la forme ogivo-cylindrique. Quoiqu’il soit creux comme les obus, il pèse, d’après les dimensions fixées, à peu près le double d’un boulet rond de même diamètre, et son épaisseur lui donne toutes les qualités d’un boulet plein. À sa circonférence, il porte des entailles ou mortaises dont la position répond à celle des rayures, et qui servent à fixer des ailettes d’un métal assez doux pour ne pas dégrader la pièce, assez consistant pour ne pas être arraché avant d’avoir dépassé la tranche de la bouche à feu. Le zinc et l’étain satisfont assez bien à ces deux conditions. Ces ailettes, en suivant les rayures, déterminent le boulet à prendre autour de son axe un mouvement de rotation qui le garantit des déviations et des retards que les projectiles ordinaires éprouvent dans leur course. Il a fallu de nombreux essais pour déterminer l’inclinaison des rayures, la forme et la position des ailettes les plus capables de retarder l’usure toujours trop rapide de la bouche à feu. On avait pensé d’abord qu’il suffirait d’une ailette pour chaque rayure, mais le boulet n’a point alors une position assez assurée, il peut s’arc-bouter, et l’on a dû admettre deux séries d’ailettes, l’une vers le milieu, l’autre à la partie postérieure du projectile. La suppression assez complète du vent et rallongement de portée obtenu dans les canons rayés permettent de réduire notablement les charges. Au lieu du tiers ou du quart, elles ne sont plus que le dixième du poids du boulet. La pièce et l’affût, allégés déjà lors de l’adoption du canon-obusier, sont donc susceptibles d’une nouvelle diminution de poids. En même temps, l’augmentation du poids du boulet a conduit à tenter l’emploi de canons répondant à l’ancien calibre de 4, abandonné comme trop peu efficace, ce qui donne des bouches à feu presque lilliputiennes. Beaucoup de ces pièces nouvelles ont servi pendant la campagne d’Italie, la portée et la justesse du tir les ont rendues redoutables à l’ennemi, qui, n’en possédant pas de semblables, était atteint sans avoir les moyens de répondre à leur feu. Quelquefois même les boulets ont été chercher des réserves qui se croyaient parfaitement abritées, et que la distance ne permettait point à nos canonniers d’apercevoir, car une portée de 4,000 mètres n’a pas paru fatiguer les affûts. C’est ainsi qu’à la bataille de Solferino ont été décimées les troupes laissées sur les bords du Mincio à la garde des sacs des combattans. Ces petites pièces sont assez légères pour être traînées par deux chevaux. Au besoin même, s’il se présente un pas difficile à franchir, les servans les enlèvent des affûts et transportent le tout à bras jusqu’au-delà de l’obstacle, manœuvre dont l’utilité s’est fait sentir plusieurs fois pendant la campagne. La mobilité de l’artillerie semble ainsi poussée à ses dernières limites.

La transformation de l’artillerie légère, telle que nous venons de l’exposer, peut aussi être appliquée aux calibres plus forts, et elle permettra sans nul doute de constituer des parcs de siège avec les anciens canons de 12 du matériel de campagne ; on peut douter cependant que ces canons de 12 ainsi transformés puissent remplacer ceux de 24, aujourd’hui en usage, avec une supériorité égale à celle du nouveau canon de campagne sur l’ancien. La raison en est simple et frappante. S’il s’agit d’atteindre des hommes, de renverser les obstacles toujours médiocres que rencontre une armée en marche, l’effet du boulet est toujours suffisant, la justesse et la portée sont les principales conditions à remplir, et par conséquent l’obus de 4 kilogrammes de la pièce légère l’emporte sur les boulets de 8 livres de l’ancien canon ; mais dans un siège la lutte, de si loin qu’on l’entreprenne, ne devient jamais sérieuse qu’à une courte distance : il faut s’approcher beaucoup pour voir et pour détruire les défenses de la place ; alors l’effet se mesure non-seulement par la masse des projectiles, mais surtout, dans quelques circonstances, par la vitesse dont ils sont susceptible : , et qu’il importe de ne pas trop diminuer. Or les armes rayées n’impriment jamais au boulet une aussi grande vitesse que les armes lisses ; il faudra donc peut-être, pour obtenir le même effet, dépenser un plus grand nombre des nouveaux boulets, ce qui pourra compenser en partie l’avantage de se servir de pièces plus légères et plus maniables.

Une circonstance assez singulière se présente dans le tir des bouches à feu rayées. Elles ne doivent jamais être dirigées sur le but même que l’on veut atteindre, mais à droite, et d’une quantité assez forte, si les hélices tournent de ce côté, à gauche, si les hélices tournent à gauche. Cela peut sembler bizarre au premier abord ; mais la théorie prévoyait ce résultat, et en avait indiqué la cause. La force retardatrice due à la résistance de l’air agit inégalement sur les deux moitiés du projectile, comme nous avons essayé de l’expliquer en parlant du tir des carabines et de la dérivation des balles : l’action qui en résulte, peu sensible sur des projectiles d’un petit diamètre, devient considérable sur des boulets de calibre. Il faut alors, afin de pouvoir viser, que la ligne de mire ne suive pas l’axe de la bouche à feu, mais lui soit oblique, et le déplacement des crans de mire doit être déterminé pour chaque calibre et pour chaque charge. D’après la théorie, la déviation angulaire doit même varier avec la distance ; ainsi il sera possible sans doute, par des observations suivies sur le tir du canon, d’éclaircir quelques points obscurs des lois du mouvement des corps dans l’air, et l’application rendra cette fois à la théorie les secours qu’elle en a reçus.

L’adoption des rayures pour les petites armes avait permis d’accroître les portées dans une forte proportion. Il était naturel d’attendre pour les canons un résultat analogue. L’ancienne artillerie de campagne avait un tir excellent jusqu’à 600 mètres, satisfaisant jusqu’à 1,200, peu certain jusqu’à 1,800. Au-delà, il ne fallait compter que sur le hasard. La justesse du gros canon était un peu plus grande, mais le tir extrême ne devait pas dépasser 2,500 mètres, sous peine de détruire promptement les affûts. Aujourd’hui les pièces légères sont redoutables au-delà de 4,000 mètres, et, plus résistantes, elles auraient un tir d’une grande exactitude à 6 ou 7,000, s’il était possible de distinguer un but à cette distance, où la vue, même aidée d’une lunette, ne saurait que rarement atteindre, dans les plaines surtout. Il semble donc que l’on a obtenu sous ce rapport tout ce que l’on pouvait souhaiter, et même plus ; toutefois ces grands avantages ont exigé le sacrifice d’une propriété utile de l’ancienne artillerie : nous voulons parler du ricochet. Cette invention, due à Vauban, consiste à placer le canon sur le prolongement d’un rempart, pour lancer à petite vitesse de gros boulets qui en parcourent toute la longueur par des bonds rasans et multipliés. Le ricochet devient fort difficile avec les boulets sortis d’une pièce rayée, car sans parler de leur forme, peu avantageuse pour ce genre de tir, ces projectiles perdent, chaque fois qu’ils touchent le sol, une partie de leur mouvement de rotation ; la dérivation s’affaiblit d’autant, et ils se rapprochent de la direction de l’axe de la bouche à feu qu’ils avaient abandonnée. Les ricochets n’ont donc plus lieu en ligne droite, mais suivant des directions qui s’infléchissent à chaque bond en s’éloignant du rempart à battre. Peut-être les artilleurs se consoleront-ils de cette perte en se rappelant combien le tir à ricochet était difficile, et avec quel soin scrupuleux il fallait déterminer l’emplacement de la batterie et le prolongement des lignes de la fortification, avec quelle précision il fallait mesurer les distances et les charges de poudre. Depuis Vauban même, le ricochet n’a presque jamais été employé ; depuis lors aussi, il faut bien le reconnaître, les sièges, que ce grand homme dirigeait avec une si grande sagacité et une si soigneuse économie de la vie du soldat, sont devenus plus meurtriers, et ses successeurs ont acheté leurs triomphes par une consommation bien plus grande d’hommes et de munitions.

Tous les perfectionnemens que nous venons d’exposer sont surtout avantageux pour l’artillerie de campagne : les pièces fixes, qu’elles aient pour objet la défense d’une place forte ou l’armement d’un navire de guerre, n’en profitent pas au même degré. Le plus grave inconvénient de l’artillerie fixe consiste en effet dans la difficulté de la manœuvre. Il faut à chaque coup reporter la lourde bouche à feu dans la position que le recul lui a fait abandonner ; les servans sont obligés de se découvrir en partie pendant le chargement, ce qui rend le service dangereux sur les navires de guerre, dangereux et lent dans les batteries fixes, où l’on n’a pas, comme sur les vaisseaux, la disposition d’un nombreux personnel. D’après l’appréciation la plus ordinaire, un canon de gros calibre placé sur un rempart ou dans une casemate ne peut guère tirer plus d’un coup tous les quarts d’heure. Une telle lenteur n’est pourtant pas nécessairement inhérente aux batteries fixes, et on a souvent cherché à en accélérer le tir par de meilleures dispositions d’affût. On n’avait pourtant pas gagné grand’chose, et, comme il arrive le plus souvent, c’est à un principe nouveau qu’il faut avoir recours pour éviter les inconvéniens des modèles en service. Le chargement par la culasse paraît destiné à servir de base aux perfectionnemens à introduire, et il sera bizarre de le trouver approprié aux canons plus tôt qu’aux fusils. Lorsqu’on ne sera plus forcé de porter le boulet à la bouche du canon, il deviendra possible de diriger le recul sur un plan assez incliné pour ramener la pièce à sa position première sous la seule influence de son poids ; les servans, ayant toujours leur poste à l’arrière de la bouche à feu, seront aussi infiniment moins exposés. Très anciennement déjà, ces faits avaient frappé l’esprit des militaires, et le père Daniel, dans son intéressante Histoire de la milice française, mentionne un canon qui devait se charger par la culasse. À cette époque, on ne possédait pas les moyens d’exécution nécessaires pour appliquer cette idée avec quelques chances de succès, et elle était reléguée au nombre des utopies. Depuis une quinzaine d’années, des essais tentés en Piémont par le capitaine Cavalli, en Suède par le baron Wahrendorf et M. Hanström, ont ramené l’attention sur ce point. M. Wahrendorf surtout, riche propriétaire de mines, a cherché à répandre des procédés qui pouvaient à la fois populariser son nom et faciliter l’écoulement des produits de ses usines.

La grande difficulté était d’obtenir une fermeture très complète de la culasse. S’il n’est pas aisé en effet d’empêcher le crachement de la petite quantité de poudre renfermée dans un fusil, ne doit-on pas regarder comme chimérique l’espoir d’interdire tout passage à l’énorme quantité de gaz qui se développe dans une grosse bouche à feu ? Dans les canons piémontais et suédois, on a essayé de réunir la culasse à la volée du canon[11], soit par des crochets serrés avec des coins qui l’agrafent à un bourrelet de la volée, soit en introduisant la partie mobile dans une ouverture ovale contre les rebords de laquelle elle est maintenue par des arrêts intérieurs. Quelque choix que l’on fasse entre ces deux procédés, la fermeture est insuffisante et ne résiste point à l’énorme pression de la poudre. Il faut de toute nécessité préserver la culasse de l’action des gaz au moyen d’une pièce transversale, un obturateur, qui traverse la volée de part en part. Voilà donc trois ouvertures à faire dans la partie du canon qui a besoin de la plus grande résistance, trois chances offertes à une déperdition de gaz. L’obturateur, s’il préserve assez bien la culasse, prend à son compte le plus grand effort de la pression ; aussi, pour éviter qu’il ne se brise, le fait-on en acier fondu de la meilleure qualité, et malgré cette précaution il ne peut jamais résister qu’à un petit nombre de coups. Cet inconvénient ne serait encore que médiocre, attendu la facilité d’avoir des rechanges pour une pièce aussi peu volumineuse, mais il est à craindre que l’obturateur, venant à se fausser, ne puisse être retiré, ou qu’il ne déforme l’ouverture destinée à lui donner passage. Le mal alors serait irréparable, les fuites de gaz, si faibles qu’elles soient d’abord, s’accroissent avec une désolante rapidité ; le tir perd de sa justesse, et devient bientôt dangereux pour les canonniers. Aussi aucun des inventeurs suédois ou piémontais n’est-il parvenu, malgré des qualités réelles, à faire passer son système dans la pratique. Il était réservé à un Anglais, M. Armstrong, d’obtenir le premier un tel honneur. Son arme est peu connue encore malgré tout le bruit qui s’est fait à ce propos, et la réputation qu’elle a value à l’auteur. Toutefois des renseignemens assez précis donnent lieu de penser qu’il y a quelque exagération dans les éloges qu’on lui a prodigués, et le gouvernement britannique s’est peut-être un peu trop hâté de fabriquer un grand nombre de canons sur un modèle nouveau dont l’idée première a beaucoup de valeur sans doute, mais qui n’a encore reçu ni la sanction d’une expérience prolongée, ni toutes les améliorations dont il est susceptible.

Plus qu’en toute autre circonstance cependant, il est nécessaire d’étudier avec une attention scrupuleuse la valeur de chacune des dispositions proposées par M. Armstrong, qui a donné librement carrière à son esprit inventif en modifiant tout ce qui avait été adopté par ses prédécesseurs. L’application des rayures aux bouches à feu, en permettant de diminuer les charges, affaiblissait dans la même proportion la pression sur la culasse et augmentait les chances d’obtenir un bon système de fermeture. M. Armstrong a dédaigné ces avantages ; en se servant de charges très fortes, il a réussi à envoyer des boulets jusqu’à la distance de neuf mille yards, environ 8 kilomètres, on a dit même neuf milles, ce qui ferait plus de 14 kilomètres. La grande quantité de poudre employée par lui anime les projectiles d’une force vive très considérable, car, d’après les résultats publiés, un boulet oblong, d’un calibre analogue au 8 français et pesant un peu plus de huit kilogrammes, aurait percé, à 900 mètres, une cible en bois d’orme de trois pieds d’épaisseur, et ne se serait arrêté qu’à 360 mètres au-delà. Un tel résultat n’a rien d’invraisemblable et ne dépasse pas ce qu’il était permis d’attendre. Les anciens canons n’auraient pas été assez solides pour supporter un semblable effort, et il a fallu prendre des dispositions spéciales pour augmenter la résistance des parois. M. Armstrong y est parvenu en substituant au bronze le fer forgé, qui est plus tenace, et qui a la propriété d’absorber une moindre portion de la chaleur développée par la combustion de la poudre. Malgré les progrès récens de l’art de forger les grosses pièces de fer, on n’avait pas cru, en France, pouvoir adopter le modèle de canon en fer proposé, il y a quelques années, par les maîtres de forges d’Audincourt, et qui à figuré à l’exposition générale de 1855. Pour éviter ces difficultés si grandes de fabrication, M. Armstrong compose son canon d’une bande de fer enroulée autour d’un mandrin et soudée sur elle-même, comme le sont les canons à rubans des fusils de chasse : une seconde bande est enroulée en sens inverse sur la première, et la partie postérieure du canon est recouverte de cercles en fer. Les soudures, qui sont naturellement des parties faibles, se recroisent ainsi, et une explosion est rendue beaucoup plus difficile. La culasse ne se réunit pas à la volée par les mêmes moyens que dans les canons suédois et piémontais : elle est formée d’une forte vis, dont la grosseur dépasse celle de l’âme, qu’elle ferme complètement ; comme dans le système Wahrendorf, elle est préservée de l’action directe de la poudre par un obturateur qui traverse complètement une des parois et s’engage seulement dans l’autre. Le nombre des ouvertures de la partie postérieure du canon est donc réduit à deux, et c’est par elles que se fait le chargement. Le boulet affecte la forme cylindro-conique, il est en fonte douce et creux à l’intérieur, comme tous les projectiles nouveaux. La volée du canon, devant résister à de très grands efforts, n’a pas été affaiblie par des rayures profondes, comme dans le système français ; les rayures sont nombreuses et petites, trop petites pour recevoir des ailettes : aussi le boulet n’en porte-t-il pas. Il est recouvert d’une lame de plomb, et comme il offre un diamètre un peu supérieur à celui de l’âme, le plomb est contraint de se mouler dans les rayures, de s’y forcer en un mot, comme le font les balles dans les carabines. C’est ainsi que l’on assure le mouvement de rotation destiné à maintenir la régularité de la trajectoire. De même que les nouveaux fusils prussiens, les canons Armstrong n’ont pas de lumière, la charge contient une amorce fulminante dont l’inflammation est déterminée par une tige qui traverse à frottement doux la vis qui sert de culasse.

Cette description succincte fait voir que le système anglais présente une complication toujours fâcheuse dans une arme de guerre, pour laquelle la simplicité est la première condition de la solidité et de la durée du matériel. Non-seulement la soudure des grosses barres qui forment le canon est très difficile à faire, mais les défauts, s’il s’en trouve, ne sont pas apparens, en sorte que rien n’en trahit l’existence. Un inconvénient analogue existe pour les boulets : la couche de plomb recouvre la fonte en totalité, ce qui ne permet pas de vérifier si elle a une épaisseur uniforme et si le projectile est bien centré. Il paraîtrait enfin que l’on n’a pas encore obtenu une obturation parfaite, et il faut, dit-on, recourir à des dispositions accessoires pour garantir les canonniers du crachement. S’il en est ainsi, on peut prédire une courte durée à ces bouches à feu si coûteuses à forger. Le prix d’un tel canon ne saurait être évalué à moins de 12,000 francs. Quant au danger résultant de la présence d’une amorce fulminante au milieu des gargousses, c’est une disposition qui ne tient pas au système, et on y renoncera probablement, au moins toutes les fois que les canons ou les munitions auront à supporter des transports. Malgré ces critiques, les travaux de M. Armstrong constituent un progrès très sérieux dans l’art de fabriquer les bouches à feu, et comme les nations civilisées doivent forcément, sous peine de déchoir de leur position, se maintenir au niveau des perfectionnemens obtenus par l’une d’elles, elles suivent toutes la voie qui vient de leur être indiquée, et il est à croire qu’avant peu d’années elles auront des armes perfectionnées, dont la première guerre montrera l’influence sur les opérations militaires. On ne saurait en effet demander au soldat d’affronter le feu de l’ennemi sans lui donner au moins les moyens de riposter.

Déjà l’émulation produite par la découverte de M. Armstrong commence à porter ses fruits. La France cache avec soin des expériences qui ont donné des résultats aussi favorables que ceux obtenus en Angleterre. La Prusse est à la veille d’adopter un système de chargement par la culasse pour les canons de petit calibre, elle espère ainsi accélérer la manœuvre, quoiqu’on ne se rende pas bien compte de l’avantage de ce procédé pour l’artillerie de bataille. En Angleterre même, un fabricant de machines de précision, M. Witworth, a produit des armes qu’il annonce être supérieures à celles de son concurrent : la pièce qui ferme la culasse ne s’enlève pas entièrement, elle est retenue par une charnière, ce qui paraît préférable ; il parvient aussi à pousser les rayures dans l’intérieur de l’âme plus loin que ne l’avait fait son devancier, amélioration douteuse, car il peut être mieux de réserver entre la charge et le projectile un certain vide, analogue à celui que le général Paixhans a établi autour de ses charges allongées. Le canon Witworth ne paraît pas atteindre d’aussi grandes portées que celui d’Armstrong. Tous deux présentent des difficultés de fabrication qui ne peuvent être vaincues que par des ouvriers très habiles et au moyen d’un outillage parfait ; certaines complications de détail prouvent que les auteurs de ces canons sont plus familiarisés avec les artifices de la mécanique qu’avec les nécessités de la guerre. La variété des procédés que l’on essaie fait bien voir qu’aucun d’eux ne satisfait complètement les inventeurs, et qu’il reste beaucoup à faire pour que les idées nouvelles puissent être régulièrement appliquées par l’artillerie. Mais quelle invention a jamais atteint ce résultat de prime abord ? et n’est-ce pas déjà beaucoup d’avoir un tir encore exact dans des conditions d’éloignement auxquelles il y a peu d’années on n’osait pas même penser ?

Il ne faudrait pas s’exagérer cependant l’importance des effets que l’on peut obtenir à d’aussi grandes distances que celles où peuvent maintenant parvenir les boulets. Dans l’avenir comme aux temps passés, il faudra toujours établir une distinction capitale entre la portée extrême et la portée utile du canon. L’application du carabinage aux petites armes ne pouvait présenter que des avantages lorsqu’il s’agissait d’étendre le tir exact de 200 mètres à 8 ou 900. Maintenant que l’on prétend aller jusqu’à 12 ou 1,500, n’y aurait-il aucune réserve à faire ? L’imperfection de nos sens ne rendra-t-elle pas tout à fait illusoire la précision que l’on s’efforce d’atteindre ? Les mêmes considérations se présentent à l’égard du canon, mais pour des distances bien plus grandes, car la stabilité qui résulte d’un point d’appui sur le sol le met jusqu’à un certain degré à l’abri des causes d’inexactitude qui agissent sur les armes portatives. En dépit pourtant des résultats obtenus dans les polygones, il est difficile d’espérer un tir bien exact à des distances de 6 ou 8,000 mètres. Quels sont donc les objets que l’on pourrait apercevoir d’aussi loin ? Et quand même ils deviendraient distincts, serait-il possible d’observer la chute des boulets et de rectifier le tir, si, par suite d’une erreur d’appréciation, les premiers coups ne se trouvaient pas bons ?


III

L’artillerie est maintenant dans une période de transformation, dont les bases semblent arrêtées en ce qui concerne le canon de campagne, tandis qu’il règne encore une assez grande indécision pour le canon de gros calibre. On doit donc se demander où s’arrêteront, dans un avenir prochain, les progrès de l’artillerie ; question à laquelle succède aussitôt cette autre : quel changement en résultera-t-il dans le système des guerres ?

Quoique l’avenir soit toujours pour nous un livre hermétiquement fermé, il est possible, jusqu’à un certain point, de juger, d’après le passé et le présent, des tendances prochaines d’un art ou d’une science, comme on voudra appeler l’artillerie. Des efforts, nullement dissimulés d’ailleurs, se font partout pour accroître la mobilité et la puissance des armes de guerre. C’est le but que l’on a poursuivi par l’adoption des rayures et des projectiles allongés, par la réduction des calibres et l’allégement des affûts. M. Armstrong, s’ouvrant une voie nouvelle, a recherché des vitesses excessives, qu’il n’a pu obtenir sans avoir des canons très résistans et très lourds ; il a dû revenir aux pièces très longues des anciens temps, au cerclage, tel qu’on l’employait lorsque l’artillerie était encore dans son enfance. C’est le contre-pied des progrès réalisés pour le canon de campagne. À la vérité, les gros calibres ne sont pas soumis aux mêmes conditions, leur rôle est de renverser les obstacles les plus puissans ; mais pour en triompher est-il préférable d’augmenter la vitesse ou le volume des projectiles ? C’est ce qui n’est pas encore décidé. Un boulet animé d’une grande vitesse est susceptible de produire de grands effets de pénétration ; mais la résistance de l’air agit avec une intensité qui sera toujours invincible, et qui semble marquer des bornes étroites à tous les efforts de l’homme pour accroître les vitesses. Il faut aussi se rendre bien compte de la valeur réelle des effets de pénétration. Une balle tirée de près dans un carreau le perce simplement d’un trou, tandis que de loin elle le fait volet en éclats. De même un boulet à grande vitesse ne fait dans la coque d’un navire qu’une ouverture réduite aussitôt par l’élasticité des fibres à un diamètre moindre que celui du projectile, et un bouchon suffit à l’étancher : s’il arrive plus lentement au contraire, il ne pénètre pas, mais son choc disloque toute la membrure. Sous ce rapport, les grandes vitesses exposent peut-être à des mécomptes dont la recherché de l’augmentation des calibres semble exempte. Les bouches à feu d’une grande dimension, et nous en avons cité plusieurs exemples, ont été employées autrefois ; il est donc possible de s’en servir encore en les améliorant au moyen des connaissances plus étendues que nous possédons maintenant. On fait valoir en faveur des projectiles doués d’une grande rapidité qu’un boulet de 15 kilogrammes, animé d’une vitesse de 500 mètres par seconde, possède exactement la même force vive qu’une masse de fonte de 37,500 kilogrammes parcourant seulement 10 mètres par seconde, c’est-à-dire marchant avec la rapidité d’un train express. Cela est vrai ; mais qui oserait comparer les effets du choc dans les deux cas ? La puissance de destruction d’un boulet, quelle qu’en soit la vitesse, approchera-t-elle jamais de celle d’une locomotive venant à toute vapeur à la rencontre d’un convoi ? Tout en reconnaissant l’utilité d’étendre la portée et la justesse du tir jusqu’aux plus extrêmes limites de la vue distincte, il nous semble donc que les officiers anglais n’ont pas envisagé très sainement l’avenir de l’artillerie en s’attachant avec persistance à la recherche de vitesses et de portées exagérées, et en négligeant les avantages plus solides, quoique moins brillans, du tir des très gros projectiles.

Un autre progrès non moins important que l’amélioration des bouches à feu, c’est la célérité des manœuvres, qui, pour les gros calibres, est restée très inférieure à ce qu’elle est dans l’artillerie de campagne : une telle différence ne saurait subsister, et la modification du canon entraînera nécessairement celle du chargement et du pointage. La marine paraît disposée à prendre l’initiative d’innovations à cet égard. De même qu’au moment du combat elle consacre tous ses matelots au service de l’artillerie, elle ne paraît pas éloignée d’approprier aux mêmes fonctions les machines qui se chargent de suppléer à l’action inconstante du vent. Il y a là, selon nous, le germe d’une idée féconde et dont l’application ne doit pas se borner à l’enceinte étroite d’un vaisseau. Ce ne serait pas le premier emprunt fait à l’industrie par l’art militaire, dont le propre est au contraire d’absorber à son profit toutes les forces que l’homme peut créer. On pourra sans doute utiliser pour la guerre ces machines imaginées à une tout autre intention, les faire servir à manœuvrer les pièces d’un très gros calibre, les employer surtout à perfectionner la fabrication même des armes qui fait presque partie du domaine industriel, et qui jusqu’à ce jour a profité très peu des efforts tentés pour affranchir l’homme des travaux manuels lorsqu’ils n’exigent pas l’intervention de son intelligence.

Sous ce dernier rapport, il faut établir une distinction entre les bouches à feu et les armes portatives. L’art du fondeur, porté à un haut degré par les artistes italiens, a donné de bonne heure à la fabrication des canons une perfection qu’elle n’a pas dépassée depuis. Quiconque a vu fondre une statue ou l’un des grands organes de nos machines sait aussi comment se fait le coulage d’un canon, qu’il soit de bronze ou de fonte. Ce sont les mêmes difficultés pour obtenir l’homogénéité de la matière, pour éviter les scories et pour faire pénétrer le métal dans les moindres interstices. Toutefois on n’a pu encore obtenir une régularité suffisante dans les procédés rapides employés pour la fonte des cloches, en sorte que toutes les bouches à feu sont coulées pleines, et il faut les soumettre, à l’intérieur comme à l’extérieur, à un travail de forage et de burinage très coûteux. Ce travail, toujours exécuté par des machines, ainsi que le tracé des rayures, occasionne une forte augmentation de dépenses, et malgré l’économie qui résulte de la fabrication de pièces d’un type constant, on estime que les canons de fonte reviennent dans l’usine à 50 centimes le kilogramme, et ceux de bronze à 3 francs. Dans ce dernier cas, la valeur du métal compense et au-delà la facilité plus grande du travail. Aussi l’on a souvent cherché à remplacer une matière d’un emploi si onéreux, et dont le peu de dureté rend la dégradation très rapide. L’Angleterre, où la fabrication du fer est si perfectionnée, devait être l’un des premiers pays à en essayer l’usage, et sans nul doute cet exemple sera suivi, car le fer est à la fois plus solide que la fonte et le bronze, et moins cher que ce dernier. En outre, depuis quelques années, plusieurs industriels poursuivent d’une manière sérieuse la production directe de l’acier, que l’on obtenait jusqu’à présent par une transformation du fer ou un affinage assez coûteux de la fonte. Le jour où l’on sera parvenu à obtenir à bas prix des aciers de bonne qualité, ils se substitueront dans une foule de circonstances, pour les armes comme pour les machines, au fer et à la fonte. On en fera les rails de nos voies ferrées et les bouches à feu qui protégeront nos remparts.

Tandis que la fonte des bouches à feu n’était pas dédaignée par des hommes de génie tels que les Keller, le soin de forger les armes portatives était abandonné à de simples ouvriers. Quoique tous les gouvernemens aient, à des degrés divers, retenu pour eux le droit de fabriquer les fusils de guerre, c’est un art qui s’est toujours ressenti de son origine misérable. On n’a jamais recouru qu’avec répugnance et parcimonie à l’emploi des machines, et aujourd’hui encore la plupart des transformations que doivent subir le bois et le fer pour produire un fusil sont faites à la main. Si l’on consent à se servir de matières de choix pour les armes de luxe, on hésite trop souvent à les appliquer aux armes de guerre, que l’on tient surtout à établir à bas prix. C’est là pourtant un tort grave ; hommes et matériel, il faut que tout soit excellent pour être digne de servir à cette œuvre de destruction et pour en affronter les dangers.

Liège est le centre le plus actif de la production des armes sur le continent : cette ville en fournit à toute la terre, et elle dépasse sous ce rapport les plus célèbres villes manufacturières de l’Angleterre. Eh bien ! sur deux cent cinquante ou trois cent mille armes à feu qui sortent chaque année de ses ateliers, il ne s’en trouve peut-être pas trente mille qui remplissent toutes les conditions de solidité et de perfection indispensables à une bonne arme de troupe. Nous ôtons peut-être une illusion à beaucoup de nos lecteurs ; qu’ils visitent une manufacture d’armes dans un pays quelconque, ils en perdront bien d’autres, ou plutôt ils ne verront pas de manufactures, mais des réunions d’ouvriers occupés isolément à des travaux pour lesquels aucun d’eux n’aide son voisin, où les machines n’interviennent que pour donner un mouvement général à des tours pour quelques opérations d’alésage[12]. Il semble vraiment, comme nous le disait un jour un chef d’atelier, que jamais cette fabrication n’ait été dirigée par un homme intelligent. C’est pour cela que toutes les pièces d’un fusil sont faites à la main, contrairement au principe moderne qui ne laisse à la charge de l’homme que ce qu’il est impossible à une machine d’exécuter. Nulle portion de la platine ou des garnitures n’est préparée par ces procédés expéditifs à l’usage des quincailliers, et qui pourtant n’excluent pas une qualité supérieure. Et le canon du fusil, cette pièce la plus simple, mais aussi la plus importante, se doute-t-on du nombre d’opérations qu’elle subit avant de recevoir sa forme définitive ? Dix-neuf, dont quelques-unes exigent cinq et six mises au feu ! Aussi, pour fabriquer le canon d’un fusil de munition, faut-il prendre un poids de fer de 5 kilog. 350 gr., qui se réduit finalement à 3 kilog. 100 gr. par l’effet de la main-d’œuvre. C’est d’abord une barre de fer carrée qu’un ouvrier chauffe et aplatit à coups de marteau, puis que l’on frappe encore pour la réduire en une lame longue et étroite, plus large et plus épaisse à l’extrémité qui doit former le tonnerre[13]. Nouvelles chaudes et nouveaux coups de marteau pour la rouler, la souder, la mettre à longueur. Après tant d’efforts, le tube obtenu manque de régularité, et il faut le chauffer pour le redresser et l’égaliser ; c’est alors que les forets interviennent pour donner au calibre une exactitude rigoureuse, plus nécessaire encore si l’arme doit être rayée. Puis reviennent les chaudes et les coups de marteau afin de tarauder la culasse, de braser le guidon, de souder la petite masse d’acier où l’on vissera plus tard le grain de lumière, et l’interminable série des polissages aux meules de toute sorte. Jusqu’à présent on a tenté sans succès d’appliquer à la fabrication des canons de fusil, dont l’épaisseur n’est pas uniforme, les procédés qui réussissent pour la préparation des fers creux. Est-ce une condamnation sans appel, et en tout cas ne pourrait-on prendre pour point de départ un tronçon de tôle inégalement épaisse, qui étampée aurait déjà presque la forme définitive ? Sans doute ces remarques n’auront pas échappé à l’attention des directeurs de nos établissemens, et entre leurs mains la fabrication des armes reprendra, espérons-le, le rang qu’elle doit tenir parmi les autres industries. Déjà ils ont introduit dans la fabrication des bois de fusil une amélioration importante, dont les ébénistes et les menuisiers pourront faire leur profit, qui trouverait peut-être à s’appliquer dans l’exploitation des forêts des pays tropicaux, où le mouvement de la sève, n’étant jamais arrêté, rend si difficile la conservation des bois abattus. Par la dessiccation à la vapeur, on est parvenu à réduire de trois ans à quelques mois le temps qui doit s’écouler entre la coupe des arbres et la mise en œuvre de leurs troncs, et la coupe elle-même peut être faite en toute saison ; mais après ce perfectionnement on retrouve dans tout le reste de la fabrication les procédés les plus vénérables par leur antiquité. Aucune des machines destinées à faire les bois de fusils et qui ont figuré si souvent dans les expositions n’a pu satisfaire jusqu’ici aux épreuves pratiques.

Les armes à feu, sous quelque rapport qu’on les considère, livrent donc un vaste champ à l’initiative humaine. Il reste à réaliser de très grandes améliorations quant aux effets qu’elles peuvent produire, à la rapidité de la manœuvre, au choix des métaux et aux détails mêmes de la fabrication. Depuis vingt années, on a fait plus que dans le siècle entier qui a précédé, et cependant les études sont encore bien loin d’être complètes. Il serait donc téméraire de vouloir préciser toutes les modifications qu’éprouvera le système de guerre aujourd’hui en usage, mais elles pourraient n’être pas si profondes que quelques personnes l’ont supposé. Déjà dans la campagne d’Italie nous avons assisté aux premiers essais de l’usage des armes à grande portée ; contre toute prévision, elles n’ont pas rendu la lutte plus meurtrière, elles n’ont pas empêché non plus les troupes de s’aborder corps à corps, chose toujours très rare, et qui est arrivée plus fréquemment dans la dernière guerre que dans beaucoup d’autres. Ne faut-il pas s’attendre cependant à une extension considérable de l’emploi de l’artillerie, et à un usage plus restreint de la cavalerie de ligne ? C’est du moins une double tendance qui n’a cessé de se manifester depuis l’invention de la poudre.

Une opinion assez répandue parmi les militaires comme chez les gens du monde, c’est que l’équilibre qui existait autrefois entre l’attaque et la défense des places, rompu déjà par les travaux de Vauban, va se changer en une supériorité de plus en plus marquée en faveur de l’offensive, et qu’il deviendra facile de battre les villes fortifiées d’assez loin pour qu’elles ne puissent trouver aucune protection dans la force de leurs enceintes. Notre conviction est que le contraire arrivera. Déjà nous avons Tait quelques réserves au sujet de l’efficacité exagérée que l’on attribue aux projectiles creux ; depuis longtemps, l’expérience a démontré que le canon n’a de puissance qu’à la condition d’avoir un tir convergent, et s’il a un obstacle puissant à renverser, il faut qu’il ait une régularité méthodique, comme le tir en brèche[14]. Souvent, lorsque l’habileté a fait défaut pour obtenir la reddition d’une ville, on a essayé de profiter d’une supériorité d’artillerie pour la ruiner et pour intimider ses défenseurs. Ce procédé peut réussir contre des fortins, où l’on ne trouve d’abri nulle part ; mais toutes les fois qu’on a voulu en faire usage contre des villes importantes, il a tourné à la confusion des généraux qui avaient mis leur confiance dans ces moyens barbares. On a détruit des propriétés privées, appauvri les habitans, mais sans succès, et la dépense la plus forte est toujours restée à la charge des assaillans. Ceux-ci d’ailleurs n’auront pas seuls le bénéfice d’une artillerie plus légère et d’une plus longue portée. Les garnisons, ayant aussi plus de facilités à transporter leur canon, forceront l’ennemi à établir ses camps à une très grande distance pour y trouver le repos, à commencer ses tranchées de très loin, à faire sur une étendue triple ou quadruple les travaux si pénibles et si dangereux de la dernière période d’un siège, et les hommes de service n’y arriveront que fatigués déjà par une longue course. Sans doute la fortification devra se plier à de nouvelles exigences, multiplier les abris, soumettre à d’autres conditions le choix des positions à défendre ; mais tout compensé, l’extension du tir nous paraît plus favorable que nuisible à la défense. Ce serait là un résultat auquel il faudrait applaudir, car tandis que l’attaque est souvent l’œuvre de la violence, la défense représente presque toujours les intérêts conservateurs, la stabilité, la résistance à d’injustes conquêtes.


IV

Après avoir montré où en est au XIXe siècle la construction des armes portatives et des bouches à feu, il- nous reste à parler des moyens qui s’offrent d’utiliser la force expansive de la poudre sans recourir à l’intervention d’une bouche à feu. Les gaz, en s’échappant à flots pressés du tube qui recelait la poudre, exercent, on le sait, une égale pression sur le boulet qu’ils projettent et sur la pièce d’où ils s’échappent : c’est même ce qui oblige à donner au canon un poids considérable pour en modérer le recul ; sans cette précaution, il serait chassé au loin dans l’espace. Si donc la poudre était placée dans un tube léger, ouvert à une extrémité seulement, tant que durerait la fuite du gaz, le tube serait, entraîné dans une direction opposée. Tel est le principe du mouvement des fusées de nos feux d’artifice, composées d’une cartouche de carton ou de gros papier remplie de poudre, et d’une baguette directrice. La poudre est réduite pour cet usage en une pâte compacte qui brûle par couches successives, afin d’éviter l’explosion de la cartouche, suite d’une combustion trop vive. La baguette agit à la manière du gouvernail d’un navire, et oblige la fusée à marcher à peu près dans le sens de sa longueur. Cet effet n’est pas très régulier, comme il est facile de le reconnaître, tant à cause de la forme que de la position des baguettes sur le côté de la cartouche, ce qui rend la fusée non symétrique.

Souvent on a dû penser à employer à la guerre des agens de cette sorte, d’une puissance plus considérable, soit pour en faire des armes offensives, soit pour en utiliser les propriétés incendiaires. Les premiers essais sérieux toutefois ne remontent pas au-delà du commencement de ce siècle, et ils sont dus au général anglais Congreve, qui espérait ainsi débarrasser les armées du lourd et encombrant matériel qu’elles traînent à leur suite. Le nom de Congreve a même été à une époque d’engouement attaché aux fusées de guerre dont on racontait avec complaisance les merveilleux exploits ; mais il a plus tard chèrement expié cet honneur. Par un sentiment bien naturel, ce général avait réservé à sa patrie les dispositions qu’il jugeait convenable d’adopter pour la confection des fusées de guerre, et comme partout on voulait contrôler les effets qu’il avait obtenus, il se trouva nombre de gens pour exploiter cette curiosité à leur profit. Ces effets, assuraient-ils, étaient dus à une composition particulière, que Congreve entourait d’un profond mystère, et qu’ils offraient de vendre à beaux deniers à chaque gouvernement. Des recherches consciencieuses ont été faites pour découvrir la valeur de ces allégations, et quoique les résultats n’en aient pas été publiés, il est à peu près avéré qu’ils ne cachent aucun secret, et que la force motrice des fusées est due simplement à de la poudre en galette. Toutes les fusées de guerre sont donc formées des mêmes ingrédiens que les fusées d’artifice, dont elles ne diffèrent que par les dimensions et par le boulet ordinairement creux qu’elles entraînent avec elles. Ce point admis, il restait encore bien des difficultés à vaincre pour donner à ces nouveaux engins une force motrice suffisante, surtout pour rectifier cette marche irrégulière et sinueuse qu’on leur connaît. La force d’impulsion dépend de la quantité de composition brûlée à chaque instant, ou, ce qui revient au même, de l’étendue de la surface enflammée. Pour l’augmenter sans avoir des cartouches de dimensions exagérées, on a dû adopter la forme d’un cylindre creux dont tout l’intérieur brûle à la fois. La combustion successive fait que cette surface va toujours en croissant, et l’augmentation de force motrice qui en résulte s’ajoutant à celle déjà produite, la vitesse de la fusée, faible à son origine, suit une progression rapide. C’est l’inverse de ce qui arrive pour les projectiles ordinaires, et cette circonstance a un résultat fâcheux, car au début de sa course la fusée se trouve exposée sans défense à toutes les influences perturbatrices, et la moindre déviation angulaire survenant alors peut la rejeter dans une direction très divergente après un parcours de quelques centaines de mètres seulement. Pour donner à la baguette une action plus régulière, on la place sur l’axe même de la fusée, non sur le côté comme dans les feux d’artifice, mais elle est reliée à la cartouche par trois branches transversales. Cette cartouche est en forte tôle, solidement soudée pour résister à l’expansion du gaz ; elle porte l’obus à sa partie antérieure, position reconnue la plus favorable à la conservation de la vitesse. Il en résulte, quelque soin que l’on prenne pour équilibrer tout l’appareil, que la combustion dérange la position du centre de gravité et fait pencher la fusée en avant, car les obus lancés au moyen des fusées sont aussi lourds que ceux des pièces de bataille, et l’on pourrait même en augmenter le poids sans les empêcher d’atteindre des portées de 4 ou 5,000 mètres.

Le général Congreve avait vu dans la guerre des Indes les natifs faire usage de fusées, et il avait dès lors conçu l’idée d’en augmenter la puissance pour obtenir des effets plus réels que ceux dont il était témoin. Lorsqu’il crut ses expériences assez concluantes, il en fit part au ministre Pitt, qui ne paraît pas avoir partagé son enthousiasme. Les successeurs de ce grand homme firent un accueil plus favorable à Congreve, et mirent à sa disposition un certain nombre de petits bâtimens avec lesquels il espérait détruire la flottille de Boulogne. Le 8 octobre 1806, dix-huit bateaux, sous la direction du commodore Owen, lancèrent plus de deux cents fusées qui produisirent d’abord une grande surprise. En moins de dix minutes, la ville parut couverte de feu ; mais le dégât produit par cette attaque fut peu considérable, et le commodore ne crut pas devoir la renouveler. Cet échec ne découragea pas le général Congreve, ses engins jouèrent un rôle à l’attaque de Copenhague en 1807, à celle de la flotte de Rochefort en 1809, et même à la bataille de Leipzig, où se trouvait un détachement de fuséens anglais. Les partisans de cette arme lui ont conservé leur confiance malgré bien des expériences malheureuses. On répétait sans cesse qu’outre l’effet redoutable de tous les projectiles creux, les fusées de guerre auraient une action spéciale contre la cavalerie en effrayant les chevaux et en mettant le désordre parmi les escadrons, contre l’artillerie en faisant sauter les caissons, contre les villes et les arsenaux en y promenant l’incendie. L’expérience a prouvé qu’il y avait beaucoup à rabattre de ces espérances, les chevaux ne se sont pas plus effarouchés des fusées que des canons et de tous les autres bruits de guerre, et quant aux effets incendiaires, l’incertitude du tir en a beaucoup diminué le danger.

Dans la dernière campagne, les Autrichiens ont consommé un grand nombre de fusées auxquelles l’opinion générale accordait une certaine supériorité ; mais l’événement a fait voir qu’ils s’étaient bercés de beaucoup d’illusions, il n’est pas même bien prouvé que ces fameuses raquettes aient produit dans nos rangs une seule blessure. C’est que si les fusées sont exposées dans leur trajet aux mêmes causes de déviations que tous les projectiles, ces causes deviennent bien plus efficaces, le corps en mouvement ne possédant qu’un faible poids en comparaison de son volume. Des irrégularités peuvent encore provenir d’une matière fusante imparfaite ou humide, de mille circonstances qui activent la combustion sur une face plus que sur l’autre. L’action perturbatrice contre laquelle on est surtout sans défense, c’est celle de l’air sur la baguette directrice elle-même ; la moindre bouffée de vent qui viendra la frapper traitera cette partie légère comme une girouette, et fera tourner la fusée autour de son centre de gravité. Sous l’influence de ces causes si diverses et si soudaines et en dépit des précautions les plus minutieuses, les fusées peuvent prendre des directions tout à fait imprévues ; en présence des nombreux accidens qu’elles ont causés, on a pu avec assez de raison les croire aussi dangereuses pour ceux qui en faisaient usage que pour l’ennemi. Sans conclure à un abandon total, on doit admettre que la grande légèreté des canons rayés rendra assez rares les momens où il sera avantageux de leur préférer les fusées. Il est une circonstance cependant où la forme si accidentée de la trajectoire les a rendues utiles. Les officiers russes qui ont pris part à la laborieuse et pénible défense de Sébastopol rapportent qu’il leur a été très difficile de soustraire les magasins à poudre à l’action de nos fusées. Elles arrivaient dans des directions inattendues, ricochaient contre les murs et les traverses, s’insinuaient souvent ainsi dans les portes les mieux couvertes sans qu’aucune précaution préservât sûrement de leur approche. Les fusées pourront donc avoir une certaine action contre ces forts maçonnés, ces casemates nombreuses qu’affectionnent les Allemands et dont ils se montrent si prodigues dans leurs fortifications ; néanmoins l’utilité d’une telle arme sera toujours très restreinte.

Arrivé au terme de ces études, après avoir parcouru le cycle si étendu des moyens que les hommes ont inventés pour s’ôter la vie et anéantir les monumens de leur industrie, nous ne pouvons cacher une impression pénible que nos lecteurs auront partagée peut-être. Comment songer sans regret à la somme d’intelligence et de travail consacrée ainsi à une œuvre de destruction ? Comment même ne pas excuser l’ardeur déployée par bien des écrivains pour flétrir la guerre, pour la déclarer impossible et impie entre des nations civilisées ? Cependant, puisque les passions des hommes les arment sans cesse les uns contre les autres, puisque leurs convoitises ne peuvent se satisfaire qu’aux dépens de la vie et des biens de leurs semblables, ne doit-on pas encourager les sciences militaires, qui tendent sans cesse à mieux assurer la suprématie de l’intelligence sur la force brutale ? Et dans un autre ordre d’idées, en présence de ces aspirations folles vers la richesse, de ces préoccupations du lucre qui dessèchent le cœur et font commettre les actions les plus viles, n’est-il pas bon que l’on ait sans cesse devant les yeux le spectacle de la vie du soldat, de son existence toute de dévouement et de sacrifices ? S’il est possible de trouver un dédommagement aux cruelles épreuves de la guerre, c’est sans doute dans les exemples de courage et de désintéressement que donne parfois la guerre, dans ces sentimens d’honneur et de loyauté dont les nations ont toujours un si grand besoin, qu’elles admirent toujours, mais dont souvent elles profitent si peu.


PIERRE DE BUIRE.

  1. Voyez sur les Armes portatives la Revue du 1er avril.
  2. Ces dimensions nous portent à penser qu’il s’est glissé une erreur d’échelle dans une publication récente sur l’artillerie du capitaine Martin de Brette, qui contient d’ailleurs une fort belle collection de dessins parfaitement exécutés.
  3. Parmi ces pièces d’une très forte dimension, les plus remarquables sont :
    Le Consulaire, canon de vingt-sept centimètres de diamètre intérieur, et du poids de 25,000 kilog., pris à Alger en 1830, et déposé à l’arsenal de Brest. C’est un canon qui intéresse surtout par le souvenir de la mort héroïque d’un religieux français, le père Levacher, supérieur de la mission pour le rachat des captifs, vicaire apostolique à Alger, et chargé en outre des affaires de France. Il consentit à servir d’intermédiaire au dey auprès de Duquesne lors du bombardement de 1083, et, n’ayant pas réussi dans sa mission, il fut soumis à l’alternative de renier sa religion ou de périr attaché à la bouche de cette pièce.
    La grande bombarde de Moscou, fondue en 1535 ; elle a quatre-vingt-onze centimètres de diamètre intérieur, et pèse 20,000 kilog.
    La bombarde d’Agra, fondue sous Akbar-Khan par un ouvrier italien. Elle a cinquante-huit centimètres de diamètre ; on en évalue le poids à plus de 40,000 kilog. Elle pourrait lancer des boulots de fonte pleins de 650 kilog. C’est, croyons-nous, la plus forte bouche à feu qui existe, mais il ne parait pas qu’elle ait jamais servi à la guerre.
    Les fameuses pièces des Dardanelles, destinées à interdire l’entrée de ce canal. Étant placées sur des chantiers, elles ne pourraient lancer qu’un seul boulet sur des navires passant dans leur direction. Un projectile aussi considérable, — il aurait de soixante à quatre-vingts centimètres de diamètre, — suffirait cependant, fût-il seul, pour mettre en grand péril le bâtiment qu’il atteindrait. Auprès de chaque canon se trouve une pile de boulets en marbre blanc, parfaitement polis, dont le poids atteint au moins 250 kilogrammes. Malgré une apparence formidable, ces canons, recouverts de sculptures et de versets du Coran, ne constituent guère qu’une défense d’opinion, car l’immobilité les réduit à l’impuissance. Il ne serait peut-être pas impossible cependant d’en obtenir un service plus réel ; mais c’est là une chose hors de la portée d’un peuple déchu, et si peu disposé à sortir de l’état d’engourdissement où il se trouve. Il est à remarquer que les Orientaux ont surtout essayé d’accroître les effets de l’artillerie par l’augmentation des calibres, tandis que nous avons recherché la rapidité et la précision du tir. Peut-être les progrès de l’industrie permettront-ils, dans un temps peu éloigné, d’obtenir simultanément tous ces résultats.
  4. On sait que l’on désigne ainsi les canons dont le boulet de fonte pèse 4, 6 ou 12 livres. Dans plusieurs pays d’Allemagne, où les boulets de pierre ont été longtemps en usage, ils servent de type, et les canons sont dits alors du calibre de 12 livres stein, pour distinguer cette désignation de celles qu’on emploie ailleurs.
  5. Les bombes, dont l’idée première remonte fort loin, ont servi pour la première fois au siège de Wachtendonck en 1588. Elles ont été popularisées en France au siège de La Mothe en 1633 par un gentilhomme anglais du nom de Malthus.
  6. On désigne les obusiers et les mortiers par le calibre de l’âme.
  7. On a essayé au siège de la citadelle d’Anvers un mortier d’un calibre très supérieur à tous ceux employés jusqu’alors, car il pouvait jeter à 000 mètres des bombes de 500 kilog. Ses effets ont été puissans sans doute, mais ils n’ont pas semblé répondre aux difficultés de la manœuvre et à celles du transport des projectiles. On n’a pu lui faire tirer qu’un petit nombre de coups au siège, — quatre, croyons-nous, — et il s’est brisé peu de temps après dans un tir d’expérience. Les restes de ce mortier-monstre se voient encore à Bruxelles, près de la porte d’entrée du musée d’artillerie.
  8. Il est aisé de reconnaître, par une expérience simple et à la portée de tout le monde, combien une flamme vive, mais passagère, comme celle de la poudre en petite quantité, est peu propre à propager le feu. Il suffit d’enflammer une dizaine de grammes de poudre répandus sur une feuille de papier. Si le papier est en coton, il brûlera en partie, mais sans flamme ; s’il est en fil, la combustion ne se produira que si la poudre contient une certaine proportion de poussier ; enfin une carte à jouer ou du papier un peu fort demeurera intact malgré la présence du poussier. D’après la résistance qu’offrirait à l’action du feu le papier en rames, on peut croire qu’une douzaine d’obus, éclatant dans la boutique d’un papetier, n’y allumeraient pas d’incendie.
  9. Nous pouvons citer à l’appui de notre opinion celle du général Congreve, qui dit aussi que les projectiles creux ne font d’effet que s’ils sont réunis en grand nombre. Voici ses expressions textuelles : «… Allowing that the shell does not often set fire, it requires a vast number of them to destroy any great number of houses. »
  10. Nous ne parlons que pour mémoire des expériences faites par le gouvernement prussien pour allonger les portées par l’emploi de boulets dont le centre de gravité ne coïncidait pas avec le centre de figure, parce que ces essais ont eu peu de succès, et que ces projectiles étaient destinés à des canons à ame lisse. Ainsi que la théorie le faisait pressentir, on a reconnu qu’il y avait une légère augmentation de portée lorsque l’hémisphère lourd du boulet était placé en avant ou en haut.
  11. La volée d’un canon est la partie de la pièce comprise entre la culasse et la bouche.
  12. On entend par ce mot l’action d’arrondir et de polir la surface intérieure d’un corps sphérique ou cylindrique.
  13. Endroit du fusil où l’on met la charge.
  14. Les anciens artilleurs battaient irrégulièrement les murs d’escarpe où ils voulaient ouvrir une brèche ; il s’ensuivait que les décombres s’amassaient en très grandes quantités au pied du mur, et bientôt les boulets s’enterraient sans produire d’effet. Aussi arrivait-il souvent que l’on ne réussissait pas à rendre la brèche praticable, et il fallait recommencer ailleurs sur nouveaux frais. Maintenant on commence par faire une tranchée horizontale au tiers de la hauteur du mur, ce qui laisse au-dessous l’espace nécessaire à l’amoncellement des décombres qui vont se produire, puis on pratique de bas en haut deux tranchées verticales aux extrémités de la première, pour isoler un grand fragment de mur qui s’écroule sous son propre poids. Pour obtenir ce résultat, il suffit de 100 kil. de boulets et de 50 kil. de poudre par mètre courant de rempart abattu.